Pour « assurer sa sécurité », et éradiquer au passage le Hamas, Israël bombarde depuis quinze jours Gaza, et massacre des civils asphyxiés par six mois de blocus et aujourd'hui collectivement punis. Tout autre Etat, quel qu'il soit, aurait été dénoncé comme criminel par toute la Communauté internationale. Aucun intellectuel digne de ce nom n'oserait prendre sa défense. Or, Israël trouve encore des défenseurs en Occident! A cause d'une concordance d'intérêts économiques entre ces pays et l'Etat hébreu. Du fait de la mauvaise conscience, liée à l'extermination des Juifs entreprise par l'Allemagne nazie, qui habite encore les sociétés occidentales où l'anti-Judaisme a appartenu durant des siècles à la culture chrétienne. Par peur ou par haine commune des sociétés arabo-musulmanes, probablement aussi. La dénonciation récurrente comme «antisémite» de toute personne émettant des critiques à l'égard de l'Etat d'Israël pèse aussi sur le débat. Quant aux nombreux juifs de la diaspora, je peux comprendre la solidarité qu'ils entretiennent avec Israël, où certains ont de la famille. En revanche, l'unilatéralité dans la solidarité ou le silence face aux centaines de victimes palestiniennes m'est peu compréhensible. Et je voudrais dire pourquoi. L'Etat d'Israël se targue d'être singulier et, de fait, il l'est. Créé voici une soixantaine d'années par des Juifs souvent athées et influencés par les idéaux socialistes, il a néanmoins gardé une identité dont la référence est la Bible. C'est dans la longue histoire telle qu'elle est racontée dans les livres bibliques que les fondateurs sionistes laïques ont, avant même la Shoah, fondé leur légitimité à réclamer un pays en terre de Palestine, au nom du droit, en quelque sorte, du premier occupant. Plus tard, des juifs religieux, au nom de cet argument, revendiquent pour eux, et uniquement pour eux, cette terre. Les plus extrémistes sont prêts à toutes les violences pour cela. Il y en a d'autres, très minoritaires pour qui la création de l'Etat d'Israël doit être rejetée car elle doit être précédée de la venue du Messie. Bien que marginalisés, on les a beaucoup vus ces derniers jours se mobiliser aux Etats-Unis contre les crimes à Gaza. Mais ceux dont je parle aujourd'hui, ceux dont le silence m'étonne, ce sont les juifs modérés, les plus nombreux, en Israël et dans le monde. Ceux-là même qui disent des choses magnifiques sur la Bible, sur l'éthique biblique universelle, sur l'importance de l'«altérité»… mais rien, ou si peu, sur un Etat violent, qui impose aux Palestiniens son droit par la force, et méprise la force du droit… et même de la loi biblique. Triste constat : pour se protéger d'un passé douloureux, les juifs ont créé un Etat qui devait leur donner protection et paix. Soixante ans après, Israël n'a récolté que plus de violences, et paie sa sécurité du sang de milliers d'innocents. Au-delà de la question des responsabilités dans ce processus, une chose me frappe: entraîné dans la spirale de la violence, cet Etat anéantit inexorablement l'âme du peuple juif, sa grande tradition d'universalité.