A la recherche d'un figurant à Ouarzazate, la réponse du réceptionniste de notre petit hôtel fut aussi rapide que surprenante : «allez voir Ben Laden. Vous le trouverez à la Casbah, tout le monde le connaît.» Dans le cinéma depuis 1985, ce sosie de Ben Laden raconte avoir été, entre autres, disciple de Jésus Christ et terroriste islamiste. Il préfère jouer les méchants. Le 11 septembre 2001 et la guerre contre Al Qaida resteront dans la mémoire d'Abdelaziz Abou Inane pour une raison très particulière : ils ont engendré un tournant inattendu et plutôt positif dans sa vie. Et pour cause, cet habitant de Ouarzazate, ville de cinéma où il travaille depuis des décennies en tant que figurant et mécanicien de tournage, ressemble de manière frappante à Oussama Ben Laden, en un peu plus âgé. Quand les chefs de casting repérèrent cette ressemblance, Abou Inane devient un figurant demandé. Dans les années 2000, les films sur les terroristes islamistes ont la cote et, à chaque tournage à Ouarzazate, Abou Inane joue le méchant. Aujourd'hui, même si son vrai nom est celui d'un ancien sultan mérinide, Abou Inane est plus connu sous le nom de Ben Laden. Ainsi, retrouver Ben Laden est facile à Ouarzazate. Il l'explique lui-même à qui veut entendre : «en face de la porte de la Casbah, tu dis j'ai besoin de Ben Laden'», rien de plus simple. Il tient un petit magasin avec toute une collection de photos de lui en costume de Ben Laden et en figurant dans des films sur la bible. «Venez voir, c'est comme un musée». Abou Inane a figuré dans des dizaines de films aux côtés, notamment, de Jean Claude Van Damme et Omar Sharif. Toutefois, il n'arrive pas à se rappeler les noms de films auxquels il a participé. «Parce que, tu sais, on m'appelle pour me dire 'tu travailles', vite !», pas le temps de poser des questions. Les contacts avec les producteurs, réalisateurs ou acteurs principaux restent assez rares. Les figurants sont choisis par les chefs de castings, qui restent ainsi leurs principaux - et parfois uniques - interlocuteurs pendant les tournages. «J'aime jouer les méchants» Abou Inane travaille dans le cinéma depuis 1985. Loin d'imaginer qu'on lui demanderait un jour de figurer en tant que terroriste islamiste, il a commencé en tant que mécanicien de plateau. «Dans les années 60, il n'y avait pas beaucoup de cinéma à Ouarzazate, donc le début c'était 'Le diamant du Nil' [de Lewis Teague, 1985, ndlr].» Il a choisi de suivre la voie du cinéma. «J'ai trouvé que le domaine était bon, parce qu'il y a beaucoup de départements : il y a machiniste, le métier de l'électro, il y a les effets spéciaux», domaine dans lequel il a notamment travaillé pour un James Bond. «J'ai beaucoup travaillé avec les techniciens italiens qui sont venus à l'époque avec les techniciens du CCM [Centre Cinématographique Marocain, ndlr]. A l'époque, ce n'était pas comme aujourd'hui. Le matériel était dur, ils avaient besoin de gens qui sont capables et qui sont de confiance.» Présent sur les plateaux dès les débuts des Studios de l'Atlas, en 1983, il était en bonne position pour être appelé à devenir figurant. Depuis les années 80, de nombreuses productions sur les temps bibliques sont tournées à Ouarzazate. Par conséquent, beaucoup d'habitants de la région ont pris le costume des premiers chrétiens. «J'étais disciple de Jésus», explique Abou Inane. Ce qu'il préfère, pourtant, c'est jouer le rôle du méchant et il en a eu amplement l'occasion. Avant même le 11 septembre, le terrorisme islamiste fascinait Hollywood et des productions comme «Rules of Engagement», avec Samuel L. Jackson, en 2000, ont été tournées en partie à Ouarzazate. Après 2001, le nombre de films, mais aussi les documentaires sur Al Qaida, les Talibans en Afghanistan, les Moujaheddines augmente pour le plus grand bonheur d'Abou Inane. Ben Laden apparaît sur les écrans : une production belge, une production allemande, une série de documentaires de National Geographic… Etre figurant : du «dépannage» Pour Ben Laden, le cinéma est presque devenu une histoire de famille. Sa fille et son fils sont aussi figurants mais plus par nécessité que par passion. «J'ai besoin que mes enfants travaillent pour gagner un petit chouiya d'argent de plus.» La rémunération d'un figurant reste modique : «c'est 200 dirhams par personne et par jour», indique Abou. 200 dirhams n'est, de plus, que la moyenne payée par les producteurs français et américains. Les Saoudiens, Emiratis et Marocains payent moins. Pas assez pour vivre dans tous les cas, d'autant plus que la figuration n'est pas quelque chose de fixe. «Il y a des metteurs en scène qui ont besoin de barbes, d'autres ne veulent pas de barbe, il y en a qui ont besoin de noirs…» Au mieux, les figurants travaillent quelques semaines par an sur des tournages. Ben Laden est clair : «Ici, à Ouarzazate, le cinéma c'est un dépannage, c'est pas un métier !» Lui-même a de la chance, Abou Inane en est conscient. Grâce à sa ressemblance avec Ossama Ben Laden, les choses marchent plutôt bien pour lui, mais sans sa boutique, il ne pourrait pas vivre non plus. Pourtant, il espère que les choses changent. Le casting de la Ouarzazate Film Commission pendant lequel nous l'avons rencontré est un premier pas, selon lui, car il sert à établir une base de données de figurants sur internet, consultable à distance. «Avec la base de données, nous n'allons plus travailler comme ces dernières années. Nous avons travaillé pour des prix très bas.» Professionnaliser le secteur de la figuration augmentera les salaires, espère-t-il. Mais il n'est pas dupe, il sait qu'il faut miser sur autre chose que la figuration. «Nous avons besoin de jeunes qui connaissent les différents métiers du cinéma. Qu'il y ait, ici, des spécialistes sur place.» L'enjeu est important, car une chose est sure pour Abou Inane. «C'est Dieu qui a amené le cinéma à Ouarzazate. S'il n'y a pas de cinéma, il n'y a rien, walou !»