Ecrit par Lamiae Boumahrou | Parmi les réformes prioritaires pour faire aboutir l'un des piliers du chantier de l'élargissement de la protection sociale à savoir la généralisation de la couverture sanitaire à tous les Marocains, celle du renforcement du rôle du régulateur à savoir l'Agence Nationale de l'Assurance Maladie (ANAM). Un impératif pour garantir un système de santé efficace, efficient et équitable. Le point avec le Directeur Général de l'ANAM, Dr Khalid Lahlou. Le Maroc s'apprête à entamer un chantier titanesque. Un chantier nécessitant l'implication de tous mais aussi des prérequis pour réussir l'élargissement de la protection sociale. Un rêve pour tous les Marocains qui va se concrétiser dans 5 ans après le déploiement des 4 phases du chantier. La première consistera à élargir la couverture médicale obligatoire à l'ensemble des marocains dans 2 ans soit d'ici 2022 pour atteindre 22 millions de bénéficiaires supplémentaires de l'AMO. Un défi de taille pour réussir une transition d'un régime assistanciel vers un régime assurantiel. Sauf que pour y parvenir, il est impératif de renforcer le rôle de l'ANAM pour qu'elle devienne un régulateur fort et indépendant en mesure de garantir la réforme de la gouvernance du régime de l'AMO. ANAM, un régulateur aux mains liées Malheureusement, malgré les efforts entrepris par cet organisme pour ne citer que les conventions nationales, la tarification nationale de référence, les actions de régulation..., l'Agence Nationale de l'Assurance Maladie (ANAM) ne joue valeur aujourd'hui pas les vrais rôles qui sont les siens. Un constat qui ne date pas d'aujourd'hui. Les périmètres d'intervention très limités et ambigus de l'Agence ont été soulevés dans le rapport de la Cour des comptes de 2018 et tout récemment dans l'avis du Conseil de la concurrence relatif à la situation de la concurrence dans le marché du médicament au Maroc. « Il s'est avéré que l'ANAM a été, au fur et à mesure de l'élargissement de ses missions, submergée par des considérations et des procédures bureaucratiques héritées de son département ministériel de tutelle. Cela a rendu son action de régulation peu efficace, d'où le peu d'impact de ces décisions généralement prises en retard sur le marché des médicaments », lit-on dans l'avis. Même son de cloche du côté de l'institution de Driss Jettou qui a relevé que « la lecture de la loi n°65.00 et ses décrets d'application rendent délicat de situer le rôle censé être assuré par l'ANAM. Ceci se manifeste au niveau du déphasage entre la loi et ses textes d'application, ce qui rend les pouvoirs de l'ANAM, en tant qu'organe de régulation, ambigus ». Ces instances mettent clairement à l'évidence la nécessité de revoir la réglementation pour renforcer le rôle de ce régulateur ô combien important dans le chantier que le Maroc va lancer incessamment. L'ANAM doit devenir une autorité de puissance publique en mesure de prendre les décisions de régulation à tous les niveaux. C'est dire combien l'amendement de la loi n° 65-00 portant code de la Couverture Médicale de Base devient urgent pour doter le système d'un régulateur (ANAM) fort et unique capable d'assurer le pilotage d'un système complexe et dynamique comme celui de l'assurance maladie. Il est surtout question de corriger les contradictions de la loi. Et pour cause, l'article 58 de ladite loi stipule que l'ANAM est l'organe qui veille au bon fonctionnement du système de Couverture Médicale de Base (CMB) alors que l'article 59 ne confie à l'Agence que la mission de "proposer à l'administration les mesures nécessaires à la régulation du système d'Assurance Maladie Obligatoire de base ...". Un état de fait qui se traduit par les multiples dysfonctionnements que connaît notre système de santé mais aussi par l'anarchie régnante vu que l'ANAM a les mains liées. Ce que pense le régulateur Contacté par nos soins, le Directeur général de l'ANAM, Dr Khalid Lahlou, nous a affirmé que l'ANAM a un rôle fondamental dans le processus de généralisation de l'AMO. « Aujourd'hui, l'enjeu est non seulement la généralisation de l'assurance maladie mais aussi la mise en place d'un système de santé efficace, efficient et équitable en mesure de répondre aux attentes de la population », a-t-il précisé. Et d'ajouter que parmi les contraintes et les difficultés qui entravent le bon fonctionnement de l'AMO, on retrouve les limites du dispositif juridique de l'AMO caractérisé par l'incompatibilité de dispositions générales et particulières et l'insuffisance des dispositions devant réguler le système ; et l'incohérence du dispositif juridique confiant à l'ANAM la veille sur le respect des dispositions de l'AMO et aux départements ministériels le contrôle effectif de ce respect. « On note également le chevauchement d'entités chargées de l'exercice des contrôles portant sur l'application du dispositif juridique de l'AMO ; le fractionnement de la régulation entre plusieurs entités et l'émiettement de la gouvernance ; la composition du Conseil d'administration de l'ANAM chargé de la régulation ; les pratiques des organismes gestionnaires ont préséance sur des mesures de régulation proposées par l'ANAM ainsi que l'absence de règles générales portant sur la mobilité des assujettis aux régimes de la CMB dans la perspective de l'universalité de la couverture », a précisé le DG de l'ANAM. Autant de limites dont la conjugaison incite à compléter le dispositif légal par la refonte de certaines dispositions juridiques ou par l'ajout de textes réglementaires qui, sans affecter les domaines de juridiction de l'ANAM. Et ce en apportant des précisions sur l'exercice de ses missions et de ses priorités d'action dans la perspective de la mise en vigueur progressive des régimes de l'AMO. Mais pas que. Il est également impératif de remédier à une autre contradiction et pas des moindres notamment le fait que l'ANAM soit sous la tutelle du ministère de la Santé. Une spécificité marocaine qui, encore une fois, rétrécit le champ d'intervention de l'Agence. Sans parler des organismes gestionnaires (CNSS, CNOPS et assurances), que l'Agence est censée contrôler, qui siègent dans le Conseil d'administration de l'ANAM. Tous ces irrégularités font que l'action de cette dernière en matière de régulation du marché doit se renforcer. C'est pourquoi, il est aujourd'hui impératif de se doter d'outils efficaces de régulation pour faire aboutir ce chantier, ô combien important pour la société, de l'élargissement de la couverture sanitaire. Pour faire court, ceci passe indéniablement par une refonte incessante et imminente de la loi n° 65-00, qui à travers un examen révèle des contraintes ou des difficultés entravant le bon fonctionnement de l'AMO eu égard à l'esprit et à la lettre de la loi.