« Les journalistes devraient être la mémoire de leur peuple, et le sont, le plus souvent » Michel Jobert En journaliste aguerrie et racée, Zakia Daoud, ancienne rédactrice en chef du magazine Lamalif, censuré en 1988, a écrit son premier roman (Zaynab, reine de Marrakech) ,où le témoignage historique se mêle au romanesque .les événements historiques de Ce roman remonte au XIe siècle à l'époque des Almoravides sous le règne de Youssouf Ibn Tachfine. Loin d'être linéaire, le récit est raconté in médias res, empruntant ainsi une technique cinématographique, visant à plonger le lecteur de plain-pied dans l'histoire pour mieux susciter sa curiosité .l'incipit s'ouvre sur le portrait du personnage éponyme Zaynab installée dans sa demeure à Aghmat sa ville natale, loin de Marrakech ville ingrate à laquelle elle a tant donné. Soixante- sept ans, visage sillonné de rides, elle reçoit inopinément son époux Youssouf Ibn Tachfine, désormais vieillard cacochyme, venu la voir avant de mourir. Il s'enquiert d'Aghmat et Zaynab lui demande des nouvelles de Marrakech et de l'Andalousie. Tout va pour le mieux depuis qu'il a chargé son fils Ali de vaquer aux affaires politiques courantes. Quant à leur fils Tamîn, il se plaît en Andalousie .Zaynab sait que son époux est un souverain d'autant plus comblé qu'il est le premier émir des Musulmans du Maghreb et de plus de la moitié de l'Espagne, il a institué le plus grand empire qui se soit jamais vu du monde musulman, il a fondé une dynastie qui restera la seule de toute l'histoire du Maroc à éviter les luttes fratricides et complots du palais ;il est un des rares souverains à ne pas avoir vu son œuvre s'écrouler de son vivant. Après avoir pris congé de son époux, elle se jette éplorée sur son lit et se remémore sa longue histoire qui commence à Aghmat en 1036 avec son père Ishaq, venu de Kairouan et se termine avec Youssouf Ibn Tachfine. Zaynab Nezaouia est une érudite, passionnée de randonnées dans la montagne .Elle était de haute stature, de forte prestance, fine comme une liane. Elle sait aussi panser les plaies, guérir le paludisme en utilisant des plantes médicinales. C'est ce qui lui a valu la réputation de sorcière ,susceptible de jeter des maléfices .Elle se marie à l'âge de treize ans avec son cousin Youçof Ibn Ouatas, qui la répudie pour qu'elle puisse épouser Lagut, l'émir d'Aghmat, flatté d'avoir une femme éduquée , très intelligente et très cultivée si bien qu'elle peut parler des plantes de la montagne, des travaux d'Ibn sina, d' Al Ghazali dont la doctrine sera celle des Mourabitines. Elle organise aussi des soirées littéraires pour le grand plaisir et orgueil de l'émir. En bonne stratège elle défend bec et ongles Aghmat contre l'invasion des Mourabitines qui finissent par vaincre Aghmat et tuer Lagut. Ainsi devient-elle la femme d'Aboubakr qui se laisse charmer par sa beauté et son érudition si bien qu'elle devient sa conseillère .En éminente intellectuelle, elle reçoit le poète ,géographe, théologien philologue et botaniste Abou Ubayd Al bakri dont le père était roi d'une minuscule principauté espagnole. Ainsi contribue-t-elle à policer les Mouabitouns. Elle reçoit aussi le prince andalou Mohamed Ibn Abbad Al Mouatamid, roi fastueux de Séville et éminent poète, venu demander le soutien des Mourabitoun contre l'avancée des troupes chrétiennes ,menaçant les royaumes musulmans d'Espagne .Elle n'a pas manqué de lire le roman philosophique d'Ibn Toufayl de Grenade « Hay bnou Yakdan ».Elle aime à déclamer les chants d'amour d'Ibn Zaydoun. Sous l'instigation de son époux , parti pour Sijilmassa combattre les Godalas, les Lamtouna et les Massouffas, Zaynab épouse enfin Youssouf IbnTachfine le cousin d'AbouBakr qui la répudie .Elle a trente deux ans, elle est dans la force de l'âge, dans la plénitude de sa beauté malgré les aléas de la vie. Ce mariage là est le vrai , elle l'attendais depuis belle lurette, il allie l'amour à la gloire. Le promis n'est pas de la première jeunesse, il frise la soixantaine et la vie ne l'a pas non plus épargné, de batailles en bivouacs, de déceptions en victoires, depuis les fins fond du désert. Ses yeux noirs et impérieux révèlent la véritable personnalité de celui qui sera le plus grand roi des Almoravides, un être fort chevaleresque qui sera même canonisé par la vox populi après sa mort .En dépit de la différence d'âge, Zaynab a enfin trouvé un homme à sa mesure. Très vite leur entente se double d'une passion incandescente « Avant toi ,dit-il, j'étais solitaire, désabusé, résigné à n'être jamais heureux ;j'avais des femmes des concubines ,mais elles ne me donnaient pas le sentiment d'exister » Il était donc très flatté d'avoir une femme belle, énergique, habile, fine stratège, rompue aux affaires politiques, assez circonspecte pour flairer les risques et les pièges. Après avoir nommé son fils Ali prince héritier à Marrakech, Youssouf Ibn Tachfine se rend à Sebta où il convoque Ali (fils de son esclave chrétienne Qamar)et le couvre symboliquement de son manteau avant de quitter le Maghreb pour l'Espagne. Zaynab en a pris de l'ombrage, jugeant Ali trop rigide pour l'exercice du pouvoir et très pieux au point que sa pratique confine à la bigoterie. Désappointée, elle quitte Marrakech pour se rendre à Aghmat où elle préfère écouler ses derniers jours ,loin des feux de la rampe, laissant les affaires de l'Etat entre les mains d'Ali Ibn Youssouf, devenu le deuxième roi de la dynastie almoravide le deux septembre 1106. Après la dernière entrevue entre Zayab et Youssouf à Aghmat, celui-ci meurt en 1106 à l'âge de 95 ans, laissant derrière lui un royaume immense qui va de l'Afrique noire à l'Espagne du nord, de Bougie jusqu'au Sous. Déçue , désillusionnée, affaiblie par l'âge Zaynab assiste impuissante au délitement du pouvoir almoravide, qui ordonne hélas des autodafés publics à Marrakech, des œuvres de Ghazali ,qui a opéré une synthèse novatrice entre la tradition et la modernité que les Almoravides ont jugé choquante, n'étant pas en mesure de la comprendre. Vient alors le règne des Almohades avec Ibn Toumart, le bigot réactionnaire, qui ne cesse de prêcher contre le luxe, la musique, la corruption des mœurs, la prévarication des fqihs, leurs fausses interprétations visant à masquer leurs problèmes et surtout leur opulence . Entouré de son fils Tamin, sa femme et ses enfants, Zaynab rend l'âme avant de s'adresser à son fils dans un ultime soupir : « Sache , lui murmure-t-elle ,que le pouvoir est un théâtre d'illusion ,les deux faces d'une même illusion, l'illusion du pouvoir et le pouvoir de l'illusion. Fais-en ton profit .» Ali Ibn Youssouf meurt en 1143 à l'âge de 58 ans ; son fils Tachfine Ibn Ali qui lui succède ne régnera que deux ans,menant un combat acharné contre les Almohades qui encerclent et pillent Aghmat, sonnant ainsi le glas de la splendeur de la ville de Zaynab. Ainsi se termine la saga des fondateurs almoravides dont le souvenir demeure encore dans la bouche des conteurs de Jamma lafna : « A la fin Marrakech, ô tour si haute, ton nom s'élève du temps des premiers, qui en virent l'apogée, alors que le lot de ces derniers n'en sera que hargne et âcreté » Dans ce brillantissime roman de Zakia Daoud, nous avons pu apprécier le grand talent de journaliste, romancière et historienne, soucieuse de fournir au lecteur de précieuses informations sur les personnages ayant illuminé notre histoire, loin de tout exotisme ou ethnocentrisme. Force nous a été de constater la passion et la grande ténacité avec laquelle elle s'est attelée à témoigner de cette belle tranche de notre histoire, en consultant des ouvrages d'histoire, dont nous pouvons citer (Marrakech des origines) de Gaston Deverdun,(Histoire des souverains du Maghreb) d'Ibn Ali Zar, (Le Kitab bayan Al Maghrib) d'Ibn Idhari,(Description de l'Afrique septentrionale) d'Al Bakri,(Al Istiqsa) d'Annaciri, (Histoire du Maroc) D'Henri Terrasse,(Les Arabes en berbérie) de Laoust,(Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale) D'ibn Khaldoun,(L'Afrique du nord au Féminin) de Gabriel Camps,(Le haouz de Marrakech) de Paul Pascon. Remarquons aussi que cette bibliographie pour exhaustive qu'elle soit, elle ne parle qu'évasivement de Zaynab Nefzaouiya ; c'est-ce qui justifie le recours au récit romancé de Zakia Daoud qui s'est ingéniée à suppléer aux lacunes de l'histoire par la fiction .Ce qui force aussi l'admiration chez notre écrivaine, c'est qu'elle s'est imposé le défi d'aller sur les traces de son personnage ,en séjournant pendant longtemps à Tamslouht où ,sur sa belle terrasse dominant la plaine et les contreforts bleutés de l'Atlas, elle a pu entendre la voix cristalline de Zaynab résonner encore dans cette bourgade, dont plus rien ne subsiste sinon le mausolée d'Al Moutamid subissant amèrement l'usure et l'injure du temps. C'est d'autant plus désolant que nos voisins d'Espagne ne cessent de valoriser en le restaurant le patrimoine andalou à Séville, Grenade, Cordoue ,Malaga... qui draine tout le long de l'année, des milliers de touristes du monde entier, qui pourraient aussi venir visiter le nôtre à Marrakech, Rabat, Salé, Fès...si nos responsables faisaient un effort de préservation et valorisation de nos monuments qui tombent en décrépitude. Ce roman est aussi un hymne aux femmes du Maroc, ayant orné notre histoire par leur charisme telles Fatima Al Fihriya, fondatrice de l'université Al Qaraouiyyine à Fès au IXe siècle, Khanata Bent Bakkar, qui a succédé à son époux Moulay Ismaël et régné pendant 25 ans au XVIIe siècle. Signalons aussi que Zakia Daoud est la première écrivaine à avoir consacré un roman à un personnage historique de l'ampleur de Zaynab Nafzaouiya. Aussi ,ce roman s'inscrit-il dans la lignée de récits historiques romancés du Maroc tels que (La prière de l'absent) de Tahar BenJelloun( la mère du printemps )de Driss Chraïbi ( Le savant) de Bensalem Himmich, (A l'ombre de Jugurtha) de Nadia Chafik, (les voisines D'Abi Moussa )d'Ahmed Taoufik, (Le Morisque )de Hassan Aourid...