Le Parlement est-il un haut-lieu de l'élite politique ou un refuge pour notabilités locales ? Les paroles du Président Radi avaient suscité un grand émoi sous l'hémicycle. Il y a un an, celui qui préside aux destinées de la Chambre des Représentants avait déclaré, en direct d'un plateau de télévision, que le parlement marocain n'avait pas réussi à produire une élite parlementaire mais tout juste des notables. En tenant ces propos, l'usfpéiste Abdelouahed Radi, qui est de toutes les législatures depuis 1963, avait-il présent à l'esprit ce que les spécialistes ont coutume d'appeler « l'évolution socio-culturelle » des élus de la Nation, de la première expérience parlementaire au Parlement élu en 1997 ? Savait-il aussi qu'il rejoignait les propos prêtés à un ancien ministre de l'Intérieur selon lesquels les récipiendaires politiques de la représentation nationale ont rarement développé une conscience nationale ? « Malgré l'évolution des séances des questions orales qui sont de plus en plus structurées, les problèmes locaux et régionaux continuent de l'emporter sur les dossiers d'envergure nationale », affirme un député battant pavillon koutla qui se souvient de ces années pas si lointaines où un élu de la Nation interpellait le gouvernement sur l'impraticabilité d'une piste à Had Soualam, dans la périphérie de Casablanca. Pourtant, et malgré tous les tripatouillages et autres cuisines intérieures, tous ceux qui se sont penché sur le cas du Parlement marocain notent qu'entre 1963 et 1997, la représentation et la représentativité ont changé… pour essayer de suivre les mutations de la société. « En 1963, le premier parlement était à l'image d'un Maroc où plus de 68% de ses habitants vivaient en milieu rural. Résultat, il était composé de 47% d'agriculteurs devenus députés. Ils étaient issus dans leur majorité de l'oligarchie foncière, sachant que ni les petits paysans ni les sans terre n'étaient représentés », souligne un constitutionnaliste. Depuis, et au fil des législatures, les agriculteurs sont de moins en moins présents. Ils ne représentent actuellement que 10, 7% des députés de la première chambre. Tout a commencé à l'occasion des élections de 1976. Le pouvoir a fait en sorte que la classe moyenne accède à la représentation populaire. Résultat, dans l'actuelle législature, plus de 57% des députés sont enseignants (19,4%), fonctionnaires (9,20%) ou issus de professions libérales (14,4%). Le pouvoir et sa « logique de régulation » en avait voulu ainsi : cad'sup et professions libérales ont fait leur entrée en force sous la coupole et ce dès 1977. Il s'agit néanmoins de préciser que derrière le label « profession libérale » se cachent beaucoup de commerçants, directeurs de société, hommes d'affaires et directeurs tout court. Nous avons même découvert, en visitant le site web de la chambre des Représentants, « un propriétaire de complexe » ! Cette évolution socio-économique de la représentation sous la coupole produit-t-elle pour autant une élite parlementaire aux préoccupations nationales plutôt que locales ? Les avis sont partagés et la question fait débat. « En 1963, 129 députés ne sachant ni lire ni écrire avaient été portés à la représentation suprême et en 1983, ils étaient encore 54 à n'avoir jamais suivi le chemin de l'école et à user tout de même leurs pantalons sur les sièges de velours rouges de l'hémicycle. L'actuelle législature compte 59% de députés ayant un diplôme universitaire tandis que 41% affichent un niveau d'études primaires et secondaires », souligne un connaisseur des arcanes parlementaires comme pour témoigner que l'imposante bâtisse rouge de l'avenue Mohammed V revient de loin.