La Cour des comptes a réalisé en 2020 des missions de contrôle, concernant le secteur des retraites, qui ont porté principalement sur la réforme systémique des régimes de retraite en vigueur et l'élargissement de la couverture aux travailleurs non-salariés. Voici ses principales recommandations. La couverture retraite globale de la population active au Maroc reste limitée. Avec près de 4,4 millions de personnes couvertes, le taux de couverture ne dépasse pas les 43%. La population non couverte, de 6,3 millions d'actifs, est constituée principalement des travailleurs non – salariés, qui représentent environ 50% de la population active totale, ainsi qu'une part importante de travailleurs salariés non déclarés auprès de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), souligne la Cour des Comptes dans son rapport 2019-2020 publié aujourd'hui. Les régimes de retraite de base se caractérisent par une diversité et un manque de convergence avec une conception, un cadre réglementaire, de gouvernance et de pilotage distincts. Les régimes restent cloisonnés, fonctionnant avec des paramètres différents et continuent d'être régis par des règles de fonctionnement peu harmonisées. Le taux de remplacement apporté par les différents régimes de base reste différent et peut s'écarter considérablement de la situation salariale en fin de carrière. Concernant le régime des pensions civiles de la Caisse marocaine des retraites (RPC-CMR), et malgré la réforme paramétrique de 2016 et la batterie des mesures prises, le redressement des différents indicateurs du régime n'est à escompter que sur le long terme. Selon les projections actuarielles, le régime sera confronté au risque de liquidité à partir de 2023 et ses réserves encourent le risque d'épuisement à l'horizon 2026. Néanmoins, cette réforme a permis de prolonger l'horizon de viabilité du régime de 2021 à 2027, de réduire le déficit cumulé jusqu'à 2065 de près de 57% et de rendre possible un rééquilibre du régime à l'horizon 2078. Le poids de la dette implicite (415 Mds de DH à fin 2019), quant à lui, continue de peser lourdement sur sa situation financière et rend la réforme systémique inéluctable. Quant au régime général du Régime collectif d'allocations de retraite (RCAR), bien qu'il ne connaisse pas de problèmes de viabilité à court terme, le déficit technique (enregistré depuis 2004) se creusera davantage pour atteindre 53,6 Mds de DH sur l'horizon de projection des 60 années à venir. A partir de 2028, le régime enregistrera son premier déficit financier et les réserves commenceront à baisser pour financer ses prestations. Sa dette implicite est estimée à 184 Mds de DH en 2019. S'agissant du régime général de la CNSS, selon l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS), les études actuarielles mettent en évidence un déficit technique du régime (branche long terme) dès 2029, et en l'absence de mesures de correction, les réserves seraient épuisées en 2046. Les engagements non couverts, sur une projection de 60 ans, par le régime de l'assurance sociale atteignant un montant actualisé à 364 Mds de DH. Face à la situation du RPC-CMR, ce dernier a fait l'objet d'une réforme paramétrique en 2016. Celle du régime général du RCAR a été adoptée en juin 2021 après deux tentatives en 2017 et 2019. Or, cette réforme n'a pas prévu l'alignement de l'âge légal de départ à la retraite du régime sur le RPC-CMR en vue du futur rapprochement dans le cadre du pôle public. Le régime des salariés de la CNSS, quant à lui, n'a pas encore fait l'objet d'une réforme paramétrique. Sur un autre registre, la réforme systémique est une réforme hautement urgente pour le RPC-CMR. Ceci nécessite une feuille de route dûment arrêtée par le Gouvernement, huit ans après les résolutions de la commission nationale. Les difficultés du RPC-CMR sont essentiellement structurelles que la consolidation hypothétique du système, dans le cadre de cette réforme systémique, n'apporterait pas de solution pérenne et soutenable. Même avec l'option de financer la dette par la dynamique démographique, le retard enregistré dans la concrétisation du pôle public impactera significativement ce choix. D'ailleurs, si la construction du système cible en trois piliers requiert l'unanimité des parties prenantes, le mode de fonctionnement et le plafond par pilier obligatoire restent des sujets de divergence. En outre, l'étude lancée en 2019 visant la conception technique du système cible, a remis en cause le schéma de base validé à l'époque par la commission nationale. Concernant la généralisation de la couverture retraite, sa mise en œuvre effective aux travailleurs non-salariés édictée par la loi n°99-15, en 2017, a pris un retard important, autant pour la conception et l'adoption des textes juridiques qui cadrent le régime, sa gestion, son pilotage et sa gouvernance, que pour l'implémentation effective de la couverture retraite pour la population concernée. Il est à préciser que cette population active non salariée présente des caractéristiques et des difficultés particulières pour sa couverture retraite. Elle connait une grande hétérogénéité notamment en ce qui concerne l'activité, la stabilité, la démographie, les revenus, les capacités de contribution. De plus, une grande partie exerce dans le secteur informel. La couverture des travailleurs non-salariés soulève des défis complexes parmi lesquels l'identification des populations (souvent amenée à se faire selon une logique individuelle), l'adhésion (qui nécessite de susciter l'intérêt des populations), le recouvrement et le financement. Dans ce cadre, et suite aux Hautes Instructions Royales contenues dans le discours de la fête du Trône de l'année 2020, le Gouvernement a préparé la loi cadre n°09-21, promulguée par le Dahir n° 1.21.30 du 23 mars 2021, qui prévoit la généralisation de la couverture sociale à l'horizon 2025. Parmi les objectifs de la loi, l'élargissement de la base des affiliés aux régimes de retraite à travers l'intégration, dans ces régimes, d'environ cinq (5) millions d'actifs ne bénéficiant d'aucune couverture retraite. Ainsi, la Cour des comptes a recommandé au Gouvernement de poursuivre la révision et l'harmonisation des paramètres des régimes, la mise en place de solutions de financement appropriées, la réforme de la gouvernance et du pilotage des régimes, et ce en vue de faciliter la convergence des régimes de retraite et d'amorcer, dès que possible, le processus de la réforme systémique en accélérant le rythme des réformes paramétriques dans l'optique de convergence des régimes existants vers un régime cible préalablement défini. La Cour considère qu'il est nécessaire de définir une feuille de route de la réforme, consacrée par une loi-cadre fixant, entre autres, les objectifs, les principes directeurs, la gouvernance, le calendrier de mise en œuvre et de transition vers le système cible, ainsi que les engagements des parties prenantes et de mener une réflexion approfondie sur la couverture de la dette implicite en concordance avec les objectifs et les principes directeurs de la réforme et dans le cadre du financement global de la couverture sociale. Enfin, il y a lieu d'envisager une révision de la réglementation en vigueur qui régit le régime de couverture retraite des travailleurs non-salariés, notamment en ce qui concerne sa structure de base, ses principaux paramètres, son fonctionnement et sa gouvernance.