En dépit des naufrages et des risques mortels de la traversée de la Méditerranée, les «harraga» algériens sont de plus en plus nombreux à prendre la mer, en direction des côtes espagnoles. La recrudescence des départs de migrants a été accentuée par la pandémie de Covid-19. Plus de 8 000 interceptions ont été effectuées par les garde-côtes algériens en 2020. L'Algérie a voté en 2009 une loi visant à «combattre l'émigration clandestine» qui prévoit des peines allant jusqu'à six mois d'emprisonnement pour les contrevenants, mais cela n'a pas eu d'effet dissuasif sur les départs. Douze ans après, le constat est amer. «Depuis près de deux ans, l'immigration clandestine de l'Algérie explose vers les côtes européennes. Selon Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, rien que pour la route occidentale de la Méditerranée (du Maghreb vers l'Espagne), le nombre de tentatives s'élève à 16 337 de janvier à octobre 2021, dont 10 327 provenant de l'Algérie», écrit Le Point dans son édition du 2 décembre. «Oui, cette année, cette "route algérienne'' a été très empruntée, ce qui a engendré proportionnellement un nombre important de disparus et de décès», explique au magazine Francisco José Clemente Martin. «Durant les trois mois d'été, de nombreuses embarcations emmènent même des femmes et des handicapés, parfois des familles entières», poursuit un témoin marqué par les expériences de sauvetage des taxis-pateras, ces embarcations rapides boostées par deux puissants moteurs hors-bord pour atteindre l'Espagne en à peine quatre heures. «D'après son décompte, pendant les trois premières semaines de novembre 2021, la seule région d'Almeria a enregistré 65 personnes sauvées après le naufrage de leurs embarcations et 22 décès en mer, sans compter les disparus, dont le nombre est difficile à chiffrer. Le 22 novembre, un avion militaire espagnol n'a pu retrouver, en raison du mauvais temps, une embarcation signalée par des bateaux marchands sur l'axe Mostaganem-Almeria. Les garde-côtes espagnols restent en état d'alerte permanent sur toute la façade sud et est du littoral, et surtout dans les îles Baléares. En deux nuits, les 16 et 17 octobre, pas moins de 147 Algériens, voguant sur douze pateras, ont pu être sauvés in extremis au large des îles de Majorque et de Cabrera dans les Baléares. À ces statistiques, il faudra ajouter les 218 Algériens expulsés d'Almeria entre le 5 et le 22 novembre» pointe l'hebdomadaire. «Ils renvoient actuellement tous les Algériens», témoigne Francisco José Clemente Martin «l'Algérie a renforcé son dispositif législatif, on peut risquer jusqu'à six mois de prison, peine qui peut être alourdie par les sept ans de prison pour... infraction à la loi du change puisque les candidats au départ se munissent de sommes en euros! Les passeurs, eux, sont plus lourdement condamnés, jusqu'à trois ans de prison» dévoile Le Point. «Les plages, à l'extrême ouest algérien, sont prisées pour les départs vers l'Espagne. Almeria n'est qu'à 208 kilomètres. Le bilan de la gendarmerie algérienne, pour l'année 2020, fait mention de 8 184 harraga interceptés et 190réseaux de passeurs démantelés, précise le chercheur Saïb Musette, un spécialiste des migrations en Algérie. Et rien qu'entre le 17 et le 23 novembre 2021, l'armée algérienne a procédé au "sauvetage" de 231 personnes au large des côtes! Immigration clandestine et crime organisé. Le modus operandi suivi par les candidats à la harga (l'action de brûler les papiers) reste quasiment le même: il faut se connecter à des réseaux «professionnels», présents tout au long de la côte algérienne, composés d'un groupe restreint avec parfois des connexions dans le sud de l'Europe» a-t-on détaillé. «L'Espagne n'est souvent pas la destination finale. Les réseaux de solidarité sont plutôt en France. Les réseaux aident au passage de la frontière hispano-française et certains clandestins se retrouvent intégrés dans les milieux des narcotrafiquants, par exemple dans les cités nord de Marseille», assure une source sécuritaire européenne au Point. Selon le chercheur Saïb Musette: «La jonction entre passeurs et crime organisé est plus forte surtout au niveau des frontières terrestres de l'Algérie, moins en ce qui concerne les frontières maritimes. Les crimes transfrontaliers terrestres sont intenses dans l'Ouest, notamment les narcotrafiquants et la contrebande, tandis que les réseaux terroristes sont plus actifs au niveau des frontières avec les pays subsahariens.» Pourtant, selon une source officielle espagnole qui travaille sur ce dossier depuis Barcelone interrogée par Le Point, «effectivement, sur certaines embarcations interceptées nous saisissons des armes et de la drogue.»