Denis Ducarme, député fédéral belge, déplore la résolution tendancieuse du Parlement européen sur les événements de Laâyoune. Il affirme que cette résolution ne reflète nullement la position de l'ensemble des Européens. ALM : Que dites-vous à propos de la résolution adoptée récemment par le Parlement européen sur les incidents sanglants de Laâyoune ? Denis Ducarme : Nous sommes assez surpris de voir le Parlement européen prendre des décisions aussi à charge du Maroc. Je compte interpeller dans les prochains jours le ministre belge des Affaires étrangères à propos de cette question. En fait, plusieurs membres du PE se sont opposés, lors de la phase de la discussion, à cette résolution, notamment Louis Michel ancien ministre belge des Affaires étrangères, ancien commissaire européen et membre du mouvement réformateur. Ce dernier qui connaît bien les questions relatives aux droits de l'Homme s'est opposé fermement à cette résolution. Il m'a informé que cette résolution ne reflétait nullement son opinion. Je peux, pour ma part, aujourd'hui affirmer que la résolution du Parlement européen à cet égard ne reflète nullement la position de l'ensemble des Européens. On voit par ailleurs que cette résolution du PE s'est articulée sur base de certaines informations dont la véracité semble aujourd'hui remise en question. Meme au sein du PE, elle a produit une polémique, en effet, il n'y a pas eu de vote par groupes politiques sur cette résolution. C'est une situation assez rare. Avant d'adopter cette résolution, le Parlement européen aurait à mon sens dû au préalable dépêcher une mission pour s'assurer de ce qui s'est réellement passé, une audition au ministre marocain des Affaires étrangères et une réunion de la commission mixte ad hoc n'aurait pas été du luxe. La résolution du Parlement européen n'est-elle pas en mesure d'accentuer la tension entre les parties au conflit, au lieu de favoriser le climat de sérénité qu'exige le processus de négociation en cours ? En fait, la résolution du PE est fortement à charge d'une des deux parties. Les tensions au Sahara durent depuis plus de trente ans et ce n'est pas par coup de baguette magique qu'on va régler le problème. Ce genre de résolution est, à mon sens, de nature à accentuer la tension dans la région. Je ne pense pas que c'est ainsi que l'on se donnera les opportunités pour avancer constructivement. Au lieu d'être à charge d'une des parties, le PE aurait sans doute dû se positionner avec plus de hauteur et de recul pour aborder la question des événements du 8 novembre. L'Union européenne est un partenaire stratégique de plusieurs Etats dans la région du Maghreb sur les plans politique et économique, elle ne doit pas, je pense, jouer un rôle de juge dans le dossier du Sahara. Il ne faut pas que sa position soit déséquilibrée et fondée sur une seule approche. La méthodologie utilisée pour réunir les éléments nécessaires à la production de cette résolution, l'extrême rapidité des débats est étrange compte tenu de la complexité de ce dossier. En outre, la comparaison entre les informations dont nous disposons et celles contenues dans la résolution européenne semble démontrer que le Parlement européen s'est basé sur des informations biaisées, notamment pour ce qui concerne le nombre de morts à décompter lors des événements dramatiques de Laâyoune. Peut-on dire qu'il y a une sorte de manipulation du Parlement européen ? Il est clair que comme tous les parlements nationaux, le Parlement européen est marqué par la présence de certains lobbies qui font de temps en temps pression pour obtenir des résultats en leur faveur. Ainsi, il n'est un secret pour personne que le front Polisario dispose d'un lobby auprès de l'Union européenne et du Parlement. Un groupe de pression qui semble assez efficace. Cela dit, nous comptons interpeller le ministre belge des Affaires étrangères pour savoir si le gouvernement belge s'aligne sur la position très particulière du Parlement européen ou bien s'il émet des réserves sur cette question. Le Maroc est, à mon sens, le pays le plus avancé de la région en matière de transition démocratique et de droits de l'Homme. Ce n'est pas par hasard que le Royaume a bénéficié d'un Statut avancé auprès de l'Union européenne. En cela aussi, caricaturer le Maroc à travers une charge excessive unilatérale me semble un faux pas. D'ailleurs, nombre de parlementaires européens ont dénoncé la démarche du PE, notamment Rachida Dati dont une interview est parue récemment dans une édition d'Aujourd'hui Le Maroc. Le rapport qui m'a été transmis à cet égard par Claude Moniquet, directeur de l'ESISC est assez renversant. Selon vous, que pense la communauté marocaine résidant en Belgique de cette attitude hostile du Parlement européen? En tant que député au Parlement belge, je travaille beaucoup sur les dossiers relatifs à l'Islam, notamment la question de l'Islam des lumières. D'ailleurs, je participerai prochainement à une conférence à Barcelone portant sur la relation de l'Islam avec les valeurs européennes. Dans ce sens, je suis en contact permanent avec la communauté d'origine marocaine résidant en Belgique qui constitue environ 4% de la population belge. De ce fait, j'ai senti qu'une partie des Marocains en Belgique a été blessée par la résolution européenne. Le Maroc c'est presque l'Europe. Les relations entre ce pays et l'UE doivent se baser sur l'égalité et le respect. Il est beaucoup plus de l'intérêt de l'Europe de tendre la main au Maroc et de dialoguer avec lui et ses voisins que de prendre une pose paternaliste. Mustapha Salma a été libéré après près de trois mois de séquestration. Comment voyez-vous cette affaire ? Je suis très ravi que cette personne ait été libérée. J'ai pu constater qu'il y a eu énormément de pression de la part de plusieurs composantes de la société marocaine ainsi que des ONG marocaines et internationales pour que Mustapha Salma puisse retrouver sa liberté. Je pense que ce genre d'affaire et celle qui lui ressemble doivent également attirer l'attention du Parlement européen. Ceci dit, et en dehors de l'affaire de Mustapha Salma, je salue toutes les personnes qui militent pour la promotion de la liberté d'expression partout à travers la région. Je pense aussi que certaines régions du Maghreb sont encore appelées à faire des efforts en matière de promotion des droits de l'Homme et de la liberté d'expression. Toujours dans le même cadre, que dites-vous à propos de la situation des droits de l'Homme dans les camps de Tindouf ? Je crois qu'il est utile pour le Parlement européen de s'intéresser à la situation des droits de l'Homme à Tindouf également. Si on souhaite véritablement avoir une approche équilibrée et objective, le PE devait dépêcher une mission à Laâyoune pour établir la vérité sur ce qui s'est réellement passé. Par la suite, cette même mission devra également passer à Tindouf. Le Parlement européen doit se débarrasser d'une préférence pour une partie en dépit de l'autre. Le Parlement doit se poser la question de savoir s'il y a ou non détournement des aides humanitaires à Tindouf, ou la question de savoir pourquoi l'on refuse jusqu'à présent de recenser les populations à Tindouf. Ce sont des questions qui ouvrent des parenthèses et qui laissent trop de doutes exister dans ce dossier. Les grandes puissances sur le plan international s'accordent pour affirmer que le projet d'autonomie offre une opportunité historique pour le règlement du conflit au conflit. Qu'en pensez-vous ? Le principal dans ce dossier pour les parties est de continuer de faire des propositions de bonne volonté pour déboucher sur une solution qui soit acceptée par les deux parties. Le Maroc a mis sur la table des négociations cette initiative qui peut être débattue. C'est une bonne initiative et les parties sont appelées à continuer d'aller dans ce sens ou dans un autre pour trouver un compromis qui arrange les deux parties. L'Europe doit pouvoir jouer un rôle utile dans ce sens. Comment voyez-vous l'avenir des relations maroco-européennes à la lumière des derniers développements ? Je pense qu'il faut laisser le temps utile à l'apaisement des esprits. En adoptant cette résolution, le Parlement européen a perdu un peu la neutralité utile pour demeurer un des leviers de la relance du dialogue dans le dossier du Sahara. Mais pour peu de temps seulement. Je crois surtout en la capacité des deux parties à retrouver rapidement la sérénité et le chemin de nos très nombreux intérêts communs. Bio express Denis Ducarme est un homme politique belge né le 23 octobre 1973. Il est membre du Mouvement réformateur (MR). M. Ducarme a été élu le 8 juin 2003 à la Chambre des représentants à l'âge de 29 ans. Il a été réélu en juin 2007 en obtenant près de 11.500 voix de préférence. Il est titulaire d'un master en sciences politiques, relations internationales et intégration européenne. Il est aussi le fils de Daniel Ducarme, Ministre d'Etat, député de Bruxelles et ancien bourgmestre de Thuin et de Simone Genaux, Echevin honoraire de la Ville de Thuin et président honoraire du CPAS de Thuin. Après les élections communales de la Belgique d'octobre 2000, M. Ducarme devient échevin des Travaux, des Affaires économiques, de l'Emploi et des Sports à Thuin et conseiller provincial du Hainaut. Elu lors de sa deuxième candidature aux élections législatives de mai 2003 en tant que suppléant sur la liste MR de la province du Hainaut, il siège à la Chambre des représentants depuis le 5 juin 2003. Sensibilisé par l'évolution de l'Islam en Belgique et d'une forme d'importation du radical Islamisme dans son pays, il a publié un ouvrage intitulé «Islam de Belgique, entre devoir d'intégration et liberté religieuse». Il est également l'auteur de plusieurs propositions du Mouvement réformateur déposées au Parlement à cet égard.