Ecarté de l'antenne de BFMTV depuis janvier dernier pour soupçons d'ingérence, le journaliste Rachid M'barki aurait diffusé des contenus fournis par l'intermédiaire d'une agence israélienne de désinformation. C'est à la suite d'une enquête de Forbidden Stories qu'il a été convoqué par sa direction. Les soupçons d'ingérence qui pèsent sur le présentateur Rachid M'barki ont été révélés à sa direction au sein de BFMTV, dans le cadre d'une enquête du consortium de journalistes Forbidden Stories, intitulée Story Killers. L'investigation menée notamment avec Radio France indique que la chaîne a «diffusé des informations fournies par une agence de désinformation israélienne dirigée par des anciens de l'armée et des services secrets». Ce sont ces contenus qui auraient été présentés à l'antenne pendant Le Journal de la nuit, sans la validation habituelle préalable, poussant BFMTV à suspendre le concerné depuis janvier dernier. En effet, Rachid M'Barki a reconnu un «entrisme» et une éventuelle «erreur de jugement journalistique» pour «rendre service à un ami». Interrogé dans le cadre d'une enquête interne, il est finalement suspendu par le directeur de la chaîne, Marc-Olivier Fogiel. Le journaliste Frédéric Métézeau, de la cellule investigation de Radio France, a alerté le responsable, dans le cadre de Story Killers. Coordonnée par Forbidden Stories, l'enquête a réuni 100 journalistes travaillant dans 30 médias à travers le monde. Pendant plusieurs mois en Israël, Frédéric Métézeau, Gur Megiddo pour le journal israélien The Marker et Omer Benjakob pour Haaretz ont infiltré une structure spécialisée dans la manipulation électorale et la désinformation. Parmi les nombreux journalistes ayant reçu des contenus de cette structure, par l'intermédiaire d'«informateurs», figure le nom de Rachid M'barki. Des contenus «clé en main» à diffuser Auprès de sa direction, le présentateur explique que «des brèves lui sont proposées par un intermédiaire et que cela relève de son libre arbitre éditorial». «C'est suffisamment problématique pour que nous lancions un audit interne pour comprendre comment ces brèves arrivent à l'antenne, comment elles sont illustrées, et par quels biais la hiérarchie a été contournée», a déclaré le directeur de BFMTV à Radio France. Selon les informations recueillies par le consortium, chaque publication de l'agence israélienne, relayée par un journaliste en bout de chaîne, «peut être facturée 20 000 euros au client, dont 3 000 seraient reversés en espèces». Les responsables de la société israélienne montrent notamment une vidéo du 19 septembre 2022, dans laquelle Rachid M'Barki, sur BFMTV, évoque les difficultés de l'industrie du yachting à Monaco, à la suite des sanctions contre la Russie. «Cet extrait a été isolé et diffusé massivement sur Twitter par la plateforme Aims» (Advanced Impact Media Solutions), créée par l'agence israélienne afin de rendre un contenu viral, ou même diffuser de faux contenus, par le biais d'avatars créés et de faux comptes sur les réseaux sociaux. D'autres informations du même registre sont diffusées par News365, pour lequel écrit Jean-Pierre Duthion, que Rachid M'Barki désigne comme étant sa source qui le fournit en textes et en images à diffuser. C'est ainsi que plusieurs contenus sur différents sujets sont passés à l'antenne, en contournant la hiérarchie. Se présentant tantôt comme «lobbyiste», tantôt comme «mercenaire», Jean-Pierre Duthion a vécu en Syrie de 2007 à 2014, en étant un «facilitateur» sur place pour les journalistes étrangers. Contacté par les auteurs de l'enquête, il a nié catégoriquement avoir payé des journalistes pour diffuser les contenus qu'il leur fournit. Un autre journaliste de BFMTV a indiqué auprès de Forbidden Stories avoir lui aussi été contacté par Duthion. Il n'aurait pas donné suite à l'offre de ce dernier, qui l'a recontacté au lendemain de la suspension de Rachid M'barki. France : Soupçons d'ingérence du Maroc sur BFMTV via le journaliste Rachid M'barki «Jorge» ratisse auprès des journalistes et des décideurs Rachid M'barki a jusque-là fait référence à son informateur, sans évoquer de lien avec l'agence basée discrètement en Israël. Lors des premières révélations sur sa suspension, il a reconnu des contournements de sa hiérarchie, mais a rejeté toute ingérence. Toujours est-il que l'entreprise israélienne qui se sert de ces intermédiaires auprès des médias est tenue par une personnalité d'influence, souvent surnommée Jorge. Le consortium de Forbidden Stories a dévoilé son identité, soutenant qu'il s'agirait de Tal Hanan, disposant de plusieurs emails et de numéros de téléphones dans plusieurs pays. L'homme est à la tête des deux sociétés de sécurité et de renseignement, Sol Energy et Denoman. Contacté par le consortium de journalistes, Tal Hanan n'a par répondu aux questions des journalistes. Sur Internet, il est décrit comme «un spécialiste des explosifs ayant servi dans les forces spéciales de l'armée israélienne» et comme un ancien officier de liaison de l'armée de défense d'Israël, «auprès du commandement des forces spéciales de la sixième flotte des Etats-Unis». Diplômé en relations internationales de l'Université hébraïque de Jérusalem, il se présente aussi comme conférencier. Il est interviewé dans plusieurs médias, y compris le Washington Post en 2006. The Guardian fait savoir qu'entre 2015 et 2017, Tal Hanan a par ailleurs voulu travailler pour Cambridge Analytica, société ayant œuvré pour la campagne présidentielle américaine de Donald Trump, «et dont le nom a été mêlé à un scandale de vol de données de Facebook». En 2016, il a même proposé à l'entreprise de fournir des vidéos faisant croire aux électeurs que Trump s'adresse à eux personnellement.