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Maroc - Espagne : L'économique prime sur le politique
Publié dans Challenge le 15 - 03 - 2008

Ouf! Les élections du week-end dernier en Espagne ont de nouveau porté Zapatero à la tête du gouvernement. Et cela ne vous aura pas échappé, tant la presse marocaine a allègrement et massivement rapporté l'événement, le Maroc est ravi de cette victoire. Cependant, l'on peut se demander, à juste titre d'ailleurs, si ces résultats vont véritablement changer la donne des relations hispano-marocaines, comme on nous l'a si souvent martelé. Du moins du point de vue économique. Car si sur la question du Sahara, le maintien de Zapatero est indéniablement une bonne nouvelle pour le Maroc, encore faudrait-il qu'il parvienne à nouer les bonnes alliances. Il n'en reste pas moins que sur le plan des relations économiques, PSOE ou pas, les jeux sont faits au-delà des considérations politiques. «Je vois très mal les investisseurs espagnols plier bagages à la suite d'un quelconque changement de gouvernement, surtout après avoir consenti d'importants investissements au Maroc», affirme le directeur commercial au Maroc d'un des plus grands groupes espagnols dans le secteur de l'énergie. Seules ombres alors restantes au tableau, Sebta et Mellila d'une part, et les immigrés marocains d'autre part. Sur la première question, l'opinion de Carles Llorens, Secrétaire des relations internationales de Convergencia i Unió (premier parti politique catalan et troisième parti en Espagne) est sans équivoque: «L'avenir hispano-marocain est plus important que le contentieux Sebta-Mellila. Mais il faut savoir que quelque soit le parti au pouvoir, il n'est pas question d'un quelconque changement concernant ces deux villes. Cela dit nous pensons, au-delà de toute question de drapeau, que Sebta et Melilla devraient devenir les Hong-Kong de l'Afrique». Sur la seconde question des travailleurs marocains en Espagne, Mohand Laenser, secrétaire général du mouvement populaire, interpelle: «il y a un million d'ouvriers en Espagne qui vont quitter le BTP en raison de la morosité annoncée du secteur, or la plupart sont Marocains. Que vont-ils devenir?». Car il faut garder à l'esprit qu'au niveau des transferts d'argent, entre janvier et septembre 2007, les MRE résidents en Espagne ont pesé pour 13,5% du total des recettes MRE, soit 4,82 milliards de DH. C'est pour toutes ces raisons qu'aujourd'hui, l'économique impose sa loi sur le politique. Car c'est d'abord la situation économique espagnole actuelle, et dans un second temps celle du Maroc, qui dictent l'intensité et la nature des relations économiques bilatérales: l'Espagne, vu le ralentissement de sa croissance, n'a d'autres choix que de s'ancrer davantage à l'international. Le Maroc, quant à lui, se doit de diversifier de manière équilibrée ses partenaires, pour ne plus être tributaire que d'un seul. Alors oui, les dés sont pipés dès le départ via l'économique, car quelque soit le gouvernement en place, les relations économiques s'intensifieront. Ne retrouve-t-on pas là la fameuse idée de «La Main Invisible» si chère à l'économiste anglais Adam Smith, selon laquelle la recherche de l'intérêt individuel est le plus sûr moyen d'oeuvrer pour accroître la richesse des nations... ?
Commençons par le rappel de quelques faits économiques récents. Voilà tout d'abord ce que rapporte le Financial Times en date du 5 mars dernier, suite à la publication des chiffres désastreux du chômage en Espagne, mais également d'un rapport faisant état d'une régression notable de son industrie: «le chômage en Andalousie est 50% plus élevé que la moyenne nationale espagnole (8 ,6%). En effet, la fermeture d'une usine de fabrication de pièces automobiles en Espagne, et l'implantation d'une autre au Maroc, le projet marocain de Tanger Med qui concurrencera Algeciras en Espagne, et les flux des grands investisseurs espagnols en immobilier et en construction sont tous des facteurs qui ont contribué à la régression de l'économie en Espagne». C'est ce que penseraient sommairement les Espagnols du Maroc, selon la correspondante à Madrid du Financial Times. Un argumentaire qui respire la droite espagnole. Seulement, ne faudrait-il pas tout d'abord connaître les motivations de ces investisseurs qui désertent l'Espagne avant d'accuser le Maroc de tous les torts? En d'autres termes, pour comprendre l'afflux des investissements espagnols au Maroc, il est indispensable de regarder de plus près l'évolution de l'économie espagnole ces dernières années. Sylvia Desazars de Montgailhard, maître de conférence à Sciences Po, et auteur d'un ouvrage qui vient de paraître intitulé «Madrid et le Monde», livre son point de vue sur la question dans un entretien accordé le 9 mars dernier au quotidien Le Monde. «Le modèle espagnol va devoir être réinventé. (…) Et les recettes qui ont permis à l'Espagne de rattraper le train européen n'opèrent plus». En réalité, l'auteur va plus loin dans son explication. D'une part, la croissance espagnole, qu'elle appelle «les trente glorieuses» de l'Espagne et qui actuellement s'achèvent, ne repose pas sur des activités à forte valeur ajoutée. En effet, le développement de l'économie espagnole s'est essentiellement basé sur des secteurs tels que le tourisme, le BTP ou encore la banque de détail. D'autre part, «les banques espagnoles ont un bon matelas pour faire face à la crise en raison de l'interdiction de la Banque Centrale espagnole d'utiliser certains instruments à risque», poursuit-elle. Résultat, le ralentissement de l'économie espagnole, et notamment la saturation de l'immobilier, du BTP et du tourisme, conjugués aux ressources des banques espagnoles, aiguisent les appétits de l'Espagne pour l'international. Emilio Botin, président du Santander, passé du 12ème au 8ème rang mondial et par ailleurs le deuxième actionnaire de référence d'AttijariWafa bank après l'ONA, ne manque pas une occasion d'affirmer que pour 2008, il compte bien prendre la place du numéro 1 mondial de la banque Citigroup. Des déclarations à rapprocher de la volonté fin novembre dernier, finalement avortée, du groupe bancaire espagnol, d'augmenter sa participation dans l'établissement marocain Attijariwafa bank, dont elle détient actuellement 14,55% du capital.
2005, un tournant majeur
Mais, il n'y pas que Santander qui se soit imposé au Maroc en 2007. La Caja Mediterraneo, la caisse d'épargne espagnole, après avoir acquis 5% de la BMCE en avril dernier pour 132 millions d'euros, a annoncé l'ouverture prochaine d'une agence au Maroc. Dernièrement, c'est au tour de la Caixa, la troisième banque d'Espagne après Santander, d'annoncer l'ouverture prochaine soit d'une succursale soit d'une filiale, car contacté à ce sujet, le responsable de leur bureau affirme ignorer encore la forme que prendra leur future présence au Maroc. Et cela à la limite importe peu, puisque si les banques espagnoles souhaitent s'ancrer dans l'économie marocaine, c'est qu'aujourd'hui, nombre d'entreprises qui opéraient de manière ponctuelle auparavant ont décidé désormais d'ouvrir des filiales au Maroc.
«Si nous ne sommes installés via une filiale que depuis 2005, Isofoton SA disposait déjà d'une expérience dans le pays depuis plus de 15 ans, avec des projets réalisés dans divers domaines d'application. Depuis 2005, notre activité n'a cessé de se développer, avec 10.000 clients installés dans le cadre du PERG, mais aussi avec la réalisation de projets innovants comme l'installation de deux unités de dessalement par énergie solaire dans les provinces d'Al Haouz et d' Essaouira (projet Adira), ou la première connexion au réseau via l'énergie solaire au Maroc, dans le bâtiment de l'ONE à Tit Mellil (projet Chourouk). Nous avons réalisé un chiffre d'affaires de 20 millions de DH en 2006, 30 millions de DH en 2007, et nos perspectives sont d'atteindre les 50 millions de DH cette année», affirme Juan Garcia Montes, directeur général d‘Isofoton Maroc. D'ailleurs, dans le secteur énergétique, les plus grands groupes espagnols sont présents : Endesa via entre autres la centrale de Tahaddart, Gamsa Eolica, avec son projet phare du parc éolien d'Essaouira inauguré en 2007, et même Inderbola, qui a signé en juillet dernier un accord de protocole. L'immobilier n'est pas en reste non plus. Le promoteur ibérique Marina d'Or compte investir 1,6 milliard de DH, Mixta Africa mise 800 millions de DH à travers des projets immobiliers à Tanger et Tetouan, CMS Group prévoit la construction de 8000 logements pour 34 millions d'euros…
Cela dit, deux périodes sont à distinguer dans l'afflux des investissements espagnols. Il y a nettement un avant 2005, et un après 2005. Pour preuve, les responsables de la mission économique espagnole à Rabat séparent la nature des investissements entre 1995 et 2005, de ceux de ces deux dernières années. «Durant la décennie 1995-2005, les principaux secteurs de destination de nos investissements ont été l'industrie agroalimentaire, les télécommunications et l'industrie des produits minéraux non métalliques», déclare Jaume Gosalbez de la mission économique espagnole à Rabat. Quant à 2006, elle a été pour le moins une année singulière pour l'Espagne. Et pour cause, tout le monde se souvient du rachat des 20% du capital de la Régie des Tabacs, restant encore aux mains de l'Etat. Du coup, l'opération a capté 82% des investissements espagnols cette année-là. Une opération qui s'élevait à 370 millions d'euros a complété le processus de privatisation de la Compagnie Marocaine de Tabac.
«En revanche, ce que l'on peut dire pour 2007, c'est que le secteur qui a reçu le plus important investissement espagnol a été celui de l'industrie de l'emballage, (43.44%), résultat d'une demande croissante de services d'emballage par des entreprises agroalimentaires d'origine espagnole implantées au Maroc. Derrière ces secteurs se trouvent les activités immobilières (24.07%) et l'industrie de la fabrication de minéraux non métalliques (17.53%)», poursuit Jaume Gosalbez.
L'évolution de la nature des investissements démontre que peu à peu, les Espagnols pénètrent l'ensemble des secteurs de l'économie marocaine. Et même au-delà des chiffres, la constitution depuis deux ans environ d'associations d'entrepreneurs espagnols à Larache, mais aussi à Agadir, témoigne de la vitalité nouvelle, ou retrouvée, des entreprises espagnoles au Maroc. «Notre association existe depuis le 22 novembre 2005, elle compte à ce jour 45 adhérents. Les secteurs les plus représentés sont ceux de l'agriculture et de la pêche. Ces dernières années, la présence des entreprises espagnoles dans la région d'Agadir s'est de plus en plus développée, surtout dans les secteurs de l'agriculture, de l'immobilier et du tourisme», témoigne Carla Lorenzo Del Castillo, directrice de l'Association des Entrepreneurs Espagnols d'Agadir. Et d'ajouter: «l'association est née pour stimuler toutes ces entreprises espagnoles intéressées par le marché marocain et les appuyer après leur installation. Sa mission principale est de sauvegarder les intérêts de tous ses associés en offrant de l'information, de l'appui devant les institutions marocaines et espagnoles et un forum dans lequel chacun peut exprimer ses inquiétudes et ainsi obtenir des solutions».
Cependant, si l'intensification de la présence espagnole a coïncidé avec le départ d'Aznar et l'arrivée de Jose Luiz Zapatero, il n'en reste pas moins que désormais, les relations bilatérales sont bel et bien devenues indélébiles.
Seul un petit bémol attire l'attention en 2007: les investissements espagnols ont accusé un recul de 15,7%, comparé à la même période en 2006. Un chiffre étonnant, que le conseiller commercial de la mission économique espagnole explique ainsi : «le recul des investissements pendant la période qui va de janvier à septembre 2007 n'est pas significatif, à partir du moment où le rythme des investissements ne suit jamais un parcours fixe et cumulatif, à part qu il y a toujours des hausses et des baisses en fonction d'opérations concrètes. Par ailleurs, historiquement, la plupart des investissements espagnols au Maroc étaient réalisés pendant le dernier trimestre de l'année». En revanche, sur le volet échanges commerciaux, l'Espagne et le Maroc réalisent un sans faute. «Au cours des dernières années, les relations commerciales entre l'Espagne et le Maroc se sont intensifiées. Les ventes et les achats espagnols ont augmenté à un rythme annuel moyen beaucoup plus important que celui de la totalité des exportations et des importations espagnoles», explique le conseiller commercial de la mission économique espagnole. Par conséquent, le Maroc est devenu le principal marché de l'exportation espagnole vers l'Afrique, creusant ainsi sensiblement l'écart avec les partenaires historiques de l'Espagne. Selon les dernières données disponibles en novembre 2007, 39,4% des exportations espagnoles vers l'Afrique avaient pour destination le Maroc, renforçant ainsi la tendance croissante des exercices précédents où ce pourcentage se situait aux alentours de 37%. Résultat, le Maroc a occupé pendant la période janvier-novembre 2007 la neuvième destination de la totalité de nos ventes à l'extérieur et la deuxième en dehors de l'Europe, juste derrière les Etats-Unis. «Cette situation représente une nouveauté par rapport à la position traditionnelle du Maroc, car désormais il dépasse le Mexique et la Turquie comme destination des exportations espagnoles», ajoute le conseiller commercial. Des résultats plus qu'encourageants pour les deux pays. Mais il faut dire qu'il reste aux deux pays beaucoup de chemin à faire. Car l'Espagne souhaite non seulement faire du Maroc un pont vers l'Afrique et le Moyen-Orient, mais aussi détrôner le partenaire numéro 1 du Maroc, autrement dit la France. Certes cette volonté n'est pas officiellement affichée ainsi, mais le mécontentement des Espagnols lors du passage de Nicolas Sarkozy au Maroc n'aura échappé à personne. «Il est vrai qu'avec Aznar, les relations bilatérales entre le Maroc et l'Espagne étaient désastreuses, et ont atteint le comble du ridicule avec l'incident de l'îlot Leïla en 2002. Mais la politique étrangère de Zapatero reste très critiquée. Pour preuve, comparez la moisson en contrats lors de la visite du président français avec celle du chef du gouvernement espagnol, et vous constaterez tout de suite la différence. Tout le monde a entendu parler du contrat du TGV, il n'y rien eu de véritablement concret avec l'Espagne», conclut Carles Llorenz, Secrétaire des relations extérieures du parti
catalan Convergencia.
La politique étrangère espagnole en question
La Méditerranée est l'une des priorités traditionnelles de la politique étrangère espagnole. Le gouvernement Zapatero a fait des relations avec le Maghreb, et particulièrement le Maroc, une de ses priorités. Mais après le traumatisme des attentats de Madrid et les élections de mars 2004, qui ont permis la victoire du PSOE, Zapatero a pris aussi le contre-pied systématique de son prédécesseur, Aznar, en politique étrangère : les troupes espagnoles ont été retirées d'Irak et l'Alliance des civilisations a été lancée à l'ONU, l'Espagne s'est réconciliée avec le Venezuela, Cuba et le Maroc et s'est brouillée avec les Etats-Unis et l'Algérie. Quant à l'Europe. Zapatero a tenu à revenir dans le giron de l'axe franco-allemand. Mais, tant que l'Espagne n'aura pas accès au G8, elle sera le «grand cinquième» européen. Avec Zapatero, la nouvelle politique étrangère de l'Espagne a perdu en agressivité, mais aussi en cohérence. Elle est moins portée sur la défense pragmatique et décomplexée des intérêts nationaux, élément qui a caractérisé les deux mandats d'Aznar et, avant lui, les quatre mandats de Felipe Gonzalez. En tous cas, l'action conjuguée de cette nouvelle politique étrangère «molle» et de la crise économique sont perçues comme une menace qui peut-être aura raison du dynamisme espagnol.
«D'ailleurs, lors de la dernière crise en Amérique Latine, notamment entre le Venezuela et la Colombie, concernant la libération des otages détenus par les FARC, c'est Sarkozy qui est intervenu, alors que jusque-là, ce rôle de médiateur en Amérique Latine revenait naturellement à l'Espagne», s'insurge Carles Llorens, du parti catalan Convergencia.
entretien avec David Alvarado, politologue
«Il existe encore des éléments de tension non encore dépassés et des malentendus conjoncturels»
Challenge Hebdo : comment voyez-vous actuellement les relations bilatérales entre le Maroc et l'Espagne ?
David Alvarado : malgré une actualité dominée par des problèmes et défis communs et après une période de turbulences marquée par les différences entre Rabat et le gouvernement de José María Aznar, surtout pendant le deuxième mandat de ce dernier, les relations bilatérales entre le Maroc et l'Espagne passent depuis l'arrivée au pouvoir de José Luís Rodríguez Zapatero par une sorte de « lune de miel ». Dans les rapports entre les deux pays, on peut noter l'excellente communication existante avec la multiplication des rencontres et visites, l'incessante augmentation de l'investissement espagnol au Maroc, qui constitue déjà 21% du total de l'investissement étranger, la forte progression des échanges commerciaux, une coopération à différents niveaux qui ne cesse d'augmenter, aussi bien que la présence, de plus en plus, de la langue et d'un certain type d'expression culturelle espagnole, plutôt andalouse, dans le Royaume.
C. H. : à quoi peut-on s'attendre après les élections législatives du 9 mars et la nouvelle victoire du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) ?
D. A. : on doit s'attendre à un renforcement des dynamiques déployées pendant ces dernières années. Malgré l'existence d'éléments de tension non encore dépassés et de malentendus conjoncturels. Il est à remarquer la proximité et concordance existante actuellement entre Madrid et Rabat, de même que la bonne ambiance qui domine leurs rapports. Pendant cette dernière législature du président Zapatero, les deux pays ont signé plusieurs accords dans différents secteurs tels que les énergies renouvelables, l'emploi et la formation, la coopération judiciaire et culturelle, la coopération sécuritaire, notamment par rapport au terrorisme, le combat et la prévention de l'immigration illégale, particulièrement à travers l'amplification des canaux légaux de l'immigration à l'attention des mineurs non accompagnés. L'importance du Royaume du Maroc pour l'Espagne, de sa stabilité et de son développement, prend aussi la forme de la détermination de Madrid à devenir le principal soutien de Rabat pour l'acquisition d'un « statut avancé » au sein de l'Union Européenne (UE).
C. H. : étant donné que le PSOE n'a pas obtenu de majorité suffisante pour gouverner seul, quelle serait la nature des futures alliances pour former un nouvel exécutif qui aurait une politique bienveillante envers le Maroc ?
D. A. : en général, comme je viens de le noter, la ligne à suivre pour le prochain gouvernement ne sera pas différente de celle de la dernière équipe. Par contre, par rapport aux « dossiers chauds » que j'ai aussi mentionnés, effectivement, il peut y avoir des modifications substantielles. La donne peut changer si le PSOE constitue une alliance gouvernementale à gauche, par exemple avec la Gauche Unie, la Gauche Républicaine Catalane et le Bloc Nationaliste Galicien, des partis qui ne cachent pas leurs sympathies à l'égard du Polisario, qui appuient l'autodétermination de l'ex-colonie espagnole, et qui ne reconnaissent aucune avancée du Maroc ces dernières années. Au contraire, si le PSOE arrive à s'allier, par exemple, avec les nationalistes catalans modérés de Convergence et Union, plus conscients de l'importance du Maroc, plus neutres dans le dossier du Sahara et plus sensibles à une large autonomie pour la région, ainsi que plus orientés vers la Méditerranée, les rapports bilatéraux peuvent même se renforcer davantage.
C. H. : quelles sont les variables ou les axes sur lesquels se basent actuellement les relations hispano-marocaines ?
D. A. : les relations hispano-marocaines ont connu un véritable essor après l'avènement de la démocratie en Espagne, à la fin des années soixante-dix. Il y a toute une multitude de variables à prendre en compte, qui sont soumises à des processus incertains et à des fluctuations, aussi bien par rapport à des éléments endogènes, des problématiques bilatérales, qu'exogènes, propres au contexte régional, maghrébin, méditerranéen et communautaire. Il y a, en effet, une pluralité de dossiers comme la coopération, les relations commerciales et économiques, l'institutionnalisation politique et diplomatique, qui fonctionnent en toute normalité et qui ont même élargi leurs contenus ces dernières années. Par contre, nous trouvons aussi des éléments qu'on peut considérer comme « structuraux », à savoir, le Sahara, Sebta et Melilla, l'immigration clandestine, la pêche, les trafiques illicites ou la sécurité, qui, en fonction d'une conjoncture politique ou un moment donné, peuvent être instrumentalisés, voire politisés, au service des parties, en introduisant dans les rapports communs une sorte de «conflictualité cyclique».
C. H. : est-ce qu'il y a une politique « marocaine » de l'Espagne ?
D. A. : officiellement, la politique extérieure espagnole à l'égard du Maroc s'inscrit dans une stratégie commune pour tout le Maghreb, avec une vocation globale, en ayant comme objectif principal celui de promouvoir le développement politique, social et économique de la région, en construisant une aire géographique prospère, stable et intégrée. Cependant, à part ces bonnes intentions « génériques maghrébines », il est indiscutable que le Maroc reste un acteur modéré et de premier ordre pour l'Espagne dans la région nord-africaine, le plus proche géographiquement et avec lequel il partage toute une série de problématiques communes qui n'existent pas avec l'Algérie, la Tunisie, la Libye ou la Mauritanie.
C. H. : donc, à la lumière de ce que vous venez de dire, le Maroc est un acteur incontournable pour l'Espagne ?
D. A. : oui, effectivement. Parmi les « atouts » du Maroc, on trouve ainsi, par exemple, sa position géostratégique, le fait d'être un allié privilégié des Etats-Unis, le maintien des relations privilégiées avec la France, qu'il soit également un partenaire privilégié de Bruxelles. Le Maroc a la vocation d'être une puissance régionale avec une grande influence dans le monde arabe et musulman. De cette façon-là, le Royaume est pour Madrid la porte de l'Afrique, du Maghreb, aussi bien que celle du monde arabe et musulman, un acteur clé et l'une des priorités dans la politique internationale espagnole, à côté de l'Amérique Latine, du bassin méditerranéen et de l'UE.
C. H. : le Maroc a-t-il toujours joué un rôle clé dans la politique extérieure de l'Espagne ?
D. A. : nous pouvons constater que depuis qu'une nouvelle politique à l'égard du Maghreb et du Maroc a vu le jour en 1982, lors de l'arrivée des socialistes de Felipe González au pouvoir et après avoir constaté que sa propre stabilité et celle de l'Europe étaient étroitement liées au développement intégral de la région méditerranéenne. Cette nouvelle politique est axée sur deux vecteurs principaux. Le premier, la création d'une souche d'intérêts bilatéraux mutuels et la coopération plurisectorielle. En deuxième lieu, il faut noter que la relation se base dorénavant sur les interdépendances, avec la mise en valeur et le renforcement d'une ample couche d'intérêts, l'institutionnalisation du dialogue politique et le choix d'encourager la démocratie, le pluralisme et les droits de l'homme.
C. H. : malgré ce constat positif, il existe des éléments négatifs qui nuisent de temps en temps aux relations bilatérales ?
D. A. : oui, il est vrai qu'il y a quelques sujets dans l'agenda bilatéral qui nuisent, de temps en temps, aux relations entre les deux pays. Ici, on trouve surtout le dossier du Sahara occidental, la considération au Maroc de Sebta et Melilla comme des « présides occupés », des questions liées en ce moment à la rénovation de l'accord de pêche avec l'UE ou même l'aggravation du drame de l'immigration illégale, qui compte une composante de plus en plus subsaharienne, même si ce dernier n'est plus une affaire tout à fait bilatérale sinon plutôt euro-maghrébine.
C. H. : que pouvez-vous nous dire des menaces qui cernent le Maroc et l'Espagne?
D. A. : à côté de l'immigration illégale et de la lutte contre les trafics de marchandises et de substances illicites, qui lient déjà les deux pays par une certaine tradition de travail en commun, il faut parler de l'existence d'une réelle menace terroriste. L'avènement d'Al Qaida au Maghreb islamique, nouvelle dénomination du Groupe algérien Salafiste pour la Prédication et le Combat, qui a pour principale mission la coordination de l'activité terroriste dans la région maghrébine, base arrière privilégiée pour préparer des attentats en Europe, oblige à une collaboration plus étroite et à une réponse unitaire hispano-marocaine à l'égard du fléau djihadiste.
C. H. : peut-on se trouver dorénavant à l'aube d'une nouvelle ère des relations bilatérales entre le Maroc et l'Espagne ?
D. A. : à la lumière des faits que nous venons de citer, la réponse à une telle question semble être affirmative, avec un passé et un présent communs, une proximité géographique et historique, et une obligation à se comprendre et à vivre ensemble, avec une «couche d'intérêts» assez considérable, en attendant le dépassement de quelques- uns des conflits traditionnels entre les deux pays, et devant l'existence des enjeux qui doivent être obligatoirement et impérativement abordés conjointement.


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