Strictement encadrée par la loi, interdite par la religion, honnie par la société, l'Interruption volontaire de grossesse (IVG) au Maroc se pratique le plus souvent en secret, dans le cabinet d'un médecin, dans une clinique privée ou à domicile. Tous les jours, presque 1.200 Marocaines se font avorter, selon un rapport de l'ONU paru en avril 2018. Au péril de leur vie, certaines en gardent des séquelles psychologiques indélébiles. L'avortement est un sujet qui a toujours divisé au Maroc, l'affaire de la journaliste Hajar Raissouni remet de l'huile sur le feu, faisant ainsi réagir internautes, médecins et associatifs. Arrêtée samedi 31 août 2019, à Rabat à la porte de l'immeuble où se situe la clinique où elle aurait procédé à un avortement, dans le quartier de l'Agdal, Hajar Raissouni a été arrêtée en compagnie de son fiancé, du gynécologue suspecté d'avoir effectué l'avortement, de l'adjoint du médecin et sa secrétaire. En gros, cinq personnes ont été interpellées dans cette affaire et la jeune journaliste de 28 ans sera poursuivie pour rapports sexuels hors mariage et avortement. Les féministes dénoncent une injustice «Nous dénonçons cette arrestation et nous estimons que Hajar, ainsi que toutes les femmes ont le droit de s'approprier leurs corps», s'indigne Latifa Bouchoua, présidente de la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF). L'association a insisté, dans un communiqué paru en trois langues, la nécessité urgente pour le Maroc d'adopter un Code pénal moderne et efficace interdisant toute forme de discrimination et de violence à l'égard des femmes. «Il faut absolument modifier certaines dispositions du Code pénal, à savoir, revoir toutes les lois qui pénalisent l'avortement et les relations consentantes entre adultes, qui représentent une liberté individuelle», explique Latifa Bouchoua. Suivant l'affaire de très près, la FLDF s'engage à nommer un avocat pour défendre Hajar, et faire le nécessaire pour la libérer. Des médecins derrière les barreaux Quand une femme ne désire pas garder une grossesse, fruit d'une relation hors mariage, tous les moyens restent bons pour provoquer une fausse couche : ingurgiter des boissons toxiques composées d'herbes traditionnelles, boire de grandes quantités d'alcool ou encore s'adonner à un grand effort physique. Ces méthodes à domicile peuvent être fatales pour la femme, surtout en l'absence totale d'un contrôle médical. Ceci dit, l'aspect illégal des Interruptions volontaires de grossesses au Maroc oblige certaines patientes et médecins à faire l'opération dans la clandestinité. Un détournement des règles qui a envoyé plusieurs médecins en prison. «La majorité des médecins refusent de pratiquer l'avortement par peur et méfiance, laissant ainsi les patientes dans l'obligation de recourir à des méthodes traditionnelles qui ont des conséquences gravissimes sur leur santé. Cette hémorragie doit cesser et le législateur se doit de trouver une solution à ce fléau qui menace plusieurs vies. En faisant cela, nous verrons moins de femmes jeter des bébés non désirés dans la rue, moins de suicides et visiblement moins de crimes familiaux pour sauver l'honneur. Nos médecins seront aussi là à soigner les gens au lieu d'être en prison», fustige Dr. Chafik Chraibi, président de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (AMLAC). Pour le cas de Hajar Raissouni, Dr. Chraibi, ayant jeté un coup d'œil sur son dossier médical, a déclaré à LesECO, qu'«une fausse couche spontanée est une option plus proche de l'IVG pour le cas de la journaliste». Le médecin explique ainsi que «selon les analyses, le taux de Beta HCG, hormone produite par la femme enceinte, a été de 13.000, qui est un chiffre très bas comparé à la durée de grossesse estimée à 8 semaines par les enquêteurs». L'article 453 du Code pénal ne punit pas «l'avortement lorsqu'il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu'il est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien avec l'autorisation du conjoint», cet article qui a été modifié ajoutant des exceptions, tels que les malformations de l'embryon et un état critique de la mère pour autoriser les IVG, manque encore de précision selon Dr. Chraibi. L'OMS définit la santé comme l'état physique, psychique et social de la personne, «le législateur devrait se pencher sur les percussions graves sur la santé des femmes porteuses de grossesses non désirées, en respectant la santé telle qu'elle est décrite par l'Organisation mondiale de la santé. Ainsi nous prendrons en considération le calvaire vécu par les mères qui ne désirent pas garder leurs bébés, et les protéger de l'exclusion sociale en autorisant un avortement qui respecte les normes médicales et permettra d'éradiquer les avortements sauvages et les incarcérations insensées».