Gagnés par le désespoir et la désillusion, les jeunes algériens fuient par milliers leur pays, souvent à bord d'embarcations de fortune pour gagner les côtes espagnoles, distantes de seulement 200 km. De nombreux "Harraga", c'est ainsi qu'on les appelle, n'arrivent pas souvent à atteindre cet Eldorado, disparaissant en pleine mer noyés et privant leurs familles meurtries de faire leur deuil. En dépit de l'ampleur, sans précédent, prise par ce phénomène depuis le début de 2021 et des drames provoqués au quotidien par cet exode massif, des récits rapportés par les médias algériens et les ONG espagnoles et des pressions exercées par Madrid, les autorités algériennes se cantonnent dans un silence assourdissant. Les vagues successives d'immigration clandestine et le nombre impressionnant de barques qui échouent sur les côtes espagnoles, ne semblent pas figurer pour l'instant dans l'ordre des priorités des pouvoirs en place. Ce qui s'est produit en haute mer la semaine dernière provoquant la disparition ou la mort de plus de 50 personnes ne constitue pas un cas isolé. Depuis mai dernier, au regard d'un flux sans précédent d'immigrés clandestins au départ des côtes algériennes, les récits de tragédies rapportés par les médias et les ONG espagnoles notamment, semblent entrer dans la normalité des choses. Les seules réactions viennent des familles des disparus, de la Ligue algérienne des Droits de l'Homme et des ONG espagnoles qui continuent à fournir des statistiques ou s'emploient à identifier les corps des personnes noyées. Pourtant, les quatre embarcations parties d'Oran, d'Alger et de Boumerdès, il y a plus d'une semaine, faisant naufrage sur les côtes espagnoles, ont causé la mort ou la disparition de près d'une cinquantaine de migrants irréguliers algériens. Un bilan des plus lourds enregistrés par les garde-côtes espagnols, mais prévisible au regard des vagues incessantes d'embarcations de fortune qui quittent les côtes algériennes depuis quelques semaines. Le mois de septembre a enregistré un flux massif de clandestins en provenance d'Algérie. Du 1er au 23 septembre, plus de 2.200 Algériens ont débarqué sur les côtes espagnoles à bord de 150 embarcations ou plus et il ne s'agira là que de chiffres approximatifs qui ne tiennent compte que les clandestins secourus ou interceptés par le service maritime de la Garde civile. Le chiffre des "Harragas" algériens ayant débarqué illégalement en Espagne a dépassé les 1.000 voyageurs clandestins en trois jours, à savoir les 17, 18 et 19 septembre 2021. Une vague, témoigne Francisco José Clemente Martin, membre du Centre international pour l'identification de migrants disparus, jamais enregistrée auparavant. En un seul week-end du mois de mai dernier, près de 700 migrants irréguliers algériens sont arrivés sur le sol espagnol. Cela fait que depuis le début de l'année en cours, jusqu'au 15 mai, 320 embarcations clandestines ont pris la mer en direction des côtes espagnoles, soit presque le double du flux de la même période de l'année passée. Les récits de ces départs massifs, des embarcations qui n'arrivent jamais à bon port, des cadavres qui jonchent les côtes, sont rapportés au quotidien. Face à l'hécatombe, on se cloître dans un silence suspect. Le phénomène de l'émigration clandestine a pris des proportions inquiétantes ces derniers mois et certains le qualifient de "double suicide". Qu'est-ce qui poussent les jeunes algériens à vouloir quitter leur pays, au péril de leur vie ? La réponse est, on n'en peut plus claire : "La désillusion" et "le désespoir", mentionne la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH). "Le phénomène de la Harga est appelé à s'amplifier au fur à mesure où le désespoir gagne la société après toutes les tentations de l'assassinat du rêve algérien pour le changement suscité par le Hirak", martèle Saïd Salhi, vice-président de la LADDH dans un post sur sa page facebook. Selon lui, il s'agit d'une "situation tout à fait prévisible". Faute de pouvoir migrer légalement en Europe, tous les moyens sont utilisés pour rejoindre l'autre rive de la Méditerranée, seule issue pour espérer sortir de la pauvreté et fuir la répression pour nombre d'Algériens. Outre les jeunes, la classe moyenne algérienne est de plus en plus encline à quitter le pays afin de fuir le mal vivre, le blocage que traverse le pays. La recrudescence des flux de migrants clandestins est le signe de la profonde crise économique et sociale et l'expression du ras-le-bol d'une jeunesse désespérée qui n'a, comme seule alternative, que de quitter le pays même si cela causerait sa perte. De nombreux analystes soutiennent que l'impasse politique en Algérie a été l'accélérateur de ce flux massif vers les côtes européennes. Privée de perspectives et ne croyant plus pouvoir trouver sa place dans son propre pays avec l'entêtement d'un régime aux abois, à maintenir le statu quo politique, cette jeunesse désorientée et désemparée a fini par opter pour le choix du pire en cherchant à fuir la "Nouvelle Algérie", promise par un régime en crise de légitimité, même au péril de sa vie.