Plus d'un an et demi après l'officialisation de la langue amazighe dans la constitution, le mouvement Amazigh attend du concret et s'impatiente en manifestant son mécontentement dans la rue. Une pression qui se fait plus intense. «Le Rif ne va pas se prosterner», «vous ne vaincrez pas un peuple qu'avait dirigé Abdelkrim» ou encore «pouvoir assassin», rapporte la presse quotidienne arabophone en Une ce lundi 4 février. Ces slogans, peu amènes envers le régime et le gouvernement Benkirane ont été brandis par des centaines d'activistes amazighs dans trois villes, Rabat, Agadir et Al-Hoceima à l'occasion de la marche «Tawada n Imazighen» (marche des Amazighs) le dimanche 3 février. Ces marches ont été organisées par les coordinations de jeunesses amazighes de différentes associations qui défendent cette cause, mais n'ont pas reçu le même accueil des autorités selon les villes. Si à Rabat 2000 manifestants, selon les organisateurs (500 selon une source sécuritaire anonyme citée par le quotidien Al-Massae) ont pu marcher relativement sans être inquiétés par les forces de police, à Agadir et à Al-Hoceima, les manifestants n'ont pas pu défiler. Arrestations, interdictions… «A Rabat, la présence médiatique a rendu une intervention de la police plus difficile, mais à Agadir, 300 militants amazighs ont été violemment tabassés. On compte une dizaine de blessés et des personnes arrêtées qui ont finalement été libérées dimanche vers 17h», explique Assafar Lihi, membre du comité de communication et de coordination de la marche «Tawada n Imazighen». A Al-Hoceima, la manifestation a aussi été dispersée par la force après que la police ait averti les manifestants de son intervention. «La route nationale qui mène à Al-Hoceima a été coupée 7 heures durant et une dizaine de personnes ont été arrêtées entre 10h et 15h puis relâchées par la suite», précise encore Assafar Lihi. Ces manifestations font échos à deux autres mouvements de contestation dans la rue organisés les 15 janvier et le 22 avril 2012, et portent toutes sur le retard pris par le gouvernement à répondre aux revendications des Amazighs. Le mouvement amazigh estime que l'officialisation de la langue berbère est restée lettre morte, deux ans après son adoption en grande pompe lors de la révision constitutionnelle de juillet 2011. Des griefs déjà entendus, mais cette fois ci, les manifestants semblent avoir franchi un palier en termes de force des slogans brandis et de la mobilisation qui se fait plus importante. Comme un air de 20-février «Tawada n Imazighen», rappelle même de par son modus opérandi les manifestations du mouvement du 20-février. Contrairement aux manifestations amazighes habituellement organisées à l'appel d'associations, cette marche a été organisée à l'appel des jeunesses amazighes. Et tout comme l'esprit du «printemps arabe», les appels à une marche pacifique ont d'abord été lancés sur des pages Facebook. «C'est le même esprit, d'ailleurs ceux qui ont marché ce dimanche participaient activement aux marches du 20-février», confirme Ahmed Assid, militant amazigh et chercheur membre de l'IRCAM (Institut royal de la culture amazighe). Les revendications, nombreuses, concernent principalement «le retard pris par le gouvernement pour élaborer une loi organique sur l'officialisation de l'amazigh», la «libération des détenus de la cause amazighe», etc. Mais, nouveauté, les manifestants ont élargis leurs demandes aux questions économiques comme «l'économie de rente et les privilèges économiques», comme nous le précise Assafar Lihi. «Benkirane aux grandes oreilles» «Il y a un malaise au sein de la jeunesse amazighe car ils sentent qu'il n'y a pas de véritable volonté politique d'où la radicalisation des slogans», explique le militant amazigh Mounir Kejji qui a pris part à la marche r'batie. Pour ce militant, un ensemble d'événements et de déclarations politiques récentes expliquent ce ras-le bol. Il y a tout d'abord les déclarations du Chef du gouvernement au parlement le lundi 28 janvier. Benkirane aurait comparé les Amazighs à des «gens simples qui passent leur temps à danser», rapporte le site bladi.net. Une information non démentie par le PJD et qui a mis le feu aux poudres. Lors des marches du dimanche 3 février, les manifestants s'en sont violemment pris à Abdelilah Benkirane, accusé de faire peu cas de la question amazighe. «Benkirane abou Imzgane, ahlass adak ikkan» (Benkirane aux grandes oreilles, seul le selham makhzanien –habit traditionnel porté lors de cérémonies officielles – te va). «Le gouvernement n'a pas avancé même après un an de débat de la société civile sur l'officialisation de l'Amazigh et la mise en œuvre de la constitution. Pire, des ministres n'ont pas tenu leurs promesses comme celui de l'enseignement qui avait promis l'enseignement de l'Amazigh à un million d'enfants et le ministre de la communication qui a failli à valoriser l'amazigh dans ses nouveaux cahiers des charges pour les télévisions publiques», explique Ahmed Assid. A ce jour, l'enseignement de l'amazigh n'est toujours pas généralisé dans les écoles et la part de cette langue dans les médias publics reste, selon les activistes de cette cause, insuffisante. Mais au-delà des déclarations et des promesses non tenues, les marcheurs ont bien d'autres griefs à reprocher aux officiels. «Il y a les régions reculées et marginalisées à majorité amazighe, comme Anefgou où les gens meurent de froid, la guerre menée contre les touareg amazighs de l'Azawad (conflit au Mali, ndlr) et soutenue par le Maroc, les prénoms amazighs encore non reconnus, les portraits de Ben Abdelkrim enlevés d'un stade à Al-Hoceima …», énumère Mounir Kejji. Pour Mohamed Amakraz, député membre du PJD et de la commission de la justice au parlement, «il ne faut pas tout rejeter sur le gouvernement». «Le gouvernement est obligé d'ici la fin de la législature (donc dans un maximum de 4 ans) de sortir toutes les lois organiques. Mais il est assailli de toutes parts. C'est aussi aux associations de l'aider en proposant des textes», estime-t-il. Pour ce dernier, la marginalisation est subie par plusieurs régions, indépendamment de leur caractère amazigh ou non. «L'officialisation ne veut pas dire que tout changera du jour au lendemain», conclut le député. Mais le temps qui passe est ce qui exaspère plus les Imazighen. Article co-écrit avec Ahlam Darkaoui Réalisé dans le cadre d'une formation organisée par Eris (Electoral reform international services) et Olie (Organisation for freedoms of information and expression) Insolite : Les Amazighs au Kurdistan Lors des marches tawada n Imazighen à Rabat, les Amazighs ont brandis les drapeaux et les symboles de la cause mais aussi… le drapeau kurde ! Comment expliquer qu'un mouvement identitaire qui se considère comme majoritaire (la moitié de la population est amazighophone) se compare à une minorité ? « Nous sommes majoritaires mais nous sommes toujours aussi marginalisés. C'est pour cela que l'on se reconnaît dans le combat de tous les peuples opprimés », explique Assafar Lihi. Autre particularité de ces marches, les attaques qu'à subi l'IRCAM, l'instance officielle qui se charge pourtant de la promotion de cette culture. Ahmed Assid, qui porte la double casquette de militant et de membre de l'Institut royal y voit « un rejet chez les plus radicaux du caractère officiel de cette instance », mais l'adoption tout de même du « travail académique comme le Tifinagh ».