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Le projet de loi sur l'interruption volontaire de grossesse réveille encore des voix réticentes
Publié dans Yabiladi le 23 - 07 - 2019

Alors que le Parlement examinera les textes relatifs à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans le cadre du projet de loi 10.16 sur la réforme du Code pénal, la matrice idéologique du PJD a appelé à se conformiser aux préceptes religieux. De son côté, la société civile dénonce de nouveau un texte restrictif.
Depuis un mois, les voix s'élèvent de nouveau pour un cadre légal de la pratique de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), permettant aux femmes d'accéder au droit à la santé et à la prise en charge médicale sans contraintes. C'est dans le sillage de cette mobilisation, marquée notamment par un sit-in à Rabat, que les détracteurs de cette pratique se sont également saisis de la question.
Dimanche dernier, le Mouvement unicité et réforme (MUR) a ainsi publié un communiqué où il se félicite des termes légaux définissant le cadre de la pratique de l'IVG dans le projet de loi 10.16 relatif à la réforme du Code pénal, réitérant sa position sur «la criminalisation de l'avortement».
La matrice idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD) a même appelé à effectuer une relecture du texte au sein du Parlement, de manière à «préciser la terminologie afin de garder sa conformité avec les préceptes de la religion islamique» et «les constantes qui lient les Marocains».
Des voix majoritairement masculines pour décider des droits des femmes
Cette déclaration du MUR intervient une dizaine de jours après un sit-in pour un cadre légal et respectueux de la dignité des femmes en matière de droit à l'IVG. Depuis l'examen des dispositions du texte en conseil du gouvernement en 2016, la question a suscité une large polémique, faisant que l'examen du texte au Parlement soit longtemps ajourné sine die.
«Pourquoi imposer aux femmes de garder un fœtus lorsqu'elles ne sont pas en capacité de le prendre en charge ?», fustige Laila Majdouli, membre de la Coalition printemps de la dignité, mais aussi membre fondatrice de l'Association solidarité féminine (ASF), contactée par Yabiladi. Pour la militante, «nous n'avancerons pas, tant que nous mettons la religion en avant dans les débats sur les droits humains des femmes».
«Cessons de ne placer la religion au centre des débats que lorsque cela arrange les uns ou les autres et surtout lorsqu'il s'agit de la question des femmes. Nous avons des exemples parmi les pays voisins, islamiques, qui ont bel et bien légiféré pour l'IVG dans le respect du droit à la santé tel que reconnu par l'Organisation mondiale de la santé.»
Laila Majdouli, membre de la Coalition Printemps de la dignité
C'est justement pour éviter ce mélange des genres que Laila Majdouli préconise «la mise en place d'un Code de la santé, qui sépare ce qui est de l'ordre du médical, des questions pénales, juridiques et d'ordre public». «Nous tenons toujours à cette revendication, car il n'y a pas de demi-mesure à la défense de l'accès à la santé pour les femmes dans les normes reconnues», affirme-t-elle en jugeant, de ce fait, que le projet de loi 10.16 «est tordu d'emblée».
Selon la militante, les dispositions prévues par ce texte «ne limiteront pas drastiquement les avortements clandestins». Dans ce sens, elle rappelle que «les grossesses non désirées sont une violence à l'égard des femmes et le fait de ne pas leur permettre un IVG dans un cadre approprié l'est tout autant».
«10% seulement de la solution» aux grosses non désirées
Abondant dans l'idée de primauté de l'accès des femmes à la prise en charge médicale, le gynécologue Chafik Chraïbi défend auprès de Yabiladi que «ni la religion, ni les islamistes, ni la loi ne peut aller à l'encontre de ce principe, si l'on se tient au cadre de l'OMS». Un cadre qui tient, selon lui, «compte des dimensions physique, psychique, sociale et économique de la santé des patientes», notamment en matière d'IVG.
«Si les choses avaient été pensées puis faites de la sorte, nous aurions évité plusieurs polémiques qui ont retardé l'élaboration d'un cadre normatif respectueux des droits des femmes à décider d'avoir ou non des enfants», déplore le médecin, qui est également président de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (AMLAC). Dans ce sens, il dit aussi regretter que le texte n'ait «pas bénéficié de la priorité qu'il mérite».
«Il faut savoir qu'en attendant l'adoption d'un cadre normatif, il y a quotidiennement des victimes de grossesse non désirée, des conséquences d'un avortement clandestin sur leur santé, des médecins pénalisés pour les avoir pratiqués, des suicides, des jeunes filles enceintes assassinées par un proche, mais aussi beaucoup de nouveau-nés abandonnés, tués à la naissance ou jetés dans les poubelles.»
Dr Chafik Chraïbi, gynécologue et président de l'AMLAC
A la question de savoir si la situation pourra bientôt changer, Dr Chraïbi rappelle qu'en 2016, le conseil du gouvernement a adopté un texte qui autorise l'avortement dans quatre situations que sont le viol, l'inceste, les malformation fœtales et les femmes souffrant de handicap mental. S'il concède que l'initiative peut être «un premier pas en avant», il affirme que «cela reste insuffisant car ça ne règle que près de 10% des situations auxquelles nous nous confrontons quotidiennement», comme les cas de mineures et de sans-abris enceintes, entre autres.
Le médecin, qui préconise un amendement de l'article 453* du Code pénal, suggère à cet égard de rattacher simplement les «termes vagues» à la définition de l'OMS dans toutes ses dimensions, ce qui aurait permet «un amendement rapidement adopté pour arrêter l'hémorragie, laissant ainsi l'interprétation de ces termes à l'appréciation du médecin».
*L'article 453 du Code pénal
L'avortement n'est pas puni lorsqu'il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu'il est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien avec l'autorisation du conjoint.
Si le praticien estime que la vie de la mère est en danger, cette autorisation n'est pas exigée. Toutefois, avis doit être donné par lui au médecin- chef de la préfecture ou de la province.
A défaut de conjoint, ou lorsque le conjoint refuse de donner son consentement ou qu'il en est empêché, le médecin ou le chirurgien ne peut procéder à l'intervention chirurgicale ou employer une thérapeutique susceptible d'entraîner l'interruption de la grossesse qu'après avis écrit du médecin-chef de la préfecture ou de la province attestant que la santé de la mère ne peut être sauvegardée qu'au moyen d'un tel traitement.
Article modifié le 2019/07/23 à 19h44


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