Hier, un mini-bus et un camion de carrière se sont percutés sur la route entre Larache et Kénitra, au niveau de Moulay Bousselham. Neuf personnes ont trouvé la mort et trente ont été blessées, dont des cas critiques. Le véhicule transportait des ouvrières agricoles vers des champs de fraises. Cet accident n'est pas un fait isolé, et rappelle la situation fragile de ces travailleuses. Entre mercredi et jeudi, le conducteur d'un mini-bus et huit femmes ont trouvé la mort, dont de jeunes cheffes de familles, des femmes divorcées et mères d'enfants. Sur la route entre Larache et Kénitra, elles se dirigeaient vers des champs de fraises où elles étaient embauchées en tant que saisonnières. Alors que les chiffres officiels font état de huit morts, un neuvième a été enregistré dans la nuit, après avoir succombé à ses blessures. En effet, la plateforme Jonctions au Maroc, réseau national des droits des travailleurs, redoute un bilan plus lourd ; les trente blessées sont en effet dans un état grave. Dans un communiqué, l'organisation qualifie de «crime longtemps passé sous silence» le transport des ouvriers agricoles sans garanties de sécurité. Pour elle, la responsabilité incombe au gouvernement, de même que «les autorités locales, la Gendarmerie et la justice, qui taisent la sécurité de transport des travailleurs ruraux». Coordinateur de la plateforme, Abdellah Fnatsa explique à Yabiladi que «c'est tout un modèle de production, de fonctionnement et d'économie qui doit être revu». «La course à la réduction des coûts de production a fait que l'on ne pense plus à la sécurité des ouvriers. C'est une précarisation au niveau de la stabilité de l'emploi où on revoit les conditions de travail au minimum, quitte à ce que cela porte atteinte à la vie de jeunes et de chefs de famille». Abdellah Fnatsa Un cas non-isolé Abdellah Fnatsa considère que cet accident n'est pas un cas isolé. Il est plutôt symptomatique de ce que vivent quotidiennement des travailleurs agricoles, surtout les femmes, dans la cueillette de fraises. «Pour cela, on emploie des femmes de jeune âge et on exige qu'elles aient des mains fines pour les faire travailler sans gants et ne pas abîmer le fruit», explique-t-il. «On cherche ces ouvrières dans des villages très pauvres, où il y a plus de chances de trouver des candidats prêts à travailler sous n'importe quelles conditions, pour que cela ne se répercute pas sur le coût de transport, on a recours à des véhicules et à des moyens de locomotion qui sont parfois inutilisables», ajoute encore le militant. Coordinateur de la section MENA de La Via Campesina, une plateforme internationale regroupant associations professionnelles, syndicats paysans et petits agriculteurs, Mohamed Hakach rapporte de son côté que dans le cas de cet accident, l'état du mini-bus était bon, mais que le véhicule était en surcharge. «Comptant 20 sièges, il transportait 42 personnes ; de plus, le camion de carrière roulait à vive allure, transportant du sable volé», explique-t-il à Yabiladi. Egalement membre de la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA), Mohamed Hakach rappelle que ces accidents sont fréquents, dans plusieurs régions du Maroc. «En plus de l'état des infrastructures routières notamment dans le monde rural, les véhicules n'ont parfois qu'un seul phare sinon aucun, roulant souvent aux premières heures de la journée où il fait encore sombre, quand les ouvriers ne sont pas conduits en calèches, sans aucune assurance», souligne-t-il. Peu d'écoute auprès du gouvernement Mohamed Hakach affirme avoir saisi le ministre de l'Emploi sur cette question à plusieurs reprises, notamment pour tenir une rencontre nationale. «Notre dernière tentative date d'il y a près de trois semaines, lorsque nous l'avons rencontré par hasard lors du 12e congrès de l'Union marocaine du travail (UMT) et avons saisi l'occasion pour l'interpeller là-dessus ; il nous a donné rendez-vous pour la semaine d'après, mais il n'en est rien», précise le membre de la FNSA. «Le ministre de l'Emploi nous donne plusieurs rendez-vous et à chaque fois la rencontre est reportée pour telle ou telle raison et les choses traînent. Il a une grande responsabilité dans la santé et la sécurité des ouvriers agricoles. A lire le Code du travail, on est face à un texte qui garantit bien des droits, mais la réalité est toute autre, en témoignent ces accidents, sans parler de l'aspect médical relatif aux risques des usages de produits chimiques comme le glyphosate.» Mohamed Hakach «On alloue autant de millions qu'on peut pour des projets dans le cadre du Plan Maroc vert et du Fond de développement agricole (FDA), mais les ouvriers agricoles globalement et les femmes en particulier ne bénéficient pas de l'intérêt qu'il faut, s'agissant de leurs conditions de travail et des garanties de sécurité auxquelles ils ont droit en tant que travailleurs», martèle encore le syndicaliste. «Pour celles qui ont eu la chance de ne pas perdre la vie, beaucoup garderont des séquelles à vie de ce dernier accident, tandis que d'autres porteront des handicaps les empêchant de travailler. C'est l'image de l'exploitation des ouvrières agricoles dans toute son horreur», dénonce Mohamed Hakach. Pour l'heure, ce dernier rappelle que les saisonnières sont employées par des intermédiaires de propriétaires agricoles «qui ne les paient pas directement mais rémunèrent le transporteur, de manière à n'avoir aucune relation salariale avec ces femmes». Le membre de la FNSA conclu en rappelant que «le gouvernement doit désormais prendre ses responsabilités».