On n'a que trop parlé ces derniers mois au sein de la classe politique du « tahakkoum », et les gens du PJD ont même un peu trop abusé de ce terme à mesure qu'approchait l'échéance électorale du 7 octobre. Il est alors apparu que les membres de ce parti souhaitaient mieux « vendre » l'image de leur parti pour ce scrutin et en préparation de la campagne, le présentant comme opposé à ce « tahakkoum », qu'on peut définir comme étant l'autoritarisme et le contrôle de l'Etat au moyen d'instruments peu ou pas démocratiques. Le PJD signifie par là que dans le cas où il serait reconduit au gouvernement mais sans ce tahakkoum, il réaliserait bien plus de choses que lors des 5 dernières années. Le problème est que ce discours et cette posture propagandistes ne reflètent pas la réalité qui a été celle du gouvernement sortant. Voici pourquoi : 1/ Le PJD fut le plus grand et le meilleur allié du tahakkoum durant les manifestations de 2011, et cela était apparu à travers les positions affichées alors par son secrétaire général qui s'était évertué dans toutes ses déclarations publiques à montrer qu'il se mettait à la disposition du pouvoir, qu'il était un défenseur des « fondamentaux », qui sont aussi les fondamentaux et les piliers du tahakkoum. Cela signifiait que le PJD ne souhaitait en rien modifier la logique et la pratique du pouvoir, pas plus qu'il ne voulait approcher des prérogatives des gouvernants effectifs du pays ou encore de leur contester leur pouvoir ; le message adressé alors est que le PJD aspirait à aider ces gouvernants dans leur exercice de leur autorité, telle qu'ils la voyaient et la considéraient. M. Benkirane avait alors affiché une singulière capacité à montrer cela, allant même jusqu'à se reconnaître dans le pouvoir absolu et dans la commanderie des croyants (que les islamistes contestent pourtant), veillant à ce que les attributions du roi ne changent pas et soient maintenues en l'état. M. Benkirane avait soutenu cette position au Maroc, et même dans les médias étrangers, français ou qataris. Depuis, le même M. Benkirane a souvent rappelé qu'il était au service du roi, au point qu'un jour il s'était déclaré prêt à aller en prison (sic), et récemment, il avait ajouté qu'il était tout à fait disposé à s'en aller si le roi le lui ordonnait (re sic). Comment donc un individu qui déroule de telles paroles peut-il sérieusement se poser en pourfendeur du tahakkoum ? 2/ Une fois au gouvernement et son chef à la présidence de ce même gouvernement, le PJD n'a cessé de nous rappeler ce que les autres partis qui l'avaient précédé disaient régulièrement, à savoir qu'il ne gouverne pas, mais qu' « il assiste et aide Sa Majesté », c'est-à-dire qu'il n'est là que pour exécuter la politique de l'Etat qui est aussi celle du roi. Le PJD ajoutait que toutes ses orientations et politiques, il ne les mettait en œuvre au gouvernement qu'après en avoir reçu l'imprimatur royal, et ces mesures comprenaient bien évidemment l'augmentation du prix des hydrocarbures ; Benkirane avait affirmé qu'il avait reçu l'autorisation du roi pour cela. De plus, l'ensemble des textes législatifs élaborés par le gouvernement Benkirane ne trouvaient leur voie pour être votés qu'après avoir été examinés, lus et relus au secrétariat général du gouvernement qui, de notoriété publique, ne relève pas du chef du gouvernement, pas plus qu'il ne lui obéit. 3/ En déclarant urbi et orbi qu'il a échoué à faire ce qu'il devait en raison du tahakkoum, le PJD ne comprend pas qu'il a failli sur le plan politique car à travers son argument, on augure qu'il ne peut ni ne pourra rien faire de bon à l'avenir s'il ne réussit pas à se défaire du tahakkoum. Or, c'est tout l'inverse qui s'est produit car le gouvernement PJD a tout fait pour renforcer le tahakkoum et s'y soumettre afin de se ménager quelques espaces de liberté au sein du pouvoir. Il est donc du droit des Marocains d'interroger le PJD et son chef : « Pourquoi donc voterions-nous pour vous une autre fois alors que le tahakkoum est toujours là et qu'il le restera, et que de votre propre aveu, vous ne pouvez rien contre lui ? Devrons-nous supporter cinq années encore vos incessantes lamentations sur ce tahakkoum ? Devrons-nous voter encore une fois pour que, encore une fois, vous nous disiez que le tahakkoum est là et que vous n'y pouvez rien ? Qu'aurions-nous à y gagner ? ». Cela rappelle le dicton français qui veut que l'on veuille le beurre et l'argent du beurre… Le PJD, connaissant la force du tahakkoum, s'est résigné et résolu à composer avec lui pour trouver un peu de marge de liberté et quelque pouvoir, même virtuel… et par ailleurs et en parallèle, il s'évertue à le critiquer en public afin de s'en défaire progressivement et de s'accaparer de l'appareil d'Etat. Mais il n'arrivera à réussir qu'une seule chose : se maintenir au gouvernement pour faire le boulot au nom et en faveur du tahakkoum… et cela continuera ainsi jusqu'à extinction du PJD, comme d'autres partis avant lui ont été usés et épuisés. 4/ Le jeu de Benkirane est devenu aussi clair que l'eau de roche, quand il essaie de distinguer entre le roi et son entourage, une technique orientale bien connue, qui s'est développée tout au long de la longue histoire de l'absolutisme arabe et persan, et qui se résume ainsi : le gouvernant, le prince, est juste et bon, il aime son peuple et veut son bien, mais son entourage est mauvais et malsain, il combat les réformes et les réformateurs. Or, l'absurdité des propos de Benkirane tient dans le fait que les collaborateurs du roi, qu'il vise et cible dans ses campagnes, travaillent étroitement avec le souverain et agissent sous ses ordres dans ce qu'on appelle la politique royale qui dessine les grandes stratégies publiques. Cet entourage royal n'est guère livré à lui-même et ne prend pas d'initiatives, car il prend ses ordres du roi dans le cadre de l'institution monarchique qui relève d'un roi qui règne et qui gouverne. Ce pouvoir repose sur des leviers de pouvoir modernes autant qu'il s'appuie sur des pratiques plus anciennes, coutumières, que Benkirane reconnaît, qu'il a reconnus et qu'il a souvent dit soutenir. Tout cela entre dans le concept de « commanderie des croyants », laquelle est comme chacun sait articulée autour de la religion comme facteur principal qui justifie et renforce les politiques, qui les légitime et qui les pérennise dans cette société où tant de causes de sous-développement perdurent. Benkirane a toujours dit qu'il se reconnaissait dans ce système et il a même affirmé qu'il était la personne idoine pour les supporter et en assurer la pérennité. Cela a été le fruit de plusieurs et longues années de négociations aux termes desquelles Benkirane et ses frères ont accepté les règles du jeu telles qu'elles sont, et telles qu'elles dureront encore. Benkirane et son parti savent donc que le régime est par nature tahakkoumien (autoritaire et absolutiste), qu'il est puissant et capable de prendre le dessus sur tous les partis qu'il éreintera et rabaissera. Benkirane préfère donc que le tahakkoum soit exercé avec lui et non contre lui. D'où l'axiome suivant : le PJD combat le PAM non pas pour instaurer la démocratie, mais pour prendre sa place. Aussi, s'il avait été plus sincère, il aurait dit ceci au pouvoir : « Pourquoi avez-vous donc besoin du PAM alors que nous sommes là ? Nous sommes capables de faire comme lui, et même mieux ». Ajoutons aux arguments précédents ceux-là : 1/ Le PJD a travaillé à trouver une solution aux affaires sensibles, au profit du pouvoir et des grands équilibres macro-économiques, et au détriment des intérêts des citoyens et des classes défavorisées ; 2/ le PJD a soumis les populations au pouvoir, ramenant le calme sans que pour autant les citoyens aient recouvré leurs droits ; 3/ Le PJD a œuvré à faire passer des lois non démocratiques et absolument incompatibles avec les acquis de la constitution de 2011 ; 4/ Le chef du gouvernement a pris la posture de l'attaque au lieu de se taire ou de justifier ses erreurs, et ce faisant, il a spolié les gens puis les a insultés et vilipendés dans ses discours ; 5/ Le chef du gouvernement a volontairement renoncé à nombre de ses pouvoirs et attributions constitutionnels, au profit de plus puissant que lui, et, en contrepartie, il s'est maintenu en fonction pour régler ses affaires, celles de ses proches et celles aussi de ses amis et de ses adeptes. Et de leurs familles ; 6/ Benkirane a appelé ses affidés à observer un mutisme total sur nombre de scandales publics, comme celui des « serviteurs de l'Etat » ; 7/ Benkirane, et alors même qu'il se plaint du tahakkoum, promet quand même une batterie de mesures aux Marocains pour obtenir leurs voix pour un second mandat à la tête du gouvernement. Comment cela serait-il possible pour quelqu'un qui vit sous une autorité plus puissante que lui de promettre des choses sur lesquelles il n'a aucune autorité ? 8/ Le parti de l'Istiqlal, une fois en dehors du gouvernement, a maintes fois justifié sa décision par l'acharnement du PJD à être et se maintenir au pouvoir, ainsi que par sa grande propension au tahakkoum, depuis son arrivée aux affaires ; et cela est visible par son accaparement de nombre de dossiers qu'il avait refusés de partager avec ses alliés au gouvernement. Si on retient tous ces faits et qu'on les agrège, on notera que le PJD est aujourd'hui le plus redoutable instrument du tahakkoum et du contrôle de la vie politique au Maroc. Et c'est cela qui lui garantira un second mandat, par la volonté du pouvoir bien plus que par celle des électeurs, mais à la condition que le pouvoir ait encore besoin de lui et qu'il ne se soit pas offusqué des propos burlesques et souvent clownesques de Benkirane. Le pouvoir a su dresser les amis de Benkirane à partager le gâteau et les avantages matériels, les laissant goûter eux et leurs familles aux délices de leurs fonctions, des budgets placés entre leurs mains, des villas et véhicules de fonction. Et tout cela, les frères de Benkirane s'y sont habitués et ne sont pas prêts à y renoncer. La communauté benkiranienne n'est donc absolument pas apte ni désireuse de lutter contre le tahakkoum, qui la nourrit et la prémunit.