Depuis sa création en 2012, la conférence « Atlantic Dialogues » (AD) est devenue une des rencontres mondiales les plus importantes au vu des problématiques abordées lors des débats, lesquels débats sont animés et portés par une pléiade de dirigeants actuels et passés. Ils sont 350 décideurs à être venus de 90 pays, des mondes de l'entreprise, de la diplomatie, des forces armées, de l'université… Parmi les invités de cette conférence, 25% sont issus de la zone Mena (Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord), 22% d'Afrique subsaharienne, 21 % d'Europe, 16% d'Amérique du Nord et 11% d'Amérique du Sud. Ils sont issus des sphères de décision politique, du monde des affaires (15%), de la recherche (13%) et des think tanks (15%), du secteur public (13%), des organisations internationales (11%), de la société civile (10%) et des médias (9%). L'événement s'est tenu quelques jours après le changement de dénomination de l'OCP Policy Center en Policy Center for the New South, qui s'auto-désigne comme un organisme ayant « pour mission la promotion du partage de connaissances et la contribution à une réflexion enrichie sur les questions économiques et les relations internationales ». Fort bien, c'est l'objet même, entre autres, de cette édition d'AD. Et de fait, la 7ème édition de la Conférence « Atlantic Dialogues » intervient dans un contexte où la région de l'Atlantique reste à la croisée des chemins d'un nombre croissant de points de rupture. Parallèlement à l'évolution de la configuration des pouvoirs dans l'ordre international après la Seconde Guerre mondiale, la coopération multilatérale est affaiblie par les différends commerciaux, la montée en puissance de mouvements nationalistes et les angoisses économiques. Cela a provoqué des perturbations dans le partenariat historique qui existait entre les Etats-Unis et l'Europe, mais également entre les Etats-Unis et les pays asiatiques (Corée du Nord et Chine notamment), ce qui aura de graves conséquences pour l'Afrique et l'Amérique latine. A l'issue des trois jours de débats, les « AD » ont permis d'identifier les principaux problèmes au cœur de l'agenda politique de la communauté atlantique. Les échanges ont également servi de plate-forme pour explorer de nouvelles idées sur la manière dont les décideurs, les chefs d'entreprises, les chercheurs, les universitaires et les autres parties prenantes peuvent contribuer à renouer les relations et les partenariats transatlantiques dans le contexte d'un monde en mutation rapide. Les différents panels ont surtout permis d'identifier les points de rupture à travers l'Atlantique, de collecter les éléments constitutifs d'un contre-discours et d'identifier des solutions pour surmonter les différentes problématiques, en confrontant les points de vue des différents panélistes sur les divisions Nord-Sud et Est-Ouest. Les débats ont aussi porté sur des défis interdépendants, allant de la politique étrangère de Trump (point d'orgue de cette conférence) à la dynamique démographique, en passant par la fragilité actuelle du multilatéralisme et la perspective aussi imminente qu'inquiétante d'une nouvelle crise financière, portée par les trop nombreuses inégalités économiques et l'affaiblissement, voire la mutation, des classes moyennes. « AD » 2018 a également exploré comment les gouvernements peuvent rétablir la confiance et renouveler le contrat social entre les Etats et leurs citoyens, tout en apportant des réponses adéquates à la menace du changement climatique pour les générations futures. Plusieurs panelistes ont laissé entendre une lassitude croissante des populations, agacées par l'écart entre ce qui est et ce qui peut être. Cette Conférence a été aussi l'occasion de mettre en lumière les grands enjeux géopolitiques et économiques du Bassin Atlantique, expliquent les organisateurs, faisant observer que le thème arrêté pour cette nouvelle édition « reflète des tendances aussi importantes que la montée des populismes, la dernière élection présidentielle au Brésil et la politique étrangère des USA, dans la mesure où celle-ci remet en question l'avenir de l'Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN) et de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ». De grandes questions transversales restent par ailleurs posées telles que la démographie contrastée du Nord et du Sud, la dimension humaine de la crise migratoire, la mobilisation des ressources face au changement climatique, ou encore la perspective d'une nouvelle crise financière internationale. Il est à rappeler que les migrations ont connu un événement d'envergure mondiale, à quelques mètres de là et à quelques jours d'AD, en l'occurrence le Pacte mondial pour des migrations, sûres, ordonnées et régulières. « Commerce atlantique : l'OMC face à la montée du protectionnisme » L'Organisation mondiale du Commerce (OMC) et la montée du protectionnisme ont été le point d'orgue de cette conférence de « Atlantic Dialogues » qui lui a même prévu un panel dédié, lors duquel les organisateurs ont décidé de retenir la thématique « Commerce atlantique : l'OMC face à la montée du protectionnisme ». Les intervenants, dont l'ancien chef de la diplomatie portugaise, Paulo Portas, l'ancienne ministre du Commerce extérieur du Costa Rica, Anabel Gonzales, le fondateur et directeur de l'International Centre for Trade and Sustainable Development (ICTSD-Colombie), Ricardo Melendez-Ortiz, et Uri Dadush, Senior Fellow au PCNS, ont mis l'accent sur le commerce transatlantique menacé de plus en plus par la montée du protectionnisme et des guerres commerciales, notamment entre les deux plus grandes puissances économiques du monde à savoir les Etats-Unis et la Chine. Les panélistes ont tenu à faire remarquer que la remise en cause des accords de libre-échange par les Etats-Unis et le rétablissement des barrières douanières et tarifaires constituent désormais « une menace » réelle pour la survie de l'OMC et pour tout le système commercial mondial bâti à Marrakech en 1994. Dans ce sens, ils ont appelé à « une réforme urgente » de l'Organisation Mondiale du Commerce (qui est en cours de négociation) et à « une redéfinition » de son action, notamment dans la gestion des conflits entre les différents Etats. Lors de ce panel, qui s'est déroulé en présence d'une brochette de personnalités de haut rang issues de divers horizons et de différentes nationalités, la question du commerce intra-africain a été également posée avec acuité avec un constat édifiant selon lequel l'Afrique est le continent où le commerce intra-pays est le moins développé. « 15% pour l'Afrique contre 68% en Europe et 48% en Asie », ont-ils fait savoir, tout en explicitant les causes de ce constat négatif, notamment les barrières douanières. Selon eux, ces barrières que s'imposent les Etats africains rendent pour un entrepreneur africain l'acte d'exporter pour l'Europe ou vers les Etats-Unis plus facile que sur le Continent. Donald Trump sur le grill La politique internationale, et surtout économique, du président des Etats-Unis Donald Trump constitue une équation à plusieurs inconnues pour presque tous les dirigeants et organisations internationales. Sa politique commerciale est revenue dans plusieurs débats au cours des différents panels. Pour montrer que les surprises ne sont pas encore finies avec Trump, l'ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine a affirmé que « Le SoftPower américain va continuer » et pour le contrer, on ne pourra faire l'économie d'une « bataille de soft power ». Plus loin, M. Vedrine estime que « Trump est un symptôme, pas une cause : il n'y a jamais eu d'ordre mondial négocié, seulement celui choisi par les vainqueurs ». Rude, mais fort malheureusement exact. Paulo Portas, ancien ministre des Affaires étrangères du Portugal, estime pour sa part que « Trump met son doigt sur le American first » et il s'interroge : « qui est le challenger : ce n'est pas la Russie, mais la Chine, qui en 40 ans, est passé de 0,8% de commerce mondial à 12% ». Et Hubert Vedrine d'enfoncer : « Trump n'est pas isolationniste, il est unilatéraliste, il veut faire ce qu'il veut et cela est pareil pour certains pays lorsqu'ils signent des traités et des accords, ils n'ont pas vraiment l'intention d'en respecter les termes (Poutine, Netanyahu, Chine). » Populisme et mondialisation Dans le panel sur le populisme et la politique post-vérité, le « jeu » contre la globalisation est animé par Madeleine Albright, Pedro Pires, ancien Président du Cap-Vert. « Les Etats-Unis vont devenir une grande partie du problème : nous nous refermons sur nous-mêmes et ne reconnaissons pas la valeur des partnerships. De cette façon, je suis troublée et je pourrais avoir, un jour, à demander l'asile politique » a déclaré Madeleine Albright, ancienne Secrétaire d'Etat américaine, ancienne fille de migrants en Amérique (ci-contre, au centre). Pedro Pires suggère à son tour qu' « on ne peut pas être contre la mondialisation. Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous mondialisés, mais nous devons combattre les effets pervers de la mondialisation (…) ». La survie de l'OTAN en question Sur la problématique « protectionnisme et mondialisation », la survie de l'OTAN a été soulevée lors la conférence avec le terme « quel rôle doit jouer l'OTAN pour le maintien de la mondialisation ? ». « Quand la question de la survie de l'OTAN a été posée, j'ai dit oui et non, actuellement, les pays de l'OTAN doivent lutter pour s'adapter à la complexité des défis sécuritaires », explique Michelle Ndiaye, Directrice de « Africa Peace & Security Program » de l'UA. De son côté, Peter Pham, envoyé spécial américain pour la Région africaine des Grands Lacs, estime que « l'OTAN doit s'adapter aux évolutions de la sécurité et à l'environnement politique. Le chiffre de 2% du PIB par Etat membre des dépenses militaires a été fétichisé. Les électeurs remettent en question les dépenses. Pour soutenir un système comme l'OTAN, la légitimité populaire est nécessaire ». « Si nous donnons une image de désunion, ce n'est pas bon pour la dissuasion. La Russie nous regarde », affirme pour sa part Bruno Tertrais, directeur adjoint à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), France. Afrique Le sort de l'Afrique face aux effets de la migration et du développement a été aussi débattu à la conférence des « AD ». « En tant qu'Africains, nous devons faire nos devoirs et avoir de meilleures politiques publiques. C'est ce que notre groupe de réflexion fait, grâce à plus de science dans les politiques publiques et en impliquant des populations au niveau de la base», a déclaré Karim el Aynaoui, Directeur du Policy Center for the New South. « Nous ne pouvons pas mettre à niveau l'Afrique avec les aides. Nous devons faire notre propre travail », ajoute Paulo Gomes, Président d'un think tank de la Guinée Bissau. « L'Afrique, jusqu'ici, a été perdante dans toutes les phases de la mondialisation. Les Etats africains doivent aujourd'hui s'organiser pour sortir gagnants de cette nouvelle phase », conclue Pedro Pires.