François Fillon est devenu ces derniers jours audible et visible, mais il semble faire le travail à sa manière, avec ses propres accents à rendre presque joyeux un cimetière. En l'espace de quelques heures, voilà le Premier ministre François Fillon, d'habitude si taciturne sur les photos quand Nicolas Sarkozy virevoltait de vitalité, arborant une éternelle mine bourgeonne depuis ses bureaux à Matignon, en première ligne pour donner l'air du temps . Mais fidèle à sa propre nature et aussi à un possible partage des rôles, François Fillon a choisi le rayon «mauvaises nouvelles» ou «discours sans forfaitures» pour imposer son originalité. Ce retour, sans doute illusoire et temporaire de François Fillon aux premières lignes est certainement le fruit des astucieux conseillers de l'Elysée. Devant les sondages entêtés qui plombent Nicolas Sarkozy dans le rouge malgré ses nombreuses opérations de communication et de séduction, ils lui ont proposé la solution qui détournera le mauvais œil : l'idée est d'obliger le Premier ministre à monter au créneau pour jouer son rôle de fusible et d'aspirateur de toutes les frustrations sociales qu'engendre la dépression économique dont l'époque est victime. A demi-mots, François Fillon confirme ce partage des rôles : «La question de savoir qui fait quoi, c'est la répartition des rôles entre le président de la République et moi (…) C'est notre dialogue singulier : chaque semaine, on s'organise ensemble, on prend les décisions et on les met en œuvre». C'est grâce à cette stratégie que François Fillon est devenu ces derniers jours audible et visible. Mais il semble faire le travail à sa manière, avec ses propres accents à rendre presque joyeux un cimetière. François Fillon vient de mener deux grandes opérations de communication en l'espace de quelques heures. Lors du dîner annuel du CRIF ( Conseil représentatif des institutions juives de France), il décrit l'époque avec un incroyable franc-parler : «La crise mondiale accroît l'inquiétude diplomatique, excite l'agressivité de groupes extrémistes, rend à l'exclusion et au repli sur soi un attrait dangereux». Le lendemain, en visitant pour la première fois Rungis, le grand centre de distribution de l'agroalimentaire, il affirme, des trémolos dans la voix que la crise internationale sera «longue» et «dure». Et à tout ceux qui espéraient une sortie rapide du tunnel, François Fillon leur plombe le moral avec un savoir-faire et un enthousiasme non communicatif : «Toute l'année 2009 sera une année de crise… aucun plan de relance ne permettra d'éviter la crise». François Fillon avait profité de son passage dans ce temple de la consommation net de la distribution pour confirmer une cascade de chiffres moroses qui se murmuraient dans les milieux spécialisés. La contraction du produit intérieur brut est évaluée entre «-1 et -1,5» et le déficit français en 2009 dépasserait sans doute les 5% avec «environ 50 milliards, les déficits supplémentaires attendus en 2009». La solution préconisée par François Fillon pour amortir les effets de cette crise a fortes chances de faire hurler dans les états-majors. Elle consiste à «continuer la politique conduite en matière de réduction de dépenses publiques, c'est-à-dire (réduire) toutes les autres dépenses qui ne sont pas celles du plan de relance». L'opposition avait profité de l'annonce de ces chiffres pour enfoncer Nicolas Sarkozy. Michel Sapin, secrétaire national du PS à l'économie, fait ce constat : «Les nouvelles prévisions du gouvernement montrent l'inefficacité de son plan de relance, dont les effets n'évitent pas un plongeon de l'activité. Ce plan était construit sur des prévisions de croissance pour 2009 légèrement positives. Il est donc déjà dépassé et obsolète avant même d'être appliqué». Evidemment, comme un marronnier obligatoire, à chaque sortie de François Fillon, la question de son maintien au poste de Premier ministre est inévitable. François Fillon semble avoir rodé une réponse qu'il ressort à chaque fois : «Je ne vois pas ma mission terminée, mais c'est au président de la République d'en décider». Il n'oublie pas au passage d'exprimer sa conviction intime sur le sujet devenue à force de la répéter comme un supplique pour rester le plus longtemps possible à Matignon : «un bon gouvernement est un gouvernement qui dure longtemps».