Aphone à force de se taire, le Premier ministre français, François Fillon, se fait oublier des médias par l'omniprésence de Nicolas Sarkozy. Ce n'est qu'après le départ du président à Washington que M. Fillon est sorti de son silence. Hasard du calendrier ou vraie stratégie médiatique : c'est pendant que le président Nicolas Sarkozy était occupé à Washington à redorer le blason de l'amitié franco-américaine que le Premier ministre français François Fillon était sorti de son silence en accordant sa première grande interview depuis des mois à la radio Europe 1. Une sortie médiatique extrêmement remarquée tant le locataire de Matignon semblait ruminer sa frustration dans une discrétion d'ermite. Il n'en fallait pas plus pour que mauvaises langues professionnelles ou observateurs avertis y voient une libération d'espace médiatique par l'omniprésent Nicolas Sarkozy pour un Premier ministre devenu aphone à force de se taire. Le prétexte officiel de cette intervention est celui de dresser le bilan de six mois de gouvernement. Il s'est avéré être l'occasion rêvée de faire le point sur la relation mystérieuse qu'entretient Nicolas Sarkozy avec son Premier ministre. La stratégie de défense bien huilée est celle de lever toutes les ambigüités sur l'existence d'un possible conflit : «On s'appelle plusieurs fois par jour (...) On parle tous les jours. On réfléchit tous les jours à la meilleure manière de réagir. On forme une équipe qui est extrêmement soudée (…) On partage tout. Simplement le président de la République conduit l'action du gouvernement, c'est le résultat du quinquennat, c'est aussi le choix fait par Nicolas Sarkozy en raison de sa personnalité, en raison de sa manière d'agir». Une fois cette clarification formulée, demeure la réalité du pouvoir. Nicolas Sarkozy descend quotidiennement dans l'arène pour prendre le taureau par les cornes. Deux séquences majeures distinguent cette pratique relativement nouvelle d'un président qui se mouille la chemise et se met en scène. La première quand, en pleine crise sociale sur les régimes spéciaux de retraite, il avait rendu une visite surprise à des cheminots de la Seine-Saint-Denis. La caméra à l'épaule qui, haletante, filmait cette descente, montrait que la tension était palpable quand des grévistes accusaient Nicolas Sarkozy de vouloir instrumentaliser leurs épreuves et refusaient de manière ostentatoire de lui serrer la main. La seconde séquence s'est produite au cours d'une rencontre surprise avec des pécheurs bretons. Subissant de plein fouet les effets secondaires d'une hausse du prix du carburant excessive et insupportable pour leurs finances, ils menacent de paralyser la région par un blocus. N'écoutant que son courage et son envie de se mettre en scène, Nicolas Sarkozy est parti à leur rencontre pour leur proposer des solutions et prendre des engagements. Ce contact s'est très mal terminé quand un pêcheur anonyme a reproché à haute voix à Nicolas Sarkozy de s'être fait augmenter ses propres revenus de 140%. Le sang présidentiel n'a fait qu'un tour. Le Sarkozy policé a cédé la place à un nouveau personnage qui invite de manière virile son détracteur à descendre de son piédestal régler la question entre hommes. Deux séquences qui ont montré ce que, par une forme de pudeur, les amis et les obligés du président de la république appellent le nouveau style de Sarkozy. François Fillon est le premier à savoir qu'une fois passé l'effet surprise, cette méthode peut révéler l'ampleur de l'improvisation dans le travail gouvernemental. Les solutions apportées aux multiples crises sociales ne peuvent pas être formatées pour cadrer avec les impératifs de la messe télévisuelle de vingt heures. François Fillon dont la chute dans les sondages devient inexorable semble se contenter du rôle que lui laisse l'activisme débordant du président de la république. Il redéfinit lui même sa mission : «Je considère que le rôle du Premier ministre c'est d'assurer la coordination de l'équipe gouvernementale, (...) c'est au fond de faire en sorte que la machine gouvernementale soit opérationnelle et puisse réagir sans délai aux impulsions du président de la République». Seule consolation pour François Fillon. Nicolas Sarkozy ne fait pas de l'ombre qu'au Premier ministre. Il écrase par son appétit du pouvoir et de la lumière l'ensemble de l'équipe gouvernementale. Ce qui a inspiré au journal «Libération» cette jolie Une au titre cinématographique «Gouvernement : le gang des potiches».