Vingt ans déjà sont passés depuis le décès de feu Ali Yata. Cette sommité de la vie politique et intellectuelle marocaine rendit l'âme dans les lauriers des gloires et les girofles des honneurs. L'un des artisans marquants du Maroc d'aujourd'hui s'éteignit, avant même qu'il n'ait dégusté les tout premiers fruits de son labeur titanesque. Le leader communiste, si altruiste et pugnace, s'éclipsa, en fait, quelques temps avant l'avènement de l'alternance consensuelle sur laquelle il fondait son beau rêve unioniste au service des causes suprêmes de la Nation et du Peuple. Un triste accident, jusqu'ici énigmatique, le priva de ces instants mémorables de l'itinéraire éprouvant de l'Histoire, alors qu'il venait de rédiger une missive à ses compagnons du mouvement national pour leur solliciter vivement le parachèvement du projet unitaire. Lui qui s'est ardemment attelé pour que le pays amorce cette héroïque manœuvre, après des années de frictions, de griefs et de ressentiments. «Ssi Ali était pour nous un modèle incontestable qui imprimait au parlement cette estampille hors pair. On se souvient, un jour, au lieu de claironner haut et fort son discours rationnel – comme il en a l'habitude -, avec cet accent incisif et ce verbe vibrant, il psalmodiait une oraison spirituelle d'un des anciens Cheikh religieux, au cours de laquelle il implora Dieu de précipiter le départ du gouvernement déficitaire. L'hémicycle, subtilement pris au dépourvu, s'emplissait de boucan de stupéfaction et de dérision, à l'écoute de ces propos provocateurs», racontaient certains anciens députés qui n'en revenaient pas d'avoir vécu cette scène à la fois satirique et pleine d'enseignement humaniste. En effet, Ali Yata avait constamment ce cachet d'humour qu'il imprima si audacieusement pour transmettre ses messages, dans des circonstances qui n'admettaient pas toujours cette rigueur cartésienne du traitement et de l'analyse. On se souvient un jour, au fameux cinéma Salam d'Agadir, les leaders de la koutla, composée à l'époque des quatre formations politiques à savoir M'hamed Boucetta du PI, Abderrahmane El Youssoufi de l'USFP, Ali Yata du PPS et Mohamed Ne sais Ait Idder de la défunte OADP, célébraient dans la capitale du Souss la commémoration du manifeste de l'indépendance. Ce jour-là, cette rencontre se déroulait sous une pluie battante qui, subitement, se mit à tomber, après de longues périodes de sécheresse. Ali Yata, qui prenait la parole, après celles de ses compères Mohamed Boucetta et Abderrahmane El Youssoufi, empruntait encore une des formules humoristiques pour détendre l'atmosphère et crucifier les choix chaotiques des responsables de l'Exécutif, en s'adressant à leurs auteurs, en ces termes : « Les pluies bienfaitrices qui tombent aujourd'hui, sans doute, le gouvernement aura-t-il le culot de les mentionner, sans scrupule, dans le palmarès de ses réalisations ; bien que ce soit un don du ciel ». Là encore, une rafale d'applaudissements éclata dans la salle de cet édifice patrimonial. Cette assistance, fort accrochée par cette communication saisissante, avait droit par la suite, à un discours de haute teneur analytique de la situation économique, sociale et culturelle du pays. Cette intervention qui avait, de bout en bout, enchanté l'auditoire composé essentiellement des cadres et militants des partis de la Koutla, insistait d'abord sur la nécessité de conjuguer les énergies du camp national, démocratique et progressiste pour faire face à la politique réactionnaire et impopulaire adoptée par le régime et ses acolytes défaillants. Ensuite, il fit étalage d'une panoplie d'alternatives à cette vision rétrograde, basée sur des mesures à court et long terme pour libérer le pays de l'austérité et l'appauvrissement des couches populaires déshéritées. Ssi Ali avait également, en dépit de ses innombrables tâches, ce profond respect pour l'Homme, quel que soit son registre. Je me rappelle comme si cela datait d'hier, quand j'ai commencé à envoyer mes premiers écrits sportifs par le biais du «hors sac», à Al Bayane, au début des années 80, certains de ces papiers qui couvraient les matchs sportifs d'Agadir et environs, ne parvenaient pas à la rédaction à temps. Alors, à chaque retard, Ssi Ali prenait la peine de m'écrire pour me signifier que les articles sont arrivés tard, qu'il ne pouvait plus les publier et me présentait des excuses pour ces contretemps. Je garde toujours ces missives, avec fierté. «Vous savez, Ali Yata était pour nous un second père, nous qui avions passés des moments ensemble avec le regretté Nadir et Fahd. Notre père, feu Abdeslam Bourquia, nous disait que Ssi Ali était notre oncle et qu'il menait une noble cause pour le Maroc. Encore petits, nous avions un grand respect pour cet homme dont la progéniture était pétillante de finesse et d'intelligence. Un peu plus grand, nous nous rendions compte de la valeur de cet homme hors du commun et de ses enfants», remémorait Khalid Bourquia, fils de feu Abdeslam.