sur la ville de Casablanca (16) Dans cette série d'entretiens, l'architecte de renommée internationale Rachid Andaloussi raconte l'histoire de Casablanca à sa manière. Avec son regard perspicace, sa vision des choses exceptionnelle, l'enfant de la métropole nous fait découvrir cette ville mouvementée qui brille par la richesse de son patrimoine architectural et ses édifices hors pair. Et ce n'est pas tout. Ce militant, défenseur acharné de la modernité, nous raconte son combat intense, mené depuis des années, afin de concilier la capitale économique avec son passé glorieux et la remettre sur le bon chemin à l'instar des plus belles cités mondiales. Bourré d'espoir et d'un optimisme inégalé, Andaloussi place haut la barre, espérant qu'un jour Casablanca organise les jeux olympiques. Un rêve tout-à-fait légitime, martèle-t-il, soulignant dans ce sens la nécessaire implication de toutes les bonnes volontés. Les propos. Al Bayane : Selon vous, quelles sont les véritables causes de la bidonvilisation des villes marocaines ? Rachid Andaloussi : D'abord, je dois préciser que j'ai toujours défendu l'idée que les villes au Maroc sont orphelines. Il n'y a personne qui les défend. Pour certains, la ville est considérée comme une machine à pomper ou une vache à traire. Il n'en demeure pas moins que la politique de Benhima a fait surgir beaucoup d'ennemis qui le percevaient d'un mauvais œil, étant donné qu'il agissait contre leurs intérêts. Idem pour moi aussi, car j'étais son consultant. S'agissant des bidonvilles, j'estime que la responsabilité est partagée. Il est à souligner que lorsque Benhima a pris les commandes de Casablanca, le phénomène «tkalya» faisait encore des ravages dans le tissu urbain de la ville, en particulier dans les périphéries de la métropole. Pour l'anecdote, la star de la chanson populaire, Abdelaziz Stati, a composé une chanson sur le phénomène tkalya et Co. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs ce que vous entendez par le phénomène « tkalya» «Tkalya» était le groupe le plus puissant à Casablanca, en matière de promotion immobilière. Pardon, je dirais la promotion des bidonvilles. Tkalya est une personne qui avait des accointances douteuses avec certains agents d'autorité à l'époque. Il squatte des lots de terrains qui appartiennent soit à l'Etat ou à des particuliers et y construit des baraques. La baraque est vendue à 80 mille DH l'unité. Il était entouré par une armée de personnes. Une fois les constructions des baraques achevées, il les fait venir pour occuper les baraques en leur versant quelques pièces de monnaie, en attendant de les vendre. Imaginons dans le cas de figure, qu'il construit 100 baraques, cela va lui drainer une somme faramineuse. Or, ce personnage a procédé à la vente des milliers de baraques... Il était présent partout, à Douar chichane, Lakhyayta, Sakouila. Evidemment, il n'était pas seul. Il s'agissait bel et bien d'un réseau structuré. Benhima avait eu l'audace de mener une opération grandiose dans le bidonville de Lahjajma pour libérer la voie publique. Comment avez-vous réalisé ce coup de balai ? L'ancien Wali de Casablanca était convaincu d'une idée pertinente. Pour réussir un projet, il faut l'adhésion de tous les acteurs. C'est une condition sine qua non que l'on apprend dans le management des projets. S'agissant des bidonvilles, les enjeux sont énormes : politiques, pécuniaires, mobilité sociale... En fait, le bidonville constitue dans la plupart des cas un fief électoral, pour d'autres un moyen pour accumuler de l'argent... Donc Benhima était convaincu de l'adhésion de tous, à commencer par le cheikh et le moqadem, promoteurs immobiliers, particuliers, bidonvillois et autorités. Ils forment, dans ce cas, les véritables acteurs de ce système d'action concret. La ville est un organe qui est au service de tout le monde et ne devrait nullement assumer les graves erreurs perpétrées par les opportunistes. Ainsi, je lui ai dit qu'il y a un problème à Lahjajma, l'un des plus vieux bidonvilles à Casablanca, car les bidonvillois occupaient illégalement les boulevards obturant ainsi la circulation. Il y avait un véritable problème de circulation, et presque tous les boulevards ont été bloqués. On a pris l'hélicoptère pour survoler le bidonville et prendre des photos afin de bien situer son emplacement. Notre souci était également d'avoir le nombre exact de familles qui occupent cet espace. Comment avez-vous fait pour réussir l'opération de relogement des bidonvillois? Pour baliser le terrain à l'opération de relogement, on a contacté des promoteurs immobiliers importants pour contribuer à la réussite de l'opération. En contrepartie des dérogations, il leur est demandé de mettre à la disposition des bidonvillois des appartements avec le prix de revient.Cela nous a permis de stocker un nombre important d'appartements. Puis, en deuxième lieu, on est entré dans des négociations avec les familles propriétaires des terrains, en l'occurrence les familles Tazi, Benzakkour... Nous leur avons demandé de contribuer financièrement à cette opération de recasement au cas où nous évacuerons les parcelles. Nous nous sommes engagés de leur assurer la construction des immeubles, une fois l'opération d'évacuation terminée. En troisième lieu, on est allé voir la banque pour faire un montage financier. Afin de garantir les droits de la banque, nous avons trouvé un modus-vivendi. Comment avez-vous pu convaincre les banques ? Apres avoir achevé le montage financier, nous nous sommes mis d'accord pour que la redevance de l'électricité et de l'eau contienne le montant de la traite fixé à 700DH par mois. Les bidonvillois ont-ils accepté votre offre ? Au début, ils ont affiché une certaine résistance. Pour faire respecter la loi, le wali était dans l'obligation de renverser le rapport de force en menant une opération d'envergure. Le jour «J» des forces de l'autorité, à bord de bus, sont venues à 4 heures du matin. Ils ont conduit toutes les familles à Tit-Mellil. Accueillies dans de bonnes conditions, le Wali a veillé à ce qu'elles soient totalement prises en charge : nourriture, logement. Des navettes ont été également mises en place pour assurer le transport à leurs enfants. Devant le fait accompli, les familles ont fini par accepter. Il faut reconnaitre que par une telle opération, Benhima a fait d'une pierre deux coups. C'était un message à tous les réseaux mafieux, indiquant que l'Etat ne badine pas avec le respect de l'ordre public et, secundo, cette opération pleine de leçons avait une dimension sociale, traduisant le véritable rôle que devrait remplir le manager de la chose publique.