Mohamed Bennouna, ambassadeur permanent du Maroc à l'ONU, s'exprime sur le mémorandum adressé par le Maroc aux Nations Unies. Il en explique le timing et les raisons qui ont empêché, pendant des années, le Maroc à souligner officiellement la responsabilité de l'Algérie dans le conflit du Sahara. ALM : Qu'est-ce qui explique la publication du mémorandum en ce moment ? Mohamed Bennouna : Vous savez, le différend sur le Sahara est très complexe et tous ceux qui ont eu à s'en occuper, y compris M. Baker, ont fini par s'en rendre compte. Complexe, parce que ce différend a de multiples dimensions : historique, juridique et surtout géopolitique. Sans parler de sa durée qui s'étale maintenant sur plus de trois décennies. Le fait est que ce différend a connu en avril dernier un changement qualitatif essentiel, puisque le Maroc a défini nettement ses lignes rouges. A savoir qu'il ne peut pas transiger sur sa souveraineté. D'autre part, les Nations Unies ont, par la résolution du Conseil de sécurité 1541 du 29 avril dernier, identifié la question du Sahara comme un différend auquel il convient de trouver une solution à travers une négociation entre les parties en cause. L'Algérie a refusé d'assumer ses responsabilités à cet égard. Devant ce refus, le Royaume se devait de clarifier nettement sa propre disposition à contribuer à une solution politique définitive. Quelle est la nouveauté de ce document ? En tant que juriste, je dirai que la grande nouveauté dans ce document concerne l'adhésion du Maroc à la nouvelle acception de l'autodétermination qui ne peut plus consister en la multiplication des Etats pour répondre à telle ou telle affirmation particulariste ici ou là. Bien au contraire : dans un monde où les petits Etats ne peuvent exercer une influence qu'à travers des regroupements régionaux, l'autodétermination est conçue comme le moyen pour une population déterminée d'exercer des droits individuels et collectifs, dans le cadre de la souveraineté de l'Etat. On peut ajouter également que le Maroc, en rappelant l'initiative conjointe de l'Algérie et du polisario de partage du territoire, a pour la première fois mis l'accent sur ce que l'Algérie appelle ses intérêts stratégiques dans le différend régional en question. Pourquoi le Maroc a-t-il attendu aussi longtemps pour souligner officiellement la responsabilité d'Alger dans le conflit du Sahara? Le Maroc a affirmé à maintes reprises sa volonté d'améliorer et d'approfondir ses relations avec le pays voisin et frère, l'Algérie. Les émissaires marocains ont pris le chemin d'Alger sans discontinuer. Pour faciliter l'ouverture des frontières, le Maroc a pris l'initiative d'éliminer les visas pour les ressortissants algériens. En réponse à tous ces gestes de bonne volonté, nous nous sommes heurtés à une fin de non-recevoir de l'Algérie. Pire encore, le Maroc s'est vu traité de «puissance occupante» dans une lettre destinée à figurer comme document officiel des Nations Unies. C'est donc à son corps défendant que le Maroc s'est vu obligé de clarifier sa position, afin que tous les interlocuteurs sachent à quoi s'en tenir. A votre avis, quelle lecture pourrait être faite de ce mémorandum aux Nations Unies ? Je pense que les pays membres des Nations Unies verront dans ce mémorandum la confirmation du caractère algéro-marocain du différend relatif au Sahara marocain. Je pense aussi que les pays sérieux savent qu'il ne faut pas dans ce type de querelles mettre de l'huile sur le feu, comme l'a fait récemment l'Afrique du Sud. Mais qu'il faut au contraire s'attacher à aider au rapprochement entre les deux protagonistes de ce différend. Peut-on parler de contre-offensive de la diplomatie marocaine avec la publication du mémorandum ? Nous ne sommes pas en guerre. Et il ne s'agit pour la diplomatie ni d'être agressive, ni de passer à la contre-offensive. Notre diplomatie se doit d'être performante et efficace au service des objectifs que lui fixe sa Majesté le Roi Mohammed VI. Pour ce faire, il faut une machine avec des courroies de transmission, des sources d'énergie et autant que possible de bons conducteurs de travaux. Cela s'appelle le management.