Abdelhak Najib livre avec «Réflexions sur le cinéma marocain» une analyse sans concessions du 7ème art, fruit de 30 ans de critique, entre hommage à Lynch et diagnostic acéré du cinéma marocain. Suivez La Vie éco sur Telegram Le nouvel ouvrage d'Abdelhak Najib, «Réflexions sur le cinéma marocain», s'impose comme une plongée dans l'univers du septième art. Ecrivain, critique et réalisateur, Najib livre ici le fruit de trente années d'analyse et de passion, offrant un essai aussi dense que lumineux, qui s'ouvre sur une invitation à rêver face à un film, sans nécessairement chercher à tout comprendre. «Face à un film, on n'est pas obligé de comprendre pour aimer. Ce qu'il faut, c'est rêver...», écrit-il en préambule, posant ainsi les bases d'une réflexion profonde et sans concessions sur le cinéma, ses métiers et ses enjeux, avec un regard acéré sur la situation marocaine. Ce pavé de 340 pages, enrichi d'interviews avec des figures majeures du cinéma, se lit comme un hommage vibrant au regretté David Lynch, disparu récemment, que l'auteur a eu l'occasion d'interviewer à deux reprises. Najib emprunte à Lynch une définition limpide et poétique du cinéma : «un désir très fort de marier l'image au son». Une alchimie que l'auteur explore à travers un tour d'horizon des cinématographies mondiales – indien, japonais, russe, américain, africain, arabe, iranien...– soulignant l'importance d'une connaissance encyclopédique pour prétendre écrire sur cet art. «Ecrire sur le cinéma exige d'abord une grande et profonde connaissance des différents cinémas du monde», martèle-t-il, égratignant au passage nombre de critiques marocains qu'il accuse de verser dans le commentaire creux et les poncifs recyclés. Si Najib célèbre les géants du septième art – de Bergman à Kurosawa, de Tarkovski à Fellini –, il n'épargne pas pour autant le cinéma marocain, qu'il juge sévèrement mais avec une lucidité implacable. «Tout le monde prétend tout savoir», déplore-t-il, fustigeant l'autosatisfaction d'une industrie où trop de réalisateurs se proclament génies incompris, rêvant d'Oscars ou de Palmes d'Or sans en avoir la carrure. Il raconte, non sans ironie, l'anecdote d'un cinéaste marocain prétendant avoir conseillé Jim Sheridan – auteur du célébré Au nom du père – avant de dénigrer son travail. «Il y a ceux qui prennent des risques, qui travaillent, et ceux qui ne font rien et se plaignent tout le temps», tranche Najib, pointant du doigt une créativité souvent bridée par des sujets plats, des dialogues insipides et une mise en scène médiocre. Pour lui, le cinéma marocain souffre d'un manque criant de profondeur émotionnelle. «La souffrance ne se comprend pas, elle se ressent», cite-t-il Abbas Kiarostami, regrettant que les films locaux échouent à transmettre des sensations authentiques, se contentant trop souvent de clichés folkloriques. Najib appelle à un retour aux fondamentaux : pourquoi faire un film ? Que veut-on dire ? Sans ces questions, l'effort est vain. L'auteur ne se limite pas à la critique. Il dresse un portrait exigeant du métier de cinéaste, d'acteur et de critique, convoquant les voix de Kubrick («Réaliser un film, c'est comme écrire Guerre et Paix dans une auto-tamponneuse») ou de Kurosawa, qui voyait dans le cinéma un syncrétisme des arts. Pour Najib, un film réussi naît de la fusion entre image, son, lumière et décor, une harmonie que la télévision, avec son «télé-objectif», ne pourra jamais égaler. Le cinéma, lui, est «grand-angle», un espace où l'invisible se révèle, où le silence parle autant que les dialogues. «Réflexions sur le cinéma marocain», qui accompagne la sortie de son film «Les évadés de Tindouf», se veut à la fois un manifeste et une leçon. À travers une prose érudite mais accessible, Abdelhak Najib invite à repenser le cinéma marocain, à dépasser les postures et les facilités pour en faire un art véritablement universel. Une réflexion essentielle, à méditer par tous les amoureux du grand écran. «Réflexions sur le cinéma marocain», Abdelhak Najib, Editions Sirius, 340 p., mai 2025.