Au niveau officiel et du côté de la Présidence, on nie tout différend entre Bouteflika et l'armée et on insiste sur le caractère normal des relations existant entre les deux institutions. Mais aux cris de «la paix est revenue» de Bouteflika, les militaires répliquent par la nécessité de faire «la guerre» aux groupes armés. Par trois sorties médiatiques, l'Armée nationale populaire (ANP) algérienne a dressé un constat d'échec de la démarche politique du président algérien Abdelaziz Bouteflika et déclaré qu'elle n'assumerait pas le bilan du chef de l'Etat, qui nourrit des ambitions pour un second mandat en 2004. Pour les militaires qui l'ont parrainé, il s'est révélé incapable de vaincre politiquement l'intégrisme, de régler la crise en Kabylie et de lancer des réformes économiques. Les militaires avaient auparavant répondu par les voix de Ali Benflis et Ahmed Ouyahia, les patrons des deux partis piliers du système, le FLN et le RND, au projet de transformation de la concorde civile en concorde nationale, de façon positive. Maintenant, ils semblent vouloir prendre les choses en main. Outre ce revirement, ils rejettent aussi le discours politique du chef de l'Etat qui ne serait «pas fait pour maintenir intacte» une quelconque mobilisation «des troupes ou des citoyens pour une lutte contre les groupes armés». En fait, l'armée algérienne refuse d'être sacrifiée comme un bouc-émissaire sur l'autel d'une réconciliation nationale. Elle ne peut plus tolérer les attaques répétées contre elle sans que quiconque ne prenne le soin de rétablir les faits. Entre les deux institutions, la sourde lutte ne date d'ailleurs pas de cet été. Elle a commencé juste après l'investiture de Bouteflika. En été 1999, celui-ci avait opéré une attaque frontale contre l'ANP. Via une agence de presse étrangère reprise par l'APS, il avait laissé entendre qu'il n'avait réussi à former un gouvernement qu'au bout de huit mois, n'ayant pas eu les coudées franches. La faute en revenait aux généraux selon la «fameuse dépêche». La réponse qui veut «que chacun prenne ses responsabilités», lancée par la source autorisée dans les colonnes de Soir d'Algérie et reprise par Lamari, cachait mal l'irritation de la grande muette subitement plus disposée à payer pour «les incompétences» des autres. Auparavant, dans des propos rapportés par l'hebdomadaire français «Paris Match», le président algérien avait déclaré : «Je suis le chef de l'armée, pas seulement selon la Constitution. Je connais bien les militaires pour avoir été officier avant les plus grands généraux actuels. Quand eux n'avaient pas de grade, j'étais commandant de l'Armée de libération nationale». Et de rappeler, en janvier 2001, ses prérogatives en affirmant via l'agence officielle APS que «la formation du gouvernement est du ressort strict du chef de l'Etat». «Ni l'armée ni les services de sécurité ni qui que ce soit n'a à s'y mêler. Ce sont des prérogatives du chef de l'Etat, avait-il déclaré, ajoutant : «Je tiens à dire que je veux être un chef d'Etat, pas un trois quarts de chef d'Etat». Il faut attendre le 23 juin 2002 pour qu'une source autorisée du ministère de la Défense se confie au «Soir d'Algérie», en soulignant textuellement : «L'incompétence chez certains ne doit pas être cachée par des attaques répétées contre l'institution militaire (…). L'armée s'inscrit en faux contre ces allégations. A l'époque, notre souhait, à l'instar de tous les Algériens, était de choisir le moins mauvais de tous. L'ambition de l'ANP est que chacun assume convenablement ses missions. Le temps des béni-oui-oui doit être banni. C'est pour cela que nous estimons que le gouvernement actuel doit assumer pleinement ses devoirs. Cela nous paraît comme une exigence de l'heure. » Neuf jours plus tard, le 2 juillet 2002, Mohamed Lamari, chef d'état-major de l'ANP, démentait toute discorde. Mais le 10 juillet, le général Khaled Nezzar s'en prenait, sans le nommer, à Abdelaziz Bouteflika. «S'agissant de la cabale contre les généraux algériens, elle a été montée de toutes pièces par des Algériens et à partir de l'Algérie, ces trois dernières années. Depuis que l'arrêt du processus électoral est devenu «un délit et une violence», que le terroriste sanguinaire est devenu «Monsieur Hattab» (le chef du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) Ndlr). Plus récemment encore, devant un parterre de cadres, au lieu de faire le bilan de ces trois dernières années, on continue (…) à assimiler l'arrêt du processus électoral à «une interruption de grossesse». Tout a été dit et fait pour que le terrorisme revienne en force. Le peuple algérien se souviendra, et un jour il demandera des comptes». Pour sa part, Sid-Ahmed Ghozali, l'ex-Chef du gouvernement, a ouvertement accusé le président de la République de comploter contre l'Armée. Il a demandé, comme Cherif Belkacem, l'ancien numéro deux sous Houari Boumediène, à l'armée, de « prendre directement le pouvoir, comme en Turquie». Juste après la fameuses dépêche Reuters, il y a eu la venue en Algérie des ONG internationales et le pavé lancé par Ali Yahia Abdennour, le président de la Ligue de défense des droits de l'Homme. Bouteflika a, selon l'avocat, «demandé aux gouvernements occidentaux, particulièrement celui des Etats-Unis, de l'aider à évincer les décideurs au sein de l'armée, et a utilisé la carte des organisations internationales de défense des droits de l'Homme pour frapper ces décideurs».