Mohamed Bennouna, ambassadeur permanent du Maroc à l'ONU, s'exprime sur la démission de James Baker. Il explique les raisons qui ont porté M. Baker à jeter l'éponge.M. Bennouna affirme, par ailleurs, qu'une solution du conflit passe par un rapprochement entre Rabat et Alger. ALM : comment réagissez-vous à la démission de James Baker? Mohamed Bennouna : Je n'ai pas été surpris par l'annonce de la démission de M. Baker. Comme tout homme entier, il s'est engagé dans une voie, et il a été au bout de sa logique. Après que l'Algérie ait rejeté l'accord-cadre accepté par le Maroc et que notre pays a refusé la partition du territoire proposée par Alger, M. Baker a estimé, à partir de janvier 2003, qu'il se devait de présenter un plan sur une base non négociable. A ce sujet, il a proposé au Conseil de sécurité d'endosser purement et simplement son plan et d'exiger des parties de le mettre en application. Nous avons essayé de le convaincre que cette procédure était incompatible avec la charte des Nations unies, et notamment le chapitre 6 sur le règlement des différends. Que s'est-il passé alors ? M. Baker a refusé de changer son approche et a conduit l'Administration américaine, en juillet 2003, à en faire un projet de résolution. Le Maroc et la majorité des Etats membres du Conseil de sécurité ont estimé que le règlement du problème du Sahara ne pouvait être que consensuel. Il fallait par conséquent obtenir l'accord des parties. En avril 2004 à Houston, nous avons donné notre réponse définitive à M. Baker. Le Maroc y dit oui pour une large autonomie, dans le cadre de la souveraineté marocaine. En d'autres termes, le Maroc réfute l'idée d'une période de transition et une quelconque consultation sur l'indépendance. Et le Conseil de sécurité a été informé de cette décision… Oui ! Le 29 avril dernier, le Conseil de sécurité a pris note, dans sa résolution 1541 de la réponse du Maroc, et a appelé Kofi Annan et son envoyé personnel à chercher une solution mutuellement acceptable par les parties. Que pouvait alors faire M. Baker qui s'était engagé à maintenir tel quel son plan et à l'imposer aux parties ? Est-ce que la démission de M. Baker profite au Maroc ? La démission de M. Baker n'est ni une bonne chose, ni une mauvaise chose. C'est une décision personnelle d'un homme d'Etat respectable. Il a tenté plusieurs approches pour résoudre une question politique complexe. Il a fini par mettre sa position en jeu face au Conseil de sécurité et il a tiré les conséquences de la dernière résolution de cet organe. J'ai donc le plus grand respect pour cette attitude qui devrait être celle de tous les hommes politiques conscients et responsables. Est-ce que le plan de M. Baker reste valable après la démission de son auteur ? Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a adressé une lettre au Conseil de sécurité dans laquelle il a confié à Alvaro de Soto le soin de poursuivre le travail de médiation. Il a défini par la même occasion la médiation de M. de Soto qui est de «travailler avec les parties et les Etats voisins, en vue d'une solution politique juste et acceptable qui permette l'autodétermination de la population du Sahara occidental dans le contexte d'arrangements conformes aux buts et principes énoncés dans la charte des Nations unies». Il s'agit d'une reprise du langage de la résolution 1541 du 29 avril 2004. Le principe est dans le préambule de cette résolution et la solution mutuellement acceptable dans le dispositif. En quoi la lettre de Kofi Annan instruit-elle sur la pérennité ou non du plan Baker ? Nous y arrivons. Dans cette lettre, le secrétaire général de l'ONU passe complètement sous silence le plan Baker. Et pour cause, il n'entend pas lier les mains d'Alvaro de Soto, ni limiter sa marge de manœuvre dans la recherche d'une solution mutuellement acceptable. Vous avez connu le nouveau représentant spécial de Kofi Annan au Sahara, Alvaro de Soto. Quel genre d'homme est-il? J'ai connu Alvaro de Soto lorsqu'il était jeune diplomate de son pays, le Pérou, et délégué comme moi-même, en tant que professeur, à la 1ère session de Caracas de la conférence des Nations unies sur le droit de la mer en 1974. Je l'ai revu en 85 lors de mon premier séjour à la mission du Maroc à New York. Il était au cabinet de l'ancien secrétaire général de l'ONU perez De Cuellar. Je ne suis pas le seul à dire que M. de Soto est l'exemple même de ce que doit être un fonctionnaire des Nations unies, engagé dans le service public international avec compétence et dévouement. M. de Soto a la confiance de Kofi Annan avec lequel il vient de travailler étroitement au sujet de Chypre. M. de Soto n'a pas réussi à mettre d'accord les Chypriotes grecs et turcs… Précisément, s'il y a une leçon à tirer de ce dossier, c'est que quel que soit le degré d'élaboration d'une solution politique, il faut veiller à avoir l'aval de tous pour assurer le succès politique. En ce qui concerne le différend régional sur le Sahara qui dure depuis plus de 30 ans, il convient de travailler avec patience et perspicacité au rapprochement maroco-algérien pour la paix et la stabilité de l'ensemble de la région du Maghreb.