Après une première édition organisée au Maroc en 2003, le congrès actuariel africain revient à Casablanca pour son cinquième rendez-vous annuel, sous le thème «Le développement financier en Afrique, expertise et intérêt public». L'occasion pour les opérateurs de la place de revenir sur les expériences africaines et réfléchir sur les enjeux et les défis à relever pour développer la fonction d'actuaire. L'industrie des assurances est unanime, l'actuaire est indispensable pour le secteur. Pourtant ce métier reste très peu connu sur la place financière marocaine. «L'actuariat représente la colonne vertébrale de l'assurance», reconnaît Hassan Boubrik, président de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS). Cette science qui dispose «d'une technicité lui permettant de mettre en place des modèles de calcul, d'émettre des jugements et surtout de proposer des solutions pour nos entreprises», -comme le décrit Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine des sociétés d'assurances et de réassurances (FMSAR)-, manque pourtant de reconnaissance. Et ce même si l'Association actuarielle internationale ainsi que d'autres organismes internationaux louent les travaux de l'Association marocaine des actuaires. Les actuaires marocains réclament désormais leur place autour de la table des discussions, et ce, en tant que profession régulée au même titre des autres opérateurs d'assurance. Si la profession a longtemps joué des coudes pour se faire une place dans l'univers financier, le salut viendra du projet de circulaire Solvency II (solvabilité basée sur les risques) qui vise une uniformisation des règles au niveau européen. «Cette réforme va renforcer la culture du risque dans toutes les zones de l'activité de l'assurance et va transformera en profondeur l'approche de contrôle des entreprises d'assurance et de réassurance», souligne Boubrik. Conscient que le fait de «répondre aux exigences de cette réforme constituera un réel défi tant pour les assureurs que pour les régulateurs». Boubrik espère ainsi miser sur le soutien des actuaires qui seront amenés à accompagner et éclairer les autorités dans le chantier de mutation du secteur des assurances. «L'actuaire intervient sur les aspects sensibles de gestion de risque en général mais en particulier sur le calcul des provisions techniques, des tarifs et de la marge de solvabilité...Ainsi, il apporte non seulement un soutien efficace à l'assureur pour pouvoir effectuer une bonne gestion des risques mais il constitue également un allié des autorités de supervision», assure Mohamed Boussaïd, ministre des Finances. Il faut dire que la communication reste un élément clé dans la sphère financière. Comme l'a expliqué le professeur Karel Van Hule, père fondateur de Solvency II et ancien haut responsable au sein de la Commission européenne «Solvency II octroie un environnement propice au développement de la fonction d'actuaire, puisque le fondement des ratios prudentiels est basé sur des modèles mathématiques fournis par les actuaires. D'ailleurs, le premier pilier de la réglementation internationale, appelé également pilier quantitatif vise les exigences de capital qui s'appliquent aux assureurs. Il repose entre autres sur le calcul des provisions techniques, l'élaboration d'un bilan prudentiel ainsi que la définition du seuil du capital de solvabilité. Le pilier qualitatif, quant à lui, touche à l'organisation même des organismes d'assurance. Il fixe les règles qualitatives de gouvernance et de gestion des risques afin de s'assurer que la compagnie est bien gérée à travers la formalisation de la politique de gestion des risques ou encore la mise en place de l'Orsa (Own Risk and Solvency Assesment). Le troisième pilier et non des moindres, concerne la communication financière. La qualité de la collecte des données et la diffusion de l'information financière sont ainsi admises comme essentielles à la sécurité financière. Mohamed Boussaïd Ministre des Finances Au Maroc, les actuaires étaient très dynamiques, très actifs et très impliqués dans la dernière réforme de notre caisse des retraites pour les fonctionnaires civiles. Un long processus très compliqué mais qui a été rendu «facile» grâce à l'expertise technique des actuaires...Leur intervention «de qualité» nous incite à réfléchir davantage sur les conditions de qualification et les normes professionnelles à appliquer à ce corps de métier. Hassan Boubrik Président de l'ACAPS Si l'assureur connaît avec exactitude son CA, il ne peut pas en dire autant sur le montant des prestations qu'il aura à servir à ses assurés. On dit alors que l'assurance est une activité dont le cycle de production est inversé. C'est cette caractéristique qui rend l'actuariat indispensable dans la chaîne de valeur de l'industrie... L'actuariat est une discipline essentielle non seulement à la résolution des problématiques des assureurs-vie, des assureurs-dommages mais également, des caisses de retraite, des banques et des sociétés de gestion. Mohamed Hassan Bensalah Président de la FMSAR En matière de gouvernance, la fonction actuarielle devra évoluer en toute indépendance au sein de nos compagnies pour pouvoir jouer pleinement son rôle devenu désormais transversal dans le respect du nouveau cadre réglementaire... À l'heure du digital, de nouveaux challenges sont à relever. Les actuaires doivent se préparer à l'évolution importante du volume des données qui sera récupéré par les assureurs à travers les objets connectés en faisant appel à des modèles et outils plus sophistiqués pour exploiter au mieux toute l'information disponible. Beaucoup reste à faire au Maroc et en Afrique «L'Afrique avance, bouge et s'émancipe...», rappelle Bensalah. Mais l'enthousiasme resté entaché par des réalités amères. Le continent qui dispose d'atouts indéniables a du mal à se défaire de certaines pratiques poussiéreuses. Le secteur des assurances de plusieurs pays africains, dont le Maroc, compose avec des tables de mortalité issues des pays européens. «C'est ridicule», s'insurge le président de la fédération. En effet, sachant que les simulations réalisées à partir de ces tables ne pourraient en aucun cas donner des résultats conformes à la réalité du marché local. Avec des calculs souvent biaisés, les compagnies n'ont d'autres choix que d'augmenter le niveau des provisions dépassant ainsi le minimum requis.