La situation est si tendue après la décision de la Turquie d'ouvrir sa frontière avec l'UE que l'agence européenne Frontex a relevé son niveau d'alerte à «élevé». Depuis que la Turquie a ouvert, vendredi, ses frontières avec l'Union européenne, des milliers de migrants – hommes, femmes et enfants venus surtout de Syrie, d'Afghanistan, du Pakistan, de Somalie et d'Irak – se massent à la frontière de la Grèce dans l'espoir d'entrer sur le territoire européen. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), une agence de l'ONU, a évalué samedi soir leur nombre à au moins 13.000, parqués dans les points de passage de Pazarkule et Ipsala, côté turc. Les autorités grecques, qui ont fermé leurs frontières, disent que «9.972 entrées illégales ont été empêchées dans la région d'Evros», de samedi matin 5 heures à la même heure dimanche matin. Elles affirment que seules quelques dizaines de personnes ont pu pénétrer sur son territoire, faisant état de 136 arrestations. Frontex expliqué être en train de renforcer en personnel ses opérations en Grèce, mais aussi en Bulgarie. « Nous examinons d'autres moyens de soutenir les pays de l'UE frontaliers avec la Turquie », a-t-elle ajouté. Bloquées à Pazarkule, des milliers de personnes ont passé la nuit emmitouflées dans des couvertures, allumant des feux de camp pour se réchauffer. Masque hygiénique sur le visage, des gendarmes turcs leur faisaient signe de la main d'avancer. Dans la matinée de dimanche, des centaines d'autres continuaient d'arriver, marchant en file indienne à travers des champs en direction du poste frontalier avec la Grèce. D'autres essayaient de traverser sur des canots pneumatiques pour atteindre l'île de Lesbos. La Grèce, principale porte d'entrée européenne lors de la crise migratoire de 2015-2016, héberge toujours plus de 40 000 migrants sur les îles égéennes, où ils sont entassés dans des camps surchargés. Depuis l'annonce turque, militaires et policiers grecs ont renforcé leurs patrouilles le long du fleuve Evros, avertissant par haut-parleur de l'interdiction d'entrer en Grèce. Mais la zone est vaste et difficile à surveiller. Des drones sont utilisés pour tenter de localiser les groupes de migrants marchant près de la ligne invisible. Au cours du week-end, des migrants ont découpé des trous dans la clôture frontalière côté turc pour pénétrer dans le no man's land, mais ont été repoussés par des grenades lacrymogènes, auxquelles répondaient des jets de pierre sur les policiers. Selon l'OIM, des autocars chargeaient certains dans plusieurs villes turques, notamment Istanbul, pour les conduire vers la zone frontalière. «Non seulement ils ne les arrêtent pas, mais ils les aident», a dénoncé, sur la chaîne Skai TV, le vice-ministre grec de la défense, Alkiviadis Stefanis, à propos des autorités turques. La décision de la Turquie d'ouvrir ses frontières terrestres et maritimes avec l'UE pour laisser passer les migrants réveille la crainte d'une nouvelle crise migratoire semblable à celle de 2015. Ankara a remis en question le pacte conclu en 2016 avec Bruxelles, aux termes duquel le gouvernement turc s'était engagé, contre 6 milliards d'euros, à lutter contre les passages illégaux. Le pays abrite plus de 3,6 millions de réfugiés syriens. La Turquie cherche ainsi à faire pression sur l'UE et les membres de l'OTAN pour obtenir leur soutien dans ses opérations militaires en Syrie. Jeudi, 33 soldats turcs ont été tués dans des frappes aériennes attribuées par Ankara au régime syrien. Dans le seul mois de février, l'armée turque a perdu 54 soldats à Idlib. Fahrettin Altun, directeur de la communication du président turc Erdogan, a dénoncé « l'hypocrisie » de ceux qui critiquent la décision de la Turquie d'ouvrir ses frontières : «L'Europe et les autres doivent prendre des décisions fortes pour faire face à ce problème monumental. On ne peut pas attendre que nous gérions cela seul». Dimanche, la Turquie a affirmé que les attaques militaires menées depuis vendredi contre le régime de Damas, qui ont tué près de 90 militaires fidèles à Bachar al-Assad, prenaient le nom de «l'opération ‘Bouclier de printemps'». Le ministre de la défense a assuré que son pays n'avait «ni l'intention, ni l'envie d'entrer dans une confrontation avec la Russie». Alors que les rapports entre Ankara et Moscou, soutien de Damas, se dégradent rapidement, M. Erdogan et Vladimir Poutine pourraient se rencontrer jeudi ou vendredi à Moscou, selon le Kremlin.