Les deux hémicycles ont tour à tour abordé la politique migratoire, un peu plus d'un an après l'adoption de la loi asile et immigration en septembre 2018, qui avait déjà fait l'objet de vives critiques de la part des ONG et de certains députés, y compris au sein de la majorité. Les Français sont-ils préoccupés par l'immigration ? Emmanuel Macron en est convaincu, et c'est la raison pour laquelle la politique migratoire de la France s'est à nouveau invitée à l'Assemblée nationale, lundi 7 octobre, à la demande du chef de l'Etat. Ce mercredi après-midi, c'est au Sénat que s'ouvrira le débat. Mais de quoi ces discussions sont-elles le nom, alors qu'une loi asile et immigration, sévèrement décriée par les associations, a déjà été adoptée en septembre 2018 ? «Je pense que ce débat répond tout simplement à un calendrier électoral. Dans un contexte européen et mondial de montée du populisme, le président Macron doit se démarquer, poursuivre sa politique plus à droite et répondre à un électorat qu'il pense non acquis», réagit auprès de Yabiladi Chadia Arab, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et vice-présidente du Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (Forim). Dans son allocution introductive à l'Assemblée nationale, le Premier ministre Edouard Philippe a énuméré six «axes de travail». Il s'est notamment montré favorable à une éventuelle mise en place de quotas sur l'immigration professionnelle. «Il faut avoir une approche pragmatique en relation avec nos besoins de main-d'œuvre», a-t-il déclaré, en écho à une catégorie de la migration qui concerne près de 34 000 titres délivrés en France en 2018, sur un total de 256 000 titres. Le chef du gouvernement a toutefois précisé que de tels quotas ne peuvent «pas s'appliquer à l'asile ni au regroupement familial». Une discrimination sur la base des «bons» et «mauvais» migrants «L'idée des quotas existent depuis déjà très longtemps, rappelle Chadia Arab. Certaines nationalités sont plus acceptées que d'autres lors de la demande d'asile, certaines branches professionnelles en tension sont favorisées, et des listes existent pour les rendre visibles. Le durcissement de la demande de naturalisation est en marche depuis plusieurs années : d'abord les conditions requises sont importantes, et mêmes quand elles sont réunies, la demande peut aboutir à un refus. Sans évoquer la démarche administrative longue et complexe, qui relève d'un véritable parcours du combattant.» Pour la chercheuse, spécialiste des questions migratoires, cette sélection trahit une «remise en question» des principes de la déclaration des droits de l'Homme et de ceux de la constitution française, «aujourd'hui largement bafoués par une politique migratoire plus dure, plus restrictive, qui affaiblit la protection des droits des migrants irréguliers et des demandeurs d'asile, en faisant notamment de la légalité du séjour un facteur discriminant, entre les ''bons'' et les ''mauvais'' migrants, entre les Français de nationalité et les autres». «Tout cela résume bien l'orientation prise par ces politiques migratoires, où les êtres humains, leur protection, leur dignité, ne sont plus au cœur des véritables préoccupations de l'Etat.» De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a plaidé pour une répartition équitable, en Europe, des responsabilités face à l'afflux de migrants en mer Méditerranée. Soit en accueillant sur son sol des réfugiés, soit par la «solidarité financière ou matérielle». Sur le volet santé, la ministre des Solidarité et de la santé, Agnès Buzyn a quant à elle fermement défendu l'Aide médicale d'Etat (AME), une protection sociale pour permettre aux personnes en situation irrégulière d'avoir accès à un panier de soins réduit. La ministre a cependant annoncé un «plan de lutte contre les fraudes». Auprès du journal Le Monde, Violaine Carrère, chargée d'étude au Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), estime que le discours du Premier ministre «laisse une impression de déjà-vu assourdissante. Les mêmes slogans, les mêmes binômes ''humanisme et fermeté'' qu'on entend depuis trente ans. Je ne vois rien de neuf. C'est consternant». Le Pacte de Marrakech, un trompe-l'œil «La notion d'humanisme, de solidarité, de dignité, de protection des droits sont absents aujourd'hui des discours politiques, laissant la place aux discours extrêmes, populistes et en faisant des amalgames grossiers sur l'immigration et la sécurité de la France, les fraudes des migrants, l'invasion que connaîtrait le pays, la question religieuse et plus particulièrement l'Islam», complète Chadia Arab. Dans une tribune publiée sur son site en réaction à l'ouverture de ces débats parlementaires, le Forim a dénoncé les idées reçues dont font l'objet les migrants, en particulier les demandeurs d'asile et les réfugiés. La chercheuse pointe du doigt également «l'augmentation croissante du budget sécuritaire de l'Europe pour protéger ces frontières et assigner à résidence les populations les plus pauvres», ainsi que les «réadmissions et expulsions nombreuses». Pour rappel, selon les chiffres de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), le total des éloignements d'étrangers en situation irrégulière en 2018 est en hausse de 13,6%, et concerne près de 20 000 personnes. «L'obsession des reconduites aux frontières (entre 15 et 20 000 par an) et de la politique sécuritaire de l'Europe ne permet pas de réduire le nombre d'arrivées sur notre territoire, mais elle tue chaque année des milliers de femmes et d'hommes (près de 20 000 depuis 2014 selon l'Organisation internationale pour les migrations)», souligne d'ailleurs le Forim dans sa tribune. Chadia Arab déplore enfin le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, «dont l'intitulé même donne la tonalité de l'orientation souhaitée pour ces politiques migratoires».