C'était au mois de mai 2008. Le sujet faisait alors l'objet d'une journée d'étude à la Chambre des représentants du groupe parlementaire du Parti Justice et Développement (PJD). Ce dernier était, à cette époque, en contact régulier avec l'Association marocaine de Lutte contre les avortements clandestins (AMLAC) présidée par le professeur en gynécologie Chafik Chraïbi : «J'ai tenu plusieurs réunions avec mon collègue Saâd Eddine El Othmani. Il était ouvert à l'idée de proposer une nouvelle loi moins restrictive sur l'avortement. Le texte devait être porté par son parti, mais je n'en ai plus entendu parler après le débat parlementaire». Depuis, le patron de la maternité des Orangers (Rabat) a eu des échanges avec plusieurs députés ouverts à l'idée de faire voter une nouvelle loi. Ces locataires de l'hémicycle sont membres de l'Istiqlal et du Parti Authenticité et Modernité (PAM). C'est d'ailleurs du côté de ce dernier que le Professeur Chraïbi a eu le plus d'échos favorables. La députée Fatiha Layadi, s'est réunie cette semaine avec lui pour établir un plan de travail. Selon l'élue de Rhamna, à ce jour, aucun planning précis n'a encore été défini pour présenter un projet de loi. Chafik Chraibi espère que ce sera le plus tôt possible, compte tenu de la gravité de la situation sur les plans sanitaire et social. Ce qui va diviser l'opinion En ce qui concerne le contenu du projet, il devrait reprendre les principales propositions de l'AMLAC : autoriser, sans conditions, la pratique de l'avortement dans des cas graves comme le viol ou l'inceste. Même chose pour une mineure qui se retrouve dans le piège d'une grossesse non désirée. La loi souhaitée par l'AMLAC devrait, aussi, autoriser l'interruption volontaire de grossesse (IVG) s'il est prouvé que les géniteurs ne voulaient plus d'enfants et qu'ils ont usé de moyens de contraception jugés sûrs. Selon un gynécologue de Rabat, «certaines femmes seraient allées jusqu'à la ligature des trompes et cela ne les a pas empêchées de tomber enceintes».De l'avis des médecins, qu'ils soient pour ou contre l'avortement, ce texte aura le mérite de susciter un débat national. À ceux qui diront que la légalisation de l'avortement entraînera plus de débauche, Chakib Chraïbi répond : «Ce n'est pas le médicament qui créé la maladie!». Pour lui, la priorité est de travailler en amont, en donnant une éducation sexuelle de base aux futures mères marocaines. Il est vrai qu'à ce jour, aucun cours n'existe dans les collèges et lycées. Entre pénal et chariâa L'article 449 du Code pénal condamne toute tentative d'avortement, quel que soit le moyen utilisé, que la personne soit enceinte ou supposée l'être, que l'avortement ait abouti ou pas. La peine prévue est de 2 à 5 ans, assortie d'une amende de 200 à 500 DH. Elle peut être de 10 à 20 ans si un décès s'ensuit. Dans les articles suivants (450 à 458), le législateur précise tout de même que l'avortement n'est pas puni s'il vise à préserver la santé (ou à sauver la vie) de la femme enceinte. Du côté des théologiens, s'il existe des oulémas qui condamnent l'avortement de manière absolue, la plupart d'entre eux considèrent que la question relève de l'ijtihad (effort ou exégèse coranique). Du point de vue des autorités religieuses, l'intervention ne peut être justifiée que si la santé de la mère est en danger ou si le fœtus est «non viable». Certains théologiens incluent le viol et l'inceste dans les conditions requises pour autoriser un avortement. L'avortement, une pratique quotidienne nDans sa croisade pour la légalisation, l'AMLAC avance des chiffres-clés pour marquer les esprits: chaque jour, dans notre pays, il y aurait au moins 700 interventions médicales (par aspiration dans la grande majorité des cas) et plus de deux cents autres IVG pratiquées par des avorteuses dites «traditionnelles» qui peuvent être des infirmières, des herboristes ou des femmes «reconnues pour leur expérience». Par contre, aucun chiffre ne filtre sur le nombre d'accidents en cours d'opération, que ce soit en milieu médical ou non. Mais les conséquences sont connues: des décès ou des séquelles post-opératoires graves. Et les risques sont décuplés du fait du caractère clandestin de ces opérations. La même logique intervient en matière de prix : le tarif pratiqué aujourd'hui pour une IVG en cabinet médical (ou dans certaines cliniques) varierait de 1.500 à 12.000 DH. Les avorteuses traditionnelles sont moins chères (autour de 1.000 DH), l'essentiel de leur clientèle ayant de faibles revenus. Que deviennent les enfants non désirés ? Le caractère illégal de l'avortement reste un élément dissuasif. Dans les couches sociales défavorisées, les mineures enceintes d'un enfant non désiré en sont, généralement, les premières victimes: elles sont rejetées par leur famille et se retrouvent à la rue. Les plus chanceuses sont intégrées dans un foyer pour mères célibataires, mais le plus souvent, la prostitution est leur seule alternative pour élever leur enfant. Selon le Professeur Chraibi, «une célibataire qui vient accoucher dans une maternité est obligatoirement prise en charge. Quand vient le moment de remplir le dossier médical, elle peut déclarer avoir perdu sa carte d'identité et donner un faux nom. Après avoir accouché, elle est en droit de prendre son bébé et de disparaître dans la nature. Beaucoup ne reviennent jamais pour récupérer l'avis de naissance qui devrait lui servir pour la déclaration d'Etat civil».