Les relations sexuelles hors mariage augmentent au Maroc et sont favorisées par la place grandissante de l'école et des études. Elles restent cependant régies paradoxalement, en interne, par la perspective du mariage. Les mariages se font de plus en plus tardifs, au Maroc, et ce mouvement s'accompagne de l'augmentation des relations sexuelles hors mariage. Ce constat de plus en plus évident a été renouvelé en 2009, par Leïla Boufraouia, démographe, au cours d'une enquête auprès de 408 personnes, à Sidi Ifni dont elle rend compte dans son article «L'émergence d'une sexualité juvénile hors mariage chez les jeunes de Sidi Ifni», publié en 2017. Celui-ci permet de mesurer la relation paradoxalement étroite que les relations sexuelles hors mariage conservent avec le mariage. La chercheuse s'est prioritairement intéressée à Sidi Ifni parce que le recensement de 2004 a révélé qu'hommes et femmes s'y mariaient en moyenne deux ans plus tard qu'au niveau national urbain. Sidi Ifni est ainsi l'une des ville où la phase de célibat, avant le mariage, est la plus longue. Cet allongement est causé par le rétrécissement des familles sur la famille nucléaire, et la place grandissante prise par l'école, puis l'université dans la vie des jeunes gens. Ces deux phénomènes ont eu tendance à réduire la contrainte sociale de la famille sur la vie sexuelle de ces jeunes. Ainsi, selon l'enquête de Leïla Boufraouia, 70 % des hommes et 45 % des femmes enquêtés ont eu des relations amoureuses avant le mariage. Toutes ne s'accompagnent pas de relations sexuelles mais elles deviennent de plus en plus fréquentes lorsque les couples avancent en âge. Seules 3% des jeunes filles âgées de 15 à 19 ans en 2009 ont ainsi déclaré avoir des rapports sexuels avec leur partenaire, contre la moitié des hommes du même groupe d'âges. Parmi les 30-35 ans, 10% des femmes reconnaissent avoir eu des rapports sexuels avec leur petit ami et un peu plus du double 22% pour les hommes. «Les hommes entre 25 et 35 ans vivent des relations plus courtes et font le choix de former un couple avec une femme qu'ils désirent réellement épouser. Aussi évitent-ils d'enfreindre avec elles les règles de la morale, les considérant comme des épouses potentielles, et préférant attendre le mariage avant de vivre pleinement leur sexualité.» Leïla Boufraouia La norme sociale et religieuse qui interdit les relations sexuelles hors mariage est en effet partagée par tous ; non seulement par l'Etat et les familles qui interviennent pour la faire respecter lorsqu'une relation sexuelle hors mariage est dévoilée en forçant les «coupables» à se marier, mais également par les jeunes qui la transgressent. Cependant, comme elle ne s'applique pas de façon égale aux hommes et aux femmes – il est toléré voire valorisé par tous que les hommes aient des relations sexuelles avant le mariage, mais totalement condamné pour les femmes – cela donne lieu à des contradictions. «Lorsqu'un garçon fait la cour à une jeune fille, généralement elle ne veut pas de lui. Alors il lui promet de l'épouser, juste pour obtenir ce qu'il veut d'elle […] C'est comme ça que les filles tombent dans le panneau.» Un jeune cadre de 28 ans Les femmes ne l'ignorent pas «Ils veulent une petite amie pour s'amuser, mais au fond on sait qu'ils ne vont pas l'épouser, ils préféreront se marier avec celle qui a su rester chez elle.» Une jeune femme divorcée, inactive, de 29 ans Cela peux expliquer qu'elles soient si nombreuses à flirter dès le collège mais si rares à «franchir le pas» jusqu'à la fin du lycée. Cela explique également leur intérêt pour des hommes plus âgés, établis professionnellement dont elles pensent qu'ils envisagent le mariage sérieusement, contrairement aux adolescents de leur âge. Elles ont espoir qu'entrer en relation amoureuse avec eux pourra permettre que celle-ci aboutisse à l'officialisation de leur union. Dans ce contexte, la sexualité hors mariage est souvent associée à l'idée de fonder à terme une famille avec son partenaire. Là intervient l'idée d'amour mutuel comme fondement et légitimation au rapport sexuel. «Les filles et les garçons ont le droit, mais pas avec plusieurs partenaires, juste avec la personne avec qui elles vont se marier.» Un cadre de 27 ans, marié Apparaissent ainsi deux discours contradictoires : la valorisation de la virginité et de l'abstinence avant le mariage qui veut que les hommes aient des rapports sexuels avec des femmes mais surtout pas avec celle qu'ils veulent épouser, d'une part, et d'autre part, l'exception à la règle de la virginité au mariage si la sexualité intervient entre futurs époux. Les deux conceptions sont valides : ainsi 50 % des hommes qui se sont mariés entre 20 et 24 ans ont déclaré avoir eu une sexualité prémaritale avec leur future épouse, et donc autant se sont gardés de le faire. Dans une moindre proportion, plus d'un quart des jeunes femmes mariées, de la classe d'âge des 30-35 ans, affirment avoir débuté leur vie sexuelle avec leur fiancé, bien avant leur mariage. L'enquête de Leïla Boufraouia révèle également que la sexualité hors mariage, malgré ses ambiguïtés, est un phénomène de plus en plus fréquent. Ainsi les femmes les plus âgées ont 2,5 fois moins de chances d'entrer en fréquentation amoureuse que celles issues des générations les plus jeunes, nées entre 1983 et 1994. La revue Intégré à un dossier consacré au genre, à la santé et aux droits sexuels et reproductifs au Maghreb, son article est paru dans la revue L'Année du Maghreb. Elle-même publiée par l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), L'Année du Maghreb a succédé à L'Annuaire de l'Afrique du Nord (1962-2003) dont la première parution aux Editions du CNRS remonte à 1962. Cette revue a deux vocations : porter une attention particulière à l'actualité́ de la région durant une année de référence (dynamiques internes des Etats et sociétés du Maghreb, configuration et transformation de leur environnement international et de leurs relations extérieures) ; accueillir des travaux originaux de sciences sociales sur le Maghreb, valorisant l'approche de terrain et le travail sur des sources inédites. Elle livre ainsi tous les ans des chroniques politiques de l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie, assorties d'un ou plusieurs «gros plans» et de notes traitant de débats d'actualité, ouverts notamment aux questions culturelles, économiques, juridiques ou de relations internationales qui traversent les sociétés du Maghreb. En première partie de chacun de ses numéros, L'Année du Maghreb accueille également un dossier de recherche thématique, centré sur le Maghreb faisant écho tant à l'actualité qu'aux débats pluridisciplinaires en cours dans le champ des sciences sociales. L'auteure Leïla Boufraouia est enseignante et chercheuse en démographie et sociologie à la Faculté de Sciences Humaines de Meknès et chercheure associée auprès du CNRS. Elle s'est beaucoup intéressée à la vie intime et sociale des jeunes de Sidi Ifni. Elle a ainsi étudié leur transition vers l'âge adulte, leur propension limitée au mariage et même leur vie sexuelle.