Il suffit d'un nom pour apprendre. La seule femme marocaine à incarner à la fois le politique, l'associatif et le juridique, s'appelle Jamila Sayouri. Il suffit d'un mot pour comprendre. Le militantisme pour les droits des femmes victimes des violences et pour la réforme du système judiciaire, encore et toujours reste son maître mot. Si bien qu'elle nous affirme dans une discussion conviviale autour d'un café, qu'elle n'a d'autre projet, ni ambition, à part ses devoirs à l'égard des victimes de la violence, de la misère et de l'exclusion. ''Grimper les postes pour les grimper c'est contre ma nature. Seule mission qui me tient à coeur, le respect de moi-même et le combat contre les injustices''. Il suffit enfin d'une expression pour résumer son champ de compétences : le travail doit s'inscrire dans l'esprit d'équipe qui stimule les compétences et favorise l'intelligence collective. Le militantisme est le chemin le plus productif pour exprimer toutes les émotions. Car, oui, des émotions Jamila en ressent. Elle a côtoyé fréquemment plusieurs formes d'injustice et de violence. Et un jour, elle en a eu assez. Tout commence en 1984 lorsqu'elle intègre dès sa première année universitaire à Fès, le mouvement de gauche, enthousiasmée par les valeurs de justice et d'égalité sociale qui lui ont été inculquées d'abord par sa mère, veuve très jeune, et dont les mots sont impuissants à décrire les épreuves qu'elle avait à endurer pour élever et éduquer ses enfants. Ensuite par ses diverses lectures des écrivains et philosophes qui lui tenaient à cœur à l'époque, tels Karl Marx, Nawal Saâdaoui et Freud entre autres.. Commence alors un éprouvant combat, dont le succès mérité lui permet d'intégrer le mouvement politique de gauche où elle allait accumuler une belle expérience dans la lutte pour le droit des femmes victimes de violence et d'exclusion. Native de Fès, elle garde un attachement inaltérable pour ses origines taounaties et plus précisément pour la localité de Houara où sont nés ses parents et ses grands parents. ''Je suis née à Fès, élevée dans un environnement socioculturel fassi, mais je suis très attachée à mes origines. Vous ne pouvez pas échapper à ce que vous êtes, dans vos réactions, dans vos comportements et dans vos gênes.. Je suis très liée à ma terre d'origine où je me rendais depuis que j'étais enfant. Mes grands parents sont enterrés à Houara à quelques kilomètres de Tissa, la capitale de la Fantasia. Et quand ce lieu accueille pour sa dernière demeure, les personnes que vous avez aimées le plus au monde, cela veut dire que mon lien avec lui est inaliénable, inaltérable. D'autant que c'est une région fascinante et exceptionnelle aussi, par sa diversité culturelle et ses traditions de générosité et d'hospitalité légendaires''. Fille d'un âlem, notable conservateur, notre avocate membre du barreau de Rabat, n'a gardé de son père que l'essentiel : une générosité débordante envers le petit peuple et une grande discrétion dans l'action. Son père avait fait don d'un lot de terrain pour la construction par ses propres moyens d'une école à Houara qui avait accueilli sur ses bancs, parmi tant d'autres élèves, notre ancien ministre de l'Intérieur et ancien Directeur Général de la Sûreté Nationale, Ahmed Elmidaoui, et nombre d'ingénieurs, médecins, enseignants et autres.. D'une civilité avérée, Jamila est d'abord une grande lectrice. C'est une véritable encyclopédie de culture politique et juridique, capable de discourir sur le plus ancien jusqu'au dernier ouvrage traitant des nouvelles lois et textes sur les violences subies aux femmes de par le monde. Elle explore ses convictions sans tenir à plaire à quiconque. Elle utilise à cet effet un langage libéré, franc, vivant, qui parcourt le quotidien de la femme dans sa complexité. C'est pour cette raison, entre autres, qu'elle va délaisser quelque peu le politique où elle s'est vueoctroyée par voie électorale une place de choix au Bureau politique du Parti socialiste démocratique (PSD), issu d'une scission de l'organisation de l'action démocratique populaire (OADP). Elle va ainsi contribuer activement à la création en 1996 du Centre ''Annajda'' d'aide aux femmes victimes de violence. S'ensuit la création en 2005 avec une élite d'acteurs associatifs, de ''Adala'', une association destinée à accompagner les réformes du système judiciaire marocain et consacrer le droit à un procès équitable. Elle est également membre de la Coalition pour la Cour pénale internationale et du secrétariat exécutif marocain de cette même coalition. Ancienne membre de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme, elle siège aujourd'hui au Bureau international du Réseau méditerranéen des droits humains qui regroupe quelque 70 organisations de défense des droits humains basée dans 30 pays de la région méditerranéenne, après avoir été élue et réélue par une majorité confortable, à Bruxelles. Fondé en 1997, le Réseau siège à Copenhague. Aujourd'hui, Jamila a plus d'une corde à son arc. Elle doit réussir cet équilibre difficile entre militantisme et suivi régulier du parcours, très réussi certes, de ses trois enfants, Rajae, Hiba et Anouar. Son chemin n'a pas été parsemé que de gloire. Sa vie militante est aussi une succession de sacrifices éprouvants, mais sa proie reste encore et toujours l'injustice. À la tête de Adala depuis 2012, elle engage son action sur trois fronts : résister à l'exclusion, agir en faveur des plus vulnérables qui sont les femmes et veiller à la mise en place de mécanismes adéquats de lutte contre les épisodes sombres de ces vieilles pratiques qui font perdurer les souffrances sociales féminines.