Le nombre de corps de migrants naufragés de nationalité algérienne qui tentent de gagner l'Europe à bord d'embarcations de fortune a explosé ces dernières semaines. Et les réalités derrière ce phénome sont d'une cruauté ansolue. En Algérie, une loi votée en 2009 punit jusqu'à six mois de prison toute tentative de quitter clandestinement le territoire national. Elle sanctionne également les passeurs de peines pouvant aller jusqu'à 20 ans d'emprisonnement. Malgré un arsenal législatif coercitif, des Algériens tentent massivement, et régulièrement, de rejoindre l'Europe en traversant la Méditerranée, au péril de leur vie. «Au cours des dernières semaines, les traversées par voie maritime entre l'Algérie et l'Espagne ont augmenté et plusieurs embarcations ont fait naufrage. Sur la route de la Méditerranée occidentale, le nombre de disparitions et de décès a pratiquement doublé entre 2020 et 2021. Sur les réseaux sociaux, les images de jeunes Algériens prenant la mer à bord de frêles embarcations en bois ou semi-rigides pullulent depuis quelques semaines. Mi-septembre, plus de 1 000 harraga de cette nationalité (du nom de ces candidats au départ qui tentent la traversée du Maghreb à l'Europe par la voie maritime) auraient gagné les côtes espagnoles en l'espace de trois jours, selon plusieurs médias algériens. Une information également relayée par un membre de l'ONG espagnole Héroes del Mar, qui évoque en parallèle davantage de naufrages et de morts cette année» raconte le site Médiapart qui a enquêté sur le phénomène. Le site a récolté des témoignages, des données et des faits d'une choquante ampleur. «Il y a eu une hausse des traversées assez forte ces derniers mois, surtout des embarcations transportant des Algériens. Un nombre important de personnes est arrivé en moins de 72 heures sur les côtes espagnoles, c'est quelque chose que l'on a rarement vu. La belle saison se termine, de plus en plus de personnes se précipitent pour partir», détaille Francisco Jose Clemente Martin, également membre du Centre international pour l'identification de migrants disparus (CIPIMD). «Il y a une intensification des départs de l'Algérie vers l'Espagne depuis juin, souligne Nabila Moussaoui, anthropologue et chercheuse algérienne à l'université Oran II-Mohamed Ben Ahmed. Mais depuis quelques semaines, on voit des chiffres encore plus importants.» Selon le site français, «l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) décompte au 5octobre 2021 13 986 arrivées en Espagne par la route de la Méditerranée occidentale, dont 2116 en juillet et 2040 en août, 3951 en septembre. À la mi-septembre, l'OIM note ainsi une hausse de 33 % du nombre de traversées par rapport à l'an dernier à la même période. Selon nos informations, 90 % des personnes ayant réussi la traversée seraient originaires du Maghreb. L'Algérie serait la nationalité la plus représentée.» Les Etats de la rive nord de la Méditerranée choisissent de lutter contre les flux migratoires «irréguliers» à travers des politiques toujours plus restrictives et sécuritaires. En Algérie, l'une des principales mesures mises en œuvre par les autorités a été l'introduction du délit de sortie illégale du territoire dans le code pénal, sans succès. «On voit aussi, beaucoup plus que d'habitude, des jeunes femmes algériennes célibataires, avec ou sans enfants. Et la féminisation du phénomène ne concerne pas que les femmes de l'Oranie, certaines sont originaires de Bejaïa [en Kabylie – ndlr] et ont d'ailleurs péri dans des naufrages récemment», poursuit la chercheuse, interrogée par le site français, spécialiste des migrations. «Le 26 septembre, le CIPIMD faisait état de quatre embarcations de harraga naufragées près des côtes espagnoles, causant la mort d'une cinquantaine de personnes, dont des femmes et enfants. À ce jour, l'OIM comptabilise 263 disparitions et décès sur la route de la Méditerranée occidentale pour l'année 2021 – une sous-estimation puisque beaucoup de naufrages ne sont pas documentés» souligne Médiapart. «De notre côté, nous en comptons plus de 300», complète Francisco Jose Clemente Martin. « Entre 2020 et 2021, sur la même période (de janvier à septembre), le nombre de disparitions et de décès a presque doublé, passant de 131 à 240 selon l'OIM. Si la hausse des départs sur les trois derniers mois s'explique en partie par le facteur météorologique, elle traduit également un profond mal-être de la société algérienne, en proie à des difficultés socioéconomiques grandissantes. Le Hirak (mouvement de contestation sociale né en Algérie en février 2019), qui avait redonné espoir à une partie de la population s'est essoufflé depuis la crise sanitaire liée au Covid-19» ajoute le pureplayer. «La hausse du trafic ces dernières semaines et la présence plus marquée des femmes dans les traversées sont un révélateur de ce qu'il se passe dans la société, selon Nabila Moussaoui. Il y a d'une part une rupture de confiance avec le gouvernement, car l'arrivée de Tebboune n'a démontré aucun changement et, d'autre part, la cherté de la vie, la hausse des prix qui a atteint 30%, le manque de perspectives, le projet avorté de l'Algérie nouvelle avec la fin du Hirak, la fermeture des frontières, la dévalorisation de l'Etat algérien sur le plan international... Tout cela pèse sur la vie des locaux» détaille-t-on. « Selon la chercheuse, de plus en plus d'Algériens issus des classes moyenne et intellectuelle seraient tentés d'émigrer au Canada par la voie légale, tandis que la France a récemment annoncé durcir l'octroi de visas aux Maghrébins» mentionne la même source. «Il y a un ras-le-bol général et une misère sociale tels en Algérie que les gens sont arrivés à un point de non-retour», rapporte un membre dirigeant de Bejaïa littoral, dont l'association, selon Médiapart, a tenté d'alerter sur les drames humains en cours. Sur une autre vidéo, tournée en juin dernier, des passeurs parviennent à s'échapper lorsque la marine tente de les intercepter, toujours au niveau des côtes oranaises. «Les mafias ont en effet de meilleures embarcations et font en sorte de partir plus légères de manière à être plus rapides. Nous sommes très inquiets car avec autant de personnes en même temps et à ce rythme, nous n'avons pas les moyens ni les fonds pour rechercher les embarcations de migrants et enquêter sur les disparitions... Mais nous continuerons autant que possible à venir en aide aux personnes en difficulté en mer et aux familles qui ont besoin de soutien dans ces moments difficiles», conclut pour Médiapart Francisco Jose Clemente Martin, qui documente sans coup férir la vérité des personnes mortes en Méditerranée occidentale.