Présentation Les films d'Andrei Tarkovski défient les attentes de leurs synopsis tout en les honorant. Ce qu'ils annoncent est présent, mais souvent en toile de fond vers laquelle les films convergent tout en s'éloignant simultanément. Ils offrent de brèves pistes vers une histoire probable tout en la contemplant, comme un hors-champ qui n'en est pas véritablement un, mais qui éclaire le visionnage avec perspicacité. C'est une invitation subtile à la créativité implicite. Une voie d'accès alternative C'est en cela que les œuvres de Tarkovski transcendent le simple cinéma, perturbant profondément la quiétude du spectateur non initié. Son cinéma, réputé difficile d'accès, exige un courage et un engagement tant sensoriel qu'intellectuel ; ne pas les voir reviendrait à manquer une expérience spirituelle et personnelle. Tarkovski place « le spectateur sur un pied d'égalité avec l'artiste dans le processus de perception du film ». Tarkovski lui-même n'a pas créé dans la quiétude. Son parcours cinématographique est jalonné d'expérimentations et d'introspections où le style occupe un rôle central. Ses actes de purification, libérateurs de ses propres passions, se déroulent entre souffrance et exil, oscillant entre l'accomplissement personnel et l'hostilité du monde. Rien n'est plus cohérent, car son cinéma plonge dans les profondes réalités fondamentales de l'existence humaine à travers les émotions et les passions, les transformant en maux mortels qui engendrent des crises existentielles. Pour lui, ce qui importe dans le cinéma, ce sont les émotions : « Dans mes films, l'action n'a jamais joué un rôle important. J'essaie de transmettre le significatif en utilisant des objets qui ne sont pas forcément liés de manière logique. C'est le flux de la pensée qui les unit en une totalité intérieure. » La métaphysique poétique L'élaboration de profondes réflexions, devenues caractéristiquement « tarkovskiennes » et imprégnées de métaphysique, s'exprime à travers le prisme du cinéma. Cela se traduit par la création d'une « réflexion philosophique ayant pour but la compréhension rationnelle de la nature des choses ». Une démarche qui se réalise en matérialisant des images évocatrices qui rendent compte de la position de l'homme en tant qu'individu face aux éléments contribuant à forger sa vérité : la vie, la mort, la solitude, l'amour, les souvenirs, les aspirations, les rêves, les fantasmes et les désirs. Tout cela est construit à travers un montage qui ne se fonde pas sur « la logique personnelle du sujet », mais plutôt sur le flux des pensées. Tarkovski explique : « J'essaie d'appliquer un principe dans le montage de films qui me permettrait d'utiliser la logique subjective – pensée, sommeil, mémoire – au lieu de la logique personnelle du sujet. Je recherche une forme qui découlerait de la situation réelle et de l'état spirituel d'une personne, c'est-à-dire des facteurs influençant les actions d'une personne. C'est la première condition pour exprimer la vérité psychologique. » Tarkovski embrasse deux voies distinctes, librement, le spirituel et le poétique. Sa réflexion philosophique, comme il le dit lui-même, ouvre une fenêtre sur son univers et laisse au spectateur le choix de l'accepter ou de le rejeter comme quelque chose d'inutile. L'image créée par un auteur dépasse toujours sa pensée, qui devient secondaire, face à la vision émotionnelle du monde reçue comme une révélation. Alors que la pensée est limitée, l'image est absolue. Ainsi, il existe un parallèle, pour ceux qui sont spirituellement réceptifs, entre l'émotion ressentie devant une œuvre d'art et celle éprouvée dans une expérience purement religieuse. Un dépassement de la réflexion s'opère lorsqu'on pense à travers l'image. Chaque film possède une intentionnalité majeure, et chaque plan est guidé par une intention qui se dégage. Ceci se réalise en harmonisant l'aspiration à l'art d'un côté et la place réservée à la spiritualité de l'autre, au-delà du matériel. Fondamentalement, ce cinéma métaphysique explore les liens entre l'homme, son art et la spiritualité dans une perspective intemporelle. À travers tous ses films, Tarkovski est profondément animé par une réflexion philosophique teintée de mysticisme, opposant la raison à la foi, la matière à l'esprit, le réel au surréel. Comment se manifeste-t-elle cinématographiquement ? Tout simplement en plongeant dans une atmosphère poétique, capable d'exprimer la beauté intrinsèque des éléments et de la faire ressentir. « La poésie est une manière de percevoir le monde, une attitude particulière face à la réalité », explique-t-il. Ses films se transforment en véritables poèmes cinématographiques. À ce sujet, il déclare : « Ce qui m'intéresse, c'est la cohésion et la logique poétique dans le cinéma. Et n'est-ce pas ce qui convient le mieux au cinéma, l'art qui détient la plus grande capacité de vérité et de poésie? » Cette poésie est palpable à travers des images repensées de manière non linéaire, retirant leur neutralité minimale. Les rêves, entre autres, deviennent des éléments de la réalité filmée. La frontière entre le vrai et le faux, le réel et l'illusion, le haut et le bas est transcendée, créant ainsi des contrastes intentionnellement indistincts, entrelacés de manière subtile. Cela se traduit par une immersion dans une expérience sensorielle profonde et intensément existentielle, « l'existence comme réalité concrète, une expérience de liberté sans concessions », rendue possible en repoussant toujours plus les limites du cinéma, mettant ainsi à l'épreuve la persévérance du spectateur lors du visionnage. À ce sujet, il déclare : « Tout ce que je veux, c'est éveiller des émotions et des pensées basées sur la sympathie dans votre monde intérieur ». Cette approche implique d'accepter d'un côté un rythme ralenti à l'extrême et de l'autre, la soudaineté de retournements irrationnels. Le film devient un voyage initiatique stimulé par une caméra méditative, à travers une mise en scène à couper le souffle qui expose la complexité du monde grâce à une créativité illimitée.Cela se traduit par la cadence propre du film, où se succèdent des scènes contemplatives d'une finesse et d'une intensité inégalables, des dialogues à la portée spéculative transcendantale, et une réalisation intelligente. Ajoutons à cela la plasticité axée sur la photographie explorée en profondeur et dans ses différentes potentialités artistiques, oscillant entre des jeux de lumière spectaculaires en noir et blanc et des scènes en couleur parfaitement maîtrisées. De plus, les plans soigneusement conçus exploitent l'espace d'une manière nouvelle et réfléchie, en tenant compte de ses possibilités cachées. C'est un cinéma qui fonctionnalise l'art de faire du cinéma, transformant ainsi son essence pour répondre à une mission déterminée : poétiser la vie.