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De Rabat à Pékin, sur le chemin d'Afrique : Ambitions et limites d'un reprofilage géoéconomique
Publié dans L'opinion le 11 - 12 - 2015

Zheng He, amiral musulman chinois, à la tête de la première expédition navale de l'Empire du Milieu ayant atteint la côte orientale d'Afrique
L'information, malgré son importante dimension symbolique, n'a pas suscité beaucoup de réactions et de commentaires dans la médiasphère; le 30 novembre, le Conseil d'administration du FMI a intégré la monnaie chinoise, le Yuan, appelée aussi Rénminbi (la monnaie du peuple), dans les Droits de Tirage Spéciaux (DTS), un panier de devises servant de réserve à l'institution du Bretton Woods basée à Washington. Il est vrai que, ce jour là, le monde entier avait les yeux fixés sur Paris, où se sont ouverts les travaux de la COP21.
Même si le Yuan n'est pas prêt de détrôner le Dollar américain, sa reconnaissance en tant que monnaie de réserve internationale constitue, toutefois, un événement qui consacre le poids de la Chine sur la scène mondiale.
Trois jours après, SM le Roi Mohammed VI a adressé un message au 2ème Sommet Chine-Afrique, qui se tenait pour la première fois sur le continent noir, à Johannesburg, dans lequel il a prospectivement inscrit le Maroc comme prolongement de l'ambitieux projet géoéconomique chinois de la « Nouvelle Route de la Soie ». Et ce, après que la diplomatie du Royaume ait convaincu Pékin d'écarter les coupeurs de route polisariens du chemin du progrès, leur entité fantoche restant confinée dans la fantasmagorie de l'Union Africaine, comme l'a, d'ailleurs, tout aussi bien compris New Delhi. Si les Chinois ont commencé à élargir leurs horizons vers l'Afrique dès le XVème siècle, du temps de la dynastie des Mings, quand l'expédition navale conduite par l'amiral musulman chinois Zheng He a atteint la côte orientale du continent, un siècle auparavant, sous la dynastie des Mérinides, le Marocain Ibn Battouta avait déjà initié ses compatriotes aux mystères de l'Empire du Milieu.
Les relations officielles entre le Maroc et la Chine datent de 1958, leurs relations commerciales sont régies par l'accord signé entre les deux pays en 1995 et, depuis 2010, le dragon asiatique est le 3ème partenaire commercial du Royaume. Le volume de leurs échanges a atteint 31,8 milliards de dirhams l'année dernière, contre 11 milliards de dirhams en 2006, soit près du triple en moins d'une décennie. Même sur le plan militaire, le Maroc a commencé à acquérir du matériel chinois, renforçant son arsenal avec, entre autres, le lance roquettes multiples PHL03/AR-2 et le char MBT-2000. Bien que la discrétion diplomatique soit une caractéristique commune aux deux Etats, qui partagent également un pragmatisme politique assumé, tout porte à croire que leurs relations sont appelées à se renforcer et s'approfondir.
Entre l'Eurasie et l'Afrique occidentale
Nul besoin d'expliquer aux Chinois les méfaits du séparatisme, Pékin en sait long sur le sujet, que ce soit au Tibet ou au Xinjiang. Ni le terrorisme jihadiste, auquel il offre des conditions propices d'accroissement et un vivier naturel de recrutement. Les Marocains ne sont pas, non plus, à convaincre de l'importance de se connecter à la « Route de la Soie », dans sa version maritime en particulier, puisqu'il permet de mieux se positionner en plate-forme logistique entre l'Eurasie et l'Afrique occidentale et s'intégrer à la nouvelle dynamique économique stimulée par le bloc des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Quand le FMI a été créé, il y a 70 ans, les Etats-Unis représentaient quelque 50% de l'économie mondiale. Ce chiffre n'est plus que de 22%. L'introduction du Yuan dans le panier de devises de réserve du FMI représente, donc, le début d'une nouvelle ère, et ce, à divers niveaux. C'est la première fois, en effet, qu'un pays qui n'est pas une démocratie libérale acquiert un tel poids dans la structure financière internationale. Il est à remarquer que les médias occidentaux mettent de moins en moins l'accent sur le fait que la Chine est, jusqu'à présent, gouvernée par un parti communiste, même si ce dernier a pratiquement abandonné toute référence à la lutte des classes, depuis le temps de feu Deng Xiaoping.
Sur les cinq monnaies de réserve du FMI : le Dollar américain, le Yen japonais, la Livre sterling britannique, l'Euro de l'UE et, dès octobre 2016, le Yuan chinois, le Maroc en compte deux dans son panier de cotation du Dirham, le Dollar et l'Euro. Le Dollar plafonne, actuellement, à son plus haut niveau depuis 12 ans, à en croire Janet Yellen, présidente de la Réserve fédérale des Etats-Unis. Alors que la zone Euro est confrontée plus que jamais à des risques de grosse tempête, la politique d'assouplissement monétaire appliquée par la Banque Centrale Européenne n'arrivant toujours pas à juguler la tendance déflationniste qui paralyse les économies de l'UE.
Le fait de tourner le regard, en ce moment critique, vers la Chine permet de se rendre compte qu'il faudrait nécessairement relativiser le rôle que ce pays peut d'ores et déjà jouer dans la stimulation de l'économie mondiale. Il enregistre son plus bas taux de croissance depuis un quart de siècle. Ce qui n'est pas du tout une bonne nouvelle pour les pays émergents et même pour tout le reste de la planète. Selon le FMI, le PIB mondial ne va pas progresser de plus de 3,1% cette année, une aussi modeste performance que celle de 2009. Le spectre d'une crise aussi sévère que celle de 2008, sinon plus grave, plane sur l'ensemble du globe, comme semble le confirmer le récent effondrement record du Baltic Dry Freight Index, un indice des prix pour le transport maritime de vrac sec considéré comme fiable pour refléter les variations futures du PIB mondial.
Les pays occidentaux ne sont plus tout à fait capables de tracter l'économie mondiale, alors que la Chine et ses autres partenaires des BRICS ne sont pas, non plus, déjà aptes à le faire. Les prévisions de croissance économique en ce qui concerne l'Afrique sont, par contre, beaucoup plus optimistes, tablant sur un taux de 4,5% cette année. Le FMI annonce, par ailleurs, une progression du PIB de 4,9% au Maroc. Le continent noir recèle un potentiel de croissance dont le monde a, présentement, bien besoin. Ses politiques de coopération triangulaire à l'appui, le Royaume est, de ce fait, de mieux en mieux placé pour en constituer un puissant relais.


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