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Entretien avec Mme Naïma Benyahia, députée, membre du groupe istiqlalien à la Chambre des Représentants et de la Commission des secteurs sociaux: La cause de la femme au point mort par manque de volonté politique
Publié dans L'opinion le 08 - 03 - 2016

Le 8 mars devient un tournant décisif d'évaluation des projets de lois, de politiques publiques, d'étapes annuelles décisives relatives aux dossiers qui concernent les femmes...On a fait le choix, cette année, d'interviewer Mme Benyahia, qui en sait long sur la question, du fait qu'elle a accompagné trois gouvernements, deux mandats ministériels avec Mme Baddou et Mme Skalli, comme Directrice des affaires féminines et parlementaire pendant l'actuel gouvernement. Elle est actuellement députée, membre du groupe istiqlalien « Pour l'unité et l'Egalitarisme » à la Chambre des Représentants et de la Commission des secteurs sociaux.
L'Opinion : Le secteur social au Maroc, surtout en ce qui concerne les droits des femmes, est une tâche obscure, notamment à travers le gel de plusieurs articles de loi, depuis 2003. Qu'en pensez-vous, surtout en matière de violences faites aux femmes ? Sachant que vous étiez
directrice des affaires féminines avec les anciennes ministres, Mme Baddou puis Mme Skalli.
Mme Benyahia : C'est vrai que, étant cadre au ministère puis en tant que Directrice des Affaires de la Femme, j'ai eu la chance de suivre de près les différents programmes et projets de loi émis par les Gouvernements successifs, particulièrement de MM. Jettou et Abbas El Fassi. Les réformes législatives en matière de droits des femmes au Maroc, a réellement commencé vers la fin des années 98 avec le processus de consultation relatif au Code de famille et cela a continué début des années 2000. Il y a eu une refonte totale au niveau du Code de la famille, des amendements importants au Code de la nationalité, du travail, et des législations pour renforcer la participation politique des femmes. Le projet de loi sur la violence à l'égard des femmes s'est fait beaucoup attendre, surtout qu'un premier projet a été présenté en 2006. C'était le fruit d'un consensus et d'un processus participatif avec les départements ministériels concernés, des acteurs de la société civile et des juristes qui ont contribué à renforcer les dispositions de cette loi.
Avec l'avènement du Gouvernement Abbas El Fassi, la ministre Mme Skalli avait choisi de reprendre le processus de consultation avec la société civile. Il a été donc retiré pour être revu. A la fin du mandat, le projet n'avait malheureusement pas abouti, le gouvernement Abbas El Fassi n'ayant pas terminé son mandat, à cause des législatives anticipées. Pour ce Gouvernement, le contexte est entièrement différent. Nous avons une Constitution très favorable aux droits des femmes, que ce soit en matière de droits politiques, économiques, environnementaux, culturels ...mais le gouvernement ne suit pas et c'est un vrai problème..Mais dès le début, on n'était guère optimiste quand on voyait l'approche prônée par le chef de l'Exécutif actuel, par rapport à la question des femmes. Maintenant, à six mois de la fin du mandat actuel, le projet n'arrive toujours pas au parlement... Quand on demande à quel niveau est ce projet de loi sur la violence à l'égard des femmes, on nous dit qu'il a été préparé au niveau du département et présenté au chef du gouvernement, et c'est tout. A croire que M. Benkirane exerce une tutelle incroyable à ce sujet sur la Ministre qui a supervisé l'élaboration du projet de loi..
L'Opinion : Les mécanismes de prise en charge de la violence à l'encontre des femmes ne sont plus ce qu'ils étaient, on n'a plus de vraies statistiques.
Mme Benyahia : Effectivement, au Gouvernement Jettou, où Mme Baddou était chargée du département chargé de la condition des femmes, a été créé un mécanisme de coordination entre les différents départements concernés directement par la question de violence, autour du n° vert. Le numéro vert était principalement créé pour présenter des services aux femmes victimes de violence mais, au-delà de l'objectif principal, il y avait des sous-objectifs. Il permettait d'avoir une connaissance sur le phénomène et des informations relatives aux cas de violence au niveau national, les types de violence, les régions où il y avait le plus de violence et cela permettait aux gouvernements d'orienter les politiques publiques en fonction des besoins qui ressortaient de ce numéro vert. Malheureusement, il a disparu. Avec ce mécanisme il y avait aussi le système d'information en matière de violences faites aux femmes.
L'Opinion : Pour ce qui est l'observatoire...
Mme Benyahia : Le gouvernement actuel parle d'un observatoire sur les violences et d'un deuxième sur l'amélioration de l'image de la femme dans les médias, mais ce ne sont pas des observatoires, ce sont des services au niveau du ministère. La première qualité d'un observatoire, dans le monde entier, c'est son indépendance pour pouvoir émettre des avis et exécuter une politique publique, or, ces observatoires dépendent de structures administratives sous l'autorité de la ministre. On est en train d'induire en erreur la société marocaine.
L'Opinion : L'Autorité pour la parité et la lutte contre toute forme de discrimination fait couler beaucoup d'encre, surtout de la part de la société civile.
Mme Benyahia : L'APALD est une disposition très importante de la Constitution, principalement les articles 19 et 164, et qui devait être mise en place dès la première année du mandat de ce Gouvernement. Ce n'est qu'en fin 2015 début 2016, donc, à la dernière année de cette législature, que la commission parlementaire a reçu et a commencé à débattre de la loi avec Mme Hakkaoui, des dispositions de l'une des institutions des Droits de l'Homme de la Constitution. Ce qui indique clairement le manque de volonté politique. Mais, le plus significatif, c'est que l'APALD n'a rien d'une vraie autorité, c'est une coquille presque vide. Tout d'abord, le processus n'est pas un réel processus d'implication de la société civile, laquelle a cumulé une expérience dans le domaine des droits des femmes. En plus, il n'y pas de benchmarking par rapport à cette autorité et il n'y a pas eu de reconnaissance des avis des institutions nationales constitutionnelles comme le Conseil National des Droits de l'Homme, le Conseil Economique, Social et Environnemental, ni des mémorandums des associations. Le ministère parle d'approche participative, seulement, l'approche participative ne veut pas dire classer les avis, mais en tenir compte avec un consensus, pour faire ressortir une réelle institution.
L'Opinion : Quelles sont les manquements, face à cette APALD ?
Mme Benyahia : D'abord, la question de l'indépendance est écrite mais n'est pas claire, on sent que c'est ambigu. Elle n'est pas autonome et Il n'y a pas de représentations régionales en parallèle avec la régionalisation avancée. L'expertise en matière d'égalité n'est pas prise en compte, alors que c'est une autorité qui doit comprendre un maximum d'experts en matière de droits des femmes, femmes et participation politique, femmes et médias, femmes et éducation, femmes et santé, mais dans les textes, ce sont juste des représentations. On n'est pas contre la représentation du parlement et des juges ni la désignation par le parlement ou par le chef du gouvernement à condition qu'il y ait une expertise et la spécialisation. La majorité des groupes sont pour le changement d'une bonne partie des dispositions de cette loi. Seulement, il faut savoir que lors du vote d'une loi, c'est la majorité en nombre qui l'emporte. Il y a toujours des surprises qui freinent l'imposition de bonnes dispositions... Lors des discussions, entre majorité et opposition, ce sont des avis qui concordent souvent dans beaucoup d'éléments, mais au cours des amendements, et pendant le vote des lois, on est vraiment étonné par certains parlementaires qui changent d'avis. C'est soit le nombre, soit l'absentéisme, inexpliqués, qui priment. Mais, de toute façon, il faut assumer ses responsabilités dans tous les cas.
Le Gouvernement n'a réagi ni à la Constitution ni aux orientations Royales, d'il y a plus d'un an, lors du forum sur les droits de l'Homme à Marrakech, où Sa Majesté avait demandé au Gouvernement de faire activer les projets de loi sur l'APALD et sur les violences faites aux femmes. On a trop attendu et le résultat est décevant. Et je pense qu'il va nous être très difficile de ne pas voir accepter par le gouvernement des dispositions en deçà de la Constitution.
L'Opinion : Que faites-vous, à ce sujet, au niveau du parlement ?
Mme Benyahia : C'est une année relativement positive, au sein du Parlement, en matière d'institutionnalisation de la parité et de l'égalité : le règlement intérieur a inclu, dans ses structures, un groupe thématique genre, c'est une première dans l'Histoire du parlement au Maroc. Ce groupe s'occupe de la consolidation des acquis en matière de droits des femmes. Il y a aussi une série d'activités avec des partenaires associatifs et internationaux..
L'Opinion : Passons au cadre juridique du travail domestique des mineures, où en est-il ?
Mme Benyahia : Le phénomène des petites bonnes est une réalité. Le projet de loi a été discuté au niveau de la commission des secteurs sociaux. Il y avait deux tendances, l'une qui défendait les 16 ans et l'autre qui voulait que l'âge minimum de travail soit 18 ans, l'âge de la majorité. Lors des amendements, les groupes de l'opposition ont proposé des amendements mais les groupes de la majorité ne l'ont pas fait et ont enfreint le règlement intérieur de la Chambre des Représentants. On parle d'un désaccord pour l'âge. Encore une fois, c'est le nombre de voix qui l'emporte toujours et on verra encore au Maroc de la Constitution de 2011 des enfants qui travaillent à 16 ans sous alibi qu'il y a des familles pauvres. Les enfants sont-ils obligés de travailler pour leur famille, faute de scolarisation ? Il faut que l'Etat assume ses responsabilités et leur trouve les moyens d'être à l'école ou de les former pendant ces deux ans, au lieu de légaliser leur exploitation dans des maisons.
Maintenant, le projet de loi est toujours bloqué et il faut dire qu'en lui-même ce projet est un plus et comprend des dispositions intéressantes pour la protection des droits des travailleurs domestiques et aussi les personnes chez qui ils travaillent, mais ce projet devrait être enrichie et amélioré au niveau du Parlement et c'est ce que nous avons fait en espérant une bonne réactivité de la part du Gouvernement. Il y a des dispositions claires en matière de salaire, de congés, et d'autres engagements réciproques.
L'Opinion : Que pouvez-vous dire du statut des mères célibataires ?
Mme Benyahia : Cette nomination courante de mère célibataire m'intrigue toujours, on a l'impression de cumuler sur le dos de ces femmes le problème d'une situation dont deux personnes ont été responsables, un homme et une femme, ou souvent un homme après un viol ou un inceste qu'il a commis. C'est une maman qui a été délaissée par un irresponsable et qui se défend pour garder son enfant. Il faut trouver des solutions pour que cette femme bénéficie de tous les droits, elle et son enfant. Le Gouvernement, et la société aussi, fait porter toute la responsabilité sur le dos la femme et refuse de la protéger, sous l'alibi qu'elle va encourager le phénomène de la prostitution. Seulement, la situation d'une mère « célibataire » n'est pas toujours le résultat de la prostitution, mais d'autres phénomènes comme le viol ou l'inceste, il y a plusieurs cas de femmes enceintes au sein de la famille. Et puis la prostitution est le résultat direct des services que donne l'Etat aux femmes en général. Il faut trouver des solutions pour que les femmes vivent dans la dignité. Aucune femme ne voudrait faire de la prostitution un emploi, mais si elle est dans l'obligation, elle le fait. L'Etat doit affronter ce phénomène, y faire face et trouver des solutions, et ne pas isoler et stigmatiser les femmes dans cette situation, exploitées et à l'affut de la rue.
L'Opinion : Le problème de la mise en application du programme Ikram...
Mme Benyahia : C'est un plan d'action que je peux évaluer compte tenu que je l'ai suivi lors de mon parcours ministériel. En le lisant, j'ai retrouvé une bonne partie du plan d'action qui émanait de l'ancien agenda de l'égalité du Gouvernement Abbas El Fassi. D'autres dispositions qui étaient très importantes par rapport à la question des femmes ont été supprimées. On a également inclu dans ce plan d'action des structures vides comme l'observatoire des médias et l'observatoire des violences faites aux femmes qui, comme je l'ai déjà mentionné, sont des services au niveau du ministère. Le Gouvernement nous a dit qu'il a évalué le plan d'action et qu'une bonne partie a été mise en œuvre, ce qui n'est pas exact, faute d'indicateurs de suivi et d'évaluation. Parmi les indicateurs déchiffrés lors de la commission, c'est le nombre de réunions, de colloques... ce ne sont pas des indicateurs d'évaluation de politiques publiques. Ce qui importe pour le citoyen, c'est l'impact de la mesure sur sa situation sociale, économique...
L'Opinion : Quel système pour atteindre le tiers, pour ce qui est de la participation politique des femmes aux prochaines élections législatives ?
Mme Benyahia : On est à quelques mois des législatives et on est actuellement à 17%. La Constitution parle de la parité et nous sommes conscients de ne pas y arriver du jour au lendemain, mais le minimum, c'est le tiers. Pour y arriver, on devrait passer de 60 à 132 femmes membres à la Chambre des Représentants. Il y a plusieurs scenarii, mais reste à savoir sur lequel il y aura un consensus. Soit une liste nationale avec plus de candidates, soit un nombre de femmes à ajouter sur des listes régionales, soit un scénario qui cumule entre les deux ou peut-être une nouvelle formule.
L'Opinion : Quel est votre programme parlementaire ?
Mme Benyahia : L'élément le plus saillant pour cette année c'est que le Parlement marocain à travers le groupe thématique Genre à la Chambre des Représentants organise un événement au sein des Nations Unies sur le rôle des parlementaires pour la mise en œuvre des recommandations en matière de genre et changements climatiques. Nous voulons que le Maroc soit au centre de la scène, surtout que nous allons accueillir la COP 22 en automne prochain et que nous voulons que le genre soit pris en compte dans les futurs engagements. Cette thématique est cohérente avec le thème de l'Union parlementaire pour la 60ème session de la Commission de la Condition de la Femme qui aura lieu à l'ONU la semaine prochaine sur « le rôle de la législation pour l'autonomisation des femmes et le développement durable »
Entretien réalisé par Bouteina BENNANI
Encadré
Thème 2016 : « La parité en 2030 : Avancer plus vite vers l'égalité des sexes » !
La Journée Internationale de la Femme est l'occasion de dresser le bilan des progrès réalisés, d'appeler à des changements et de célébrer les actes de courage et de détermination accomplis par les femmes ordinaires qui ont joué un rôle extraordinaire dans l'Histoire de leur pays et de leur communauté.
Le thème 2016 pour la Journée Internationale de la Femme met l'accent sur les moyens d'accélérer le programme de développement durable à l'horizon 2030 et sur la mise en place d'un élan pour la mise en œuvre effective des nouveaux objectifs de développement durable, en particulier l'objectif 5 sur l'égalité entre les sexes et l'objectif 4 sur l'éducation de qualité pour tous. Il s'agit aussi de mettre en lumière l'initiative « Pour un monde 50-50 en 2030 » d'ONU Femmes, ainsi que d'autres engagements en faveur de l'égalité entre les sexes, les droits des femmes et ce qui permet de favoriser leur autonomie.
Les cibles clefs du programme de développement durable à l'horizon 2030 :
- D'ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons suivent, sur un pied d'égalité, un cycle complet d'enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité, qui débouche sur un apprentissage véritablement utile, conformément à l'objectif de développement durable 4 ;
- D'ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation préscolaire de qualité qui les préparent à suivre un enseignement primaire ;
- Mettre fin, dans le monde entier, à toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et des filles ;
- Éliminer de la vie publique et de la vie privée toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles, y compris la traite et l'exploitation sexuelle et d'autres types d'exploitation ;
- Éliminer toutes les pratiques préjudiciables, telles que le mariage des enfants, le mariage précoce ou forcé et la mutilation génitale féminine.


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