Même dans les cas les plus absurdes et les plus rocambolesques, il existe une logique. Chaque situation, fût-elle chaotique, ridicule ou même impudente, répond à des règles déterminées. Ainsi, par exemple, il est difficile de trouver un homme qui fait dans l'échangisme, tout en étant célibataire… et cela vaut même dans les cas de folie les plus extrêmes… la logique est là. Mais seul l'innommable et inégalable chaos de la politique e mon pays n'obéit à aucune règle et encore moins à une quelconque forme de logique… Seuls nos politiques sont célibataires et organisent des orgies d'échangisme… Lors de cette folle, et parfois hystérique, campagne électorale que nous avons connue la fin de cet été, il ne nous a été donné qu'un choix, une alternative… Etre conservateur, à l'image des « tories »britanniques, c'est-à-dire des bandits de grand chemin comme ceux qui essaimaient les routes d'Irlande au 17ème siècle avant qu'ils ne se rallient à la couronne de Sa Gracieuse Majesté en 1832 et qu'ils en deviennent les plus fervents soutiens, prenant le nom de « conservateurs » et prenant aussi la défense de l'aristocratie et des grands propriétaires terriens… ou, à l'inverse, être moderniste, dans une affligeante définition de la modernité à la manière marocaine, en l'occurrence l'improbable croisement des vestiges de la gauche et des notables, gens d'influence et autres professionnels de la politique. Et malgré cela, nous nous sommes sortis, Etat et peuple, de ces élections avec un moindre mal. Nous avons dépassé le cap électoral avec cette réalité que le scrutin n'a rien changé sur le terrain, tout en ne représentant pas forcément les attentes et positions du peuple. Surtout cette très importante frange de la population qui n'a pas été voter car elle n'aime pas voter pour du vide et du néant. Nous sommes sortis de cette élection, au niveau de l'Etat, avec une conclusion confinant à l'énigme et au mystère… le parti qui avait conduit la majorité sortante – et le premier gouvernement après le changement « coustitissiounil » – et qui avait mis en doute les résultats avant leur proclamation, et avant même la tenue du scrutin, est arrivé, finalement, premier, et a été chargé de former le gouvernement. Mais aujourd'hui… le parti classé premier ne parvient pas à réunir une majorité et avec elle un gouvernement qui gouvernerait. Cela pourrait être considéré comme normal dans la logique des tractations, négociations et concertations qui doivent mener à la mise en place d'un Exécutif, mais… Le PJD, ou plutôt Abdelilah Benkirane qui est devenu plus fort et plus marquant que son parti, qui a attiré les votes sur sa personne davantage qu'en faveur de sa formation, veut aujourd'hui nous convaincre de la chose et de son contraire, souhaitant transformer l'illogique en logique. Benkirane rencontre le matin les partis avec lesquels il veut s'allier, et organise avec leurs représentants des séances à huis clos, puis il nous vient le soir même (lui-même ou ses porte-voix) révéler ce qui a été dit dans ces discussions secrètes et présenter ses interlocuteurs comme des opportunistes à la recherche de butin à partager… Il a fait cela avec le RNI, avec le MP puis avec ce qui reste de l'USFP. Il a qualifié tous ceux-là de maîtres-chanteurs, tout en affirmant qu'il veut contracter avec eux… exactement comme si un joueur de poker découvre que son adversaire triche, mais qu'il décide quand même de le maintenir à sa table. Benkirane, donc, ainsi que ses porte-parole et porte-flingue, nous ont aujourd'hui plongé dans une logique fort étrange. Ils nous disent ainsi, dans la même phrase et sans ciller, que le Maroc et ses changements « coustitissiounils » qui ont propulsé Benkirane et son parti en pole position sont une exception démocratique, que la séparation des pouvoirs est une réalité sous nos cieux, que le Maroc est un Etat de droit, qu'il n'existe aucune sorte de début de commencement de problème entre Benkirane et le palais… mais, toujours dans la même phrase et sans reprendre son souffle, que le Maroc est l'Etat du tahakkoum… sachant que le tahakkoum, pour dire vrai et être direct, renvoie à ce que Benkirane et ses frères pensent être le palais et la structure makhzénienne du pouvoir dans le royaume. … Dans un grand nombre de contrées à travers le monde, des élections sont menées, des partis se classent premiers, mais ne parviennent pas à former leurs gouvernements car les tractations avec d'autres partis n'auront pas bien fonctionné ou parce que ces mêmes autres partis ne souhaitent pas à la base s'allier avec le parti classé en tête… dans ces cas-là, on trouve alors des solutions constitutionnelles ou on va vers de nouvelles élections… mais, chez nous, dans notre pays, il n'y a pas place pour cette splendeur institutionnelle. Aujourd'hui, qu'une formation politique donnée refuse tout rapprochement avec Benkirane (et son parti ?) signifie qu'elle est sous l'emprise du tahakkoum… Si vous acceptez de lier votre sort à celui de Benkirane, vous devenez un grand, doté de toutes les vertus, et votre parti est encore plus grand, porté par LA vertu… mais si au contraire vous et votre parti refusez la main tendue de Benkirane alors vous n'êtes qu'un soumis, un moins que rien, voire un rien, et même un « handicapé », comme a dit Benkirane du RNI. Dans mon pays…, vous pouvez être comme le PPS, avec pour seul capital parlementaire une douzaine d'élus, mais avec l'outrecuidance de promener votre vanité et de proclamer à qui veut vous entendre que « certains gens » refusent la claque du 7 octobre (alors même que si vous vous scrutez bien dans un miroir, ce miroir vous dira que la plus grande claque assénée par cette élection a été portée sur votre auguste visage…). Dans leur défense de Benkirane et leur explication de son incapacité à former une majorité, certains oublient allégrement leurs positions enthousiastes sur le changement « coustitissiounil », sur l'Etat exceptionnel qu'est le nôtre, sur tout ce qu'hier était bon… puis ils en reviennent à avant la « coustitissioune »… et ils clament que Benkirane est une victime, une proie, et qu'un grave complot est gravement ourdi contre lui… Ils disent ainsi, comme l'a fait ce grand et cher ami (Mahtat Raqqas dans le quotidien al Bayane), qu'il est bien difficile pour Benkirane et les siens, frères ou camarades, de comprendre comment « des partis créés dans des circonstances déterminées puissent aujourd'hui soudain disposer d'indépendance dans leur décision, d'afficher leur autonomie, et de décider qui doit y être et qui doit ne pas y être, dans le gouvernement », et la question reste alors celle-ci: Ces mêmes partis récupéreront-ils leur liberté et leur légitimité, leur indépendance et leur consistance, s'ils entrent dans le gouvernement Benkirane et s'ils s'allient avec lui ? Leur ADN changera-t-il donc à ce moment-là ? Quand ces formations avaient participé aux gouvernements el Youssoufi 1 et 2, puis Jettou, puis el Fassi puis Benkirane 1 et 2, avaient-elles le pouvoir de décider par elles-mêmes de ce qui était bon ou non, ou alors à l'inverse étaient-elles toujours endormies et léthargiques ? Devons-nous aujourd'hui croire Benkirane et les siens quand ils se disent loyaux au roi, à l'Etat de droit, à l'exception démocratique et aux institutions et à l'après-coustitissioune, ou alors devons-nous les croire quand ils parlent tahakkoum ? Se peut-il que, finalement, la référence absolue de la vertu et de la crédibilité s'incarne dans Hamid Chabat ?... Ce même Chabat qui, un jour passé, avait dit que Benkirane travaille pour le Mossad, Daech et le Front al-Nosra, ce Chabat qui a été qualifié, une fois, par Benkirane de petit et de béni oui oui, et qui vient nous causer aujourd'hui de complot contre les résultats du 7 octobre… Qui croire ? Chabat qui avait accablé Benkirane et avait claqué la porte de sa majorité ou Chabat qui soutient Benkirane et qui piaffe d'impatience de retrouver sa nouvelle majorité ? Ecoutons le grand Bernard Shaw : « Le châtiment suprême d'un menteur n'est pas que personne ne le croit, mais qu'il devienne incapable de se croire lui-même ! ». Quand Chabat avait quitté le gouvernement de Benkirane et que les deux hommes se furent échanger tous les noms d'oiseaux, et même de poissons, connus, Benkirane s'était rabattu sur le RNI et, en ce temps-là, le bon Docteur Abdallah Bouanou, chef du groupe parlementaire du PJD, avait qualifié ledit RNI de « grand parti national »… mais voilà qu'aujourd'hui Benkirane et ses amis, frères et camarades nous disent que le RNI est un parti handicapé, qu'il est incapable de décider pour lui-même et que sa décision ne lui appartient pas ! Qui croire donc, qui croire ? Benkirane ou Bouanou ? Retour à Bernard Shaw : « Il existe deux sortes de témoignages… Le faux témoignage, réprimé par la loi, et le témoignage sincère, qui est extrêmement rare »… Durant les manifestations du 20 février, le PJD et les PJDistes avaient combattu les rêves de changement des populations et des jeunes, considérant ces derniers « comme des braillards bruyants et des saltimbanques » (avec tous mes respects pour lesdits bateleurs)… puis ces mêmes PJDistes avaient convaincu les Marocains de voter en faveur des amendements constitutionnels apportés par le 20 février, puis ils avaient applaudi à l'exception démocratique qui les a menés au pouvoir, puis ils s'étaient alliés avec des partis qu'ils accablent aujourd'hui, puis enfin ils avaient mis en doute des élections dont ils étaient en charge. Mais ils ont été ensuite appelés à former une majorité, et là, ils nous ont gratifiés d'une logique anté-2011, nous proposant une nouvelle « constitissioune » avec un seul article : « Le Maroc est un Etat conduit par Benkirane ; ou vous êtes avec lui, ou vous êtes avec le tahakkoum ». Et c'est pour cela que Bernard Shaw dit encore : « La valeur d'une personne se compte essentiellement au nombre de choses qui lui font honte »… Fort bien, mais alors, quid de ceux qui n'ont aucune raison de montrer quelque pudeur ? Il est certain qu'ils disposent de tous les atouts pour être de « grands politiques »…