La Grèce prévoit de construire un mur sur un tronçon de sa frontière avec la Turquie. Objectif : bloquer l'arrivée de migrants clandestins sur le sol européen. Cette volonté de cloisonnement, qui n'est pas sans rappeler d'autres murs déjà construits ne fait pas l'unanimité notamment auprès de la Commission européenne. Retour sur les tenants et aboutissants d'un tel projet. Bloquer l'immigration irrégulière, tel est l'objectif affiché par le gouvernement grec qui a confirmé cette semaine son intention de clôturer une partie de sa frontière avec la Turquie. La construction d'un mur de 12,5 km de long est ainsi prévue dans la région du fleuve Evros, située à deux heures d'Istanbul, entre les villes d'Orestiasa et de Vissa. Il s'agirait d'une barrière de barbelés, équipée de caméras thermiques et de capteurs ultrasensibles, destinée à surveiller et stopper l'arrivée des clandestins. Et pour cause, la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie est devenue le point d'entrée principal vers l'Union européenne pour les migrants irréguliers et les demandeurs d'asile. S'expliquant sur le projet, le ministre grec chargé de l'immigration, Christos Papoutsis, a indiqué qu'en 2010, près de 128.000 personnes ont choisi la région d'Evros pour pénétrer clandestinement dans l'espace européen, soit près de la moitié des migrants clandestins détectés. «La société grecque a dépassé ses limites en matière de capacité d'accueil des migrants clandestins. La Grèce n'en peut plus», a-t-il constaté. La crise économique que traverse le pays ne calme pas les inquiétudes et le contexte a sans aucun doute pesé sur la prise de décision. Avec ce projet de construction d'un mur frontalier avec la Turquie, la Grèce tire la sonnette d'alarme, après avoir déjà à plusieurs reprises sollicité l'aide de l'Union européenne. En effet, le pays accueille à l'heure actuelle 90% de l'immigration clandestine et ne parvient pas à gérer cet afflux massif. La situation humanitaire est critique du côté grec de la frontière, avec un grand nombre de personnes détenues dans des conditions extrêmement difficiles, ainsi que l'a récemment souligné le Rapporteur spécial des Nations Unies, Manfred Nowak, après une visite dans cette région. A la demande d'Athènes, quelque 200 gardes-frontières de l'agence européenne Frontex, en charge de la sécurité des frontières, sont déployés depuis novembre le long des limites orientales du territoire grec. Leur présence a permis de réduire de 44% le nombre d'entrées irrégulières, mais la fin de leur mission est annoncée pour le mois prochain. Autre mesure en cours, la Grèce prévoit également de réformer la procédure d'octroi de l'asile, critiquée vivement depuis des années, notamment par le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés. Un projet de loi sera déposé dans ce but au Parlement le 11 janvier, préconisant la mise en place d'une autorité indépendante chargée d'examiner les demandes d'asile. L'absence de politique commune européenne Le projet de construction d'un mur frontalier entre la Grèce et la Turquie met en évidence l'absence de politique commune européenne en matière d'immigration. Suite aux déclarations grecques sur un tel projet, Bruxelles a émis des réserves. «Les murs ou les grillages sont des mesures à court terme qui ne permettent pas de s'attaquer de manière structurelle à la question de l'immigration clandestine», a déclaré en ce sens Michele Cercone, porte-parole de la commissaire européenne en charge de la sécurité Cecilia Malmström. De son côté, M. Papoutsis dénonce «l'hypocrisie de ceux qui reprochent à la Grèce de ne pas surveiller ses frontières selon les critères de Schengen et qui la jugent alors qu'elle veut logiquement protéger ses frontières». La question se pose en effet à l'échelle européenne, car si la Grèce est devenue la principale porte d'entrée des migrants, c'est en raison du renforcement de la surveillance des frontières de l'Espagne et l'Italie. Les gouvernements espagnols et italiens n'ont pas mis fin à l'immigration avec leurs nouvelles mesures, ont juste contribué à déplacer les routes empruntées par les clandestins en rêve d'Europe. La construction d'un tel mur interroge également sur les relations entre la Grèce et son voisin turc, souvent houleuses de par le passé en raison de la question chypriote. Athènes s'est déjà plaint à plusieurs reprises du manque d'efforts d'Ankara pour lutter contre l'immigration. Toutefois, les deux voisins se sont engagés au cours des derniers mois à améliorer leur coopération. Christos Papoutsis a souligné que le projet de clôture «n'était en aucune manière dirigé contre la Turquie». Jouant la carte de la compréhension, le vice-Premier ministre turc, Cemil Cicek, a déclaré que «chaque pays a le droit de prendre les mesures nécessaires sur son territoire pour maintenir la sécurité de ses frontières et de lutter contre l'immigration clandestine». Toutefois, la construction d'une barrière à la frontière d'un pays candidat à l'Union européenne pose des questions sur l'avenir de sa candidature et sur le sens du «partenariat privilégié» évoqué avec Ankara.