Il y a treize ans, jour pour jour, rendit l'âme Ali Yata. Une pyramide de la vie politique et intellectuelle marocaine s'éteignit. L'un des artisans fondamentaux du Maroc d'aujourd'hui tira sa révérence, avant même qu'il n'ait gouté à la moindre graine de son laborieux parcours de militant de première heure. Le leader communiste, si altruiste et pugnace, s'éclipsa, en fait, quelques temps, avant que l'alternance consensuelle n'ait fait son apparition. Lui qui a ardemment œuvré pour que le pays tentât cette héroïque manœuvre, après des années de frictions et de déchéances. « Si Ali, était pour nous, une sommité qui donnait au parlement cette singularité saillante. Je me rappelle, un jour, au lieu de lire son discours rationnel comme il en a l'habitude, avec cette accent parfait et ce verbe vibrant, il lut une prière spirituelle d'un des anciens Cheikh religieux, au cours de laquelle il demanda Dieu de précipiter le départ du gouvernement défaillant. La salle était complètement prise de rires devant ces propos inhabituels. », se souvenait Ali Kayouh, l'un des doyens de la députation qui, il faut bien le dire, garde un sentiment à l'égard de cette vieille connaissance. En effet, Ali Yata avait constamment ce cachet d'humour qu'il imprima si audacieusement pour transmettre ses messages, dans des circonstances qui n'admettaient pas toujours cette rigueur cartésienne du traitement et de l'analyse. «Je me souviens un jour, au fameux cinéma Salam d'Agadir, les leaders de la koutla, composée à l'époque des quatre formations politiques à savoir le PI, l'USFP, le PPS et la défunte OADP, célébraient dans la capitale du Souss la commémoration du manifeste de l'indépendance. Ce jour-là, cette rencontre se déroulait sous une pluie battante qui, subitement, se mit à tomber, après de longues périodes de sécheresse. Ali Yata qui prenait la parole, après celles Mohamed Boucetta et Abderrahmane Youssoufi, empruntait encore une des tournures humoristiques pour détendre l'atmosphère et crucifier les choix chaotiques du pays, en s'adressant à leurs auteurs, en ces termes : (Les pluies bienfaitrices qui tombent aujourd'hui, sans doute, le gouvernement aura-t-il le culot de les mentionner, sans scrupule, dans le palmarès de ses réalisations, quoique que ce soit un don du ciel). Là encore, une rafale d'applaudissements émana de l'assistance, fort accrochée par cette communication saisissante. », ne cessait de répéter Abdelkader Ababou, militant de proue du PPS et l'un des hommes de théâtre les plus illustres du pays. Si Ali avait également, en dépit de ses innombrables tâches, ce profond respect pour l'homme, quelque soit son registre. Je me rappelle comme si cela datait d'hier, quand j'ai commencé à envoyer mes premiers écrits sportifs par la formule « hors sac », à Al Bayane, en 1981, certains de ces papiers qui couvraient les matchs hebdomadaires du Hassania d'Agadir, ne parvenaient à la rédaction à temps. Alors, à chaque retard, Si Ali prenait la peine de m'écrire pour me signifier que les articles sont arrivés tard, qu'il ne pouvait plus les publier et me présenta des excuses pour ces contretemps. Je garde toujours ces missives, avec fierté. «Vous savez, Ali Yata était pour nous un second père, nous qui avons passé des moments ensemble avec le regretté Nadir et Fahed. Notre père, feu Abdeslam Bourquia, nous disait que Si Ali était notre oncle et qu'il menait une noble cause pour le Maroc. Encore petits, nous avions un grand respect pour cet homme dont la progéniture était pétillante de finesse et d'intelligence. Un peu plus grand, nous nous rendions compte de la valeur de cet homme hors du commun et de ses enfants. », remémorait Khalid Bourquia, fils du feu Abdeslam.