La réforme doit être entreprise et c'est à l'Etat et au pouvoir législatif d'agir. Le retard de sa mise en place aggrave davantage la dette implicite. Embaucher plus de fonctionnaires ne résout pas le problème du déficit, mais peut augmenter la dette implicite car les engagements représentent le double des cotisations. La CMR gère ses risques de placement en fonction des échéances. Mohamed El Alaoui El Abdallaoui, Directeur de la Caisse marocaine des retraites, revient sur l'urgence de la réforme et l'impact de son retard sur le régime des pensions civiles. Finances News Hebdo : Il y a quelques mois, la Cour des comptes (CC) a publié un rapport sur les régimes de retraite. En quoi se différencie-t-il par rapport à ce qui a été établi par la Commission technique ? Mohamed El Alaoui El Abdallaoui : Le diagnostic sur les retraites est aujourd'hui unique, partagé par l'ensemble des parties prenantes au niveau de la Commission nationale et de la Commission technique ainsi que par les experts des organismes internationaux (la Banque mondiale et le Bureau international du travail). Il a été confirmé par le rapport établi récemment par la Cour des Comptes (CC). Ce diagnostic élaboré permet d'offrir les mêmes bases à toutes propositions de solutions. L'analyse de la CC ainsi que les travaux de la Commission nationale et de la Commission technique ont l'avantage de traiter la problématique de la retraite dans sa globalité par rapport à l'analyse et propositions individuelles de chaque caisse prise séparément. Aussi, lorsque nous citons le premier principe de la réforme paramétrique du régime des pensions civiles (RPC) géré par la CMR, ce dernier repose sur la convergence des régimes dictée au niveau de la Commission nationale lors de la réunion du 30 janvier 2013. Le rapport de la CC se différencie par rapport aux travaux déjà effectués par le fait que son approche est élargie. Elle permet de traiter d'autres problématiques liées à la retraite, notamment la question de la fiscalité sur les retraites et son impact, soit d'une manière directe en affectant les finances publiques, ou indirecte par la réduction de la période d'activité en incitant les actifs à partir tôt à la retraite. En plus, le rapport préconise des solutions concrètes et détaillées concernant la réforme paramétrique des régimes existants. J'incite fortement tout un chacun à la lecture de ce rapport, il est important de le lire et de voir ce qu'il préconise. Après, nous pouvons être d'accord ou pas sur les recommandations. S'agissant du régime des pensions civiles, le Conseil d'administration de la CMR avait déjà formulé des propositions en 2010 et en 2011. Pour le moment, toutes les données sont disponibles, la CMR certifie chaque année son bilan actuariel du RPC par un cabinet externe. Aujourd'hui, c'est à l'Etat d'agir auprès des partenaires sociaux et surtout vis-à-vis des deux institutions législatives. F. N. H. : Depuis la réunion de la Commission nationale présidée par le Chef du gouvernement, rien n'a été fait. Pourquoi ce blocage ? M. E. A. E. A.: Je voudrais seulement évoquer que l'année 2013 a été très riche. Il faut rappeler l'intervention du Chef du gouvernement auprès de la deuxième Chambre le 9 janvier, ainsi que la tenue de la Commission nationale le 30 janvier. Cette dernière réunion a été d'une importance capitale pour l'avancement de ce dossier du fait qu'elle a acté une feuille de route qui détaille les différentes étapes de la réforme du système des retraites au niveau national. Elle a ainsi défini clairement les actions à entreprendre à court terme, et le schéma à viser à moyen et long terme. A court terme, il s'agit d'engager une réforme paramétrique qui aura pour principal objectif d'augmenter l'horizon de viabilité et de diminuer la dette implicite des régimes les plus fragiles notamment celui du RPC géré par la CMR. Car la Commission technique ne peut pas statuer sur les réformes paramétriques puisqu'il s'agit plus de négociations politiques avec les partenaires sociaux et les organes législatifs. La Commission nationale a également donné mandat à la Commission technique pour travailler sur les paramètres du système bipolaire à mettre en place à moyen terme (public et privé). La mise en place de deux pôles de retraite consistera essentiellement à fusionner les régimes du secteur public (RPC et RCAR) en un seul régime et permettra aussi au régime du secteur privé d'étendre sa couverture aux travailleurs non-salariés. La Commission technique a créé, dans ce but, des sous-commissions pour le pôle public et pour le pôle privé afin de pouvoir avancer rapidement sur ce sujet. Cette étape devrait constituer une transition nécessaire à la mise en place, à long terme, d'un régime de base unique généralisé devant couvrir l'ensemble des actifs des deux secteurs public et privé. En matière de réforme paramétrique, le premier pas devra être entrepris pour le RPC géré par la CMR et ce, pour deux raisons essentielles. La première est liée à l'urgence signalée pour ce régime qui connaitra son premier déficit dès 2014. La seconde est relative à l'importance de sa dette implicite au regard de la dette globale de tous les régimes confondus. Dans ce sillage, la note de cadrage du projet de Loi de Finances 2014 a proposé la mise en place d'une réforme paramétrique de ce régime. L'invitation du Chef de gouvernement des partenaires sociaux le 2 décembre s'inscrit également dans ce cadre. Le rapport de la Cour des comptes publié en septembre a pu également jouer un rôle important dans la diffusion du diagnostic et d'une démarche détaillée de la réforme, à court, moyen et long terme. F. N. H. : Mais globalement, la réforme de la retraite accuse du retard qui, malheureusement, n'est pas exempt d'incidences sur le régime. Peut-on avoir une évaluation chiffrée de cet impact ? M. E. A. E. A.: En 2010, le retard d'une année de mise en place de la réforme a été évalué à environ 16 Mds de DH. En 2012, ce coût a atteint 20 Mds de DH. Au début de l'année 2014, on atteindra 22 Mds DH. A fin 2012, nous étions à 605 Mds de DH de dette implicite. L'année d'avant, ce montant se chiffrait à 580 Mds de DH. Donc, en l'absence de mesures correctives, la dette implicite du régime s'aggrave d'année en année. F. N. H. : La Caisse a-t-elle commencé à puiser dans le fonds des réserves ? M. E. A. E. A.: Ce sera vraisemblablement le cas durant l'année 2014, le régime va enregistrer le premier déficit qui sera comblé par une partie des réserves. F. N. H. : En attendant que la réforme voit le jour, la Caisse ne doit-elle pas mettre en place des dispositions pour éradiquer un tant soit peu la situation ? M. E. A. E. A.: La CMR est un organisme gestionnaire direct de plusieurs régimes et prestataire de services pour compte de tiers. En tant que tel, nous ne faisons qu'appliquer la loi relative à ces régimes, tant qu'elle ne change pas. Donc, nous ne pouvons pas entreprendre une démarche proactive. C'est une des faiblesses soulevées dans le rapport de la Cour des comptes, et qui pointe le manque d'instrument de pilotage de ce régime. Pourquoi ? Parce que tout simplement, on est obligé de passer chaque fois par la loi pour pouvoir changer les paramètres du régime. C'est tellement rigide qu'on est obligé d'attendre des années pour effectuer un changement. Ce n'est pas par exemple le cas de la CIMR qui, depuis la réforme de 2003, peut effectuer des ajustements et partant, peut piloter son régime au regard de l'évolution de son bilan actuariel. Face à un environnement qui change et qui évolue très vite, nous avons en face des textes de loi trop rigides pour être en adéquation avec notre deuxième principe qui repose sur la juste tarification des droits accordés. Aujourd'hui, la Cour des comptes l'affirme également : un dirham cotisé et revalorisé donne droit à près de deux dirhams de prestations actualisées. C'est énorme. Cela veut dire que les affiliés au régime perçoivent deux fois plus que ce qu'ils ont cotisé. Le régime ne peut pas être viable. Parfois, on pense que pour rétablir l'équilibre de ce régime, il faudrait augmenter le nombre de fonctionnaires. Certes, cela pourrait ainsi régler le problème à très court terme parce qu'on aura plus de cotisations, mais rendrait surtout l'équation insoluble à moyen et à long terme. La mise en place d'une juste tarification aurait un double impact, celui de réduire la dette implicite future du régime, mais également pourrait libérer l'Etat d'une de ces contraintes dans sa politique de recrutement, celle relative au coût indirect sur les retraites. F. N. H. : La Caisse dispose-t-elle des moyens pour s'assurer que les fonctionnaires qui ont opté pour le départ volontaire, ne réintègrent pas la fonction publique ? M. E. A. E. A.: Tout à fait. Nous avons un principe, c'est que nous ne versons pas de pensions à quelqu'un qui touche un salaire de l'Etat ou de tout organisme où l'Etat détient au moins 50% du capital. A ce titre, la Caisse coordonne en permanence avec les ordonnateurs pour être informée des personnes qui cumulent entre une pension et une rémunération pour suspendre leurs pensions. F. N. H. : Comment se décline, aujourd'hui, votre politique de placements ? M. E. A. E. A.: Pour notre politique de placement, et plus précisément en ce qui concerne les placements des réserves de prévoyance du RPC, nous avons toujours en vue que le déficit est proche, sachant que nous disposons pour le régime des pensions civiles, d'une réserve de près de 80 Mds de DH. Aussi, la politique de placements évolue selon qu'on fasse une réforme ou pas. En effet, en l'absence d'une réforme, le montant de 80 Mds de DH financerait les déficits durant les huit prochaines années (horizon 2021). De ce fait, le principe de liquidité de nos actifs est primordial pour pouvoir payer la totalité de nos prestations. Nous essayons ainsi de matcher nos placements par rapport à nos échéances et à nos besoins. C'est ce que nous appelons la gestion actif/passif (ALM). Indirectement par cette approche, nous minimisons le risque de capital des placements des réserves du RPC. Quant aux réserves du régime complémentaire par capitalisation Attakmili, la gestion est plutôt dynamique et permet d'offrir à ses adhérents la meilleure rentabilité de ce type de produit sur la place (7,23% en 2012).