Dans l'ouvrage collectif «L'Univers des Gnaoua» réalisé sous la direction de Abdelhamid Chlyeh (coédition La Pensée sauvage/Le Fennec, 1999) ce dernier en conclusion s'interrogeait déjà sur l'évolution des confréries Gnaoua en notant : «Peut-on craindre une érosion de leur pratique ancestrale au profit seulement de prestations scéniques et musicales dépourvues de tout lien avec le sacré ?». Après une dizaine d'années, cette interrogation demeure toujours à l'ordre du jour. Elle est différemment posée avec nuances par Ahmed Aydoun coordinateur d'un nouveau travail sur les Gnaoua et leur musique, incarné dans une anthologie de la musique gnaouie. Ainsi, dans son étude technique sur la musique gnaouie, insérée dans cette anthologie, il n'a pas manqué de conclure : «La pratique actuelle de la Lila se dirige, de plus en plus, vers le divertissement et la complaisance envers un public qui n'adhère pas souvent à la rigueur structurelle de la Lila». La démarche d'anthologie en elle-même est conçue comme une réponse à cette interrogation travaillée intérieurement par un vif souci de sauvegarde. Elle constituerait un passage à l'action de conservation par le biais de la collecte et de la fixation du patrimoine oral qui aurait tendance à se perdre progressivement et à muer par rapport à sa teneur et structure originelle suite à la disparition des anciens qui en détenaient les secrets. Des travaux dans le même sens, furent réalisés pour la musique andalouse, le Melhoune, les musiques populaires etc. Cette anthologie de la musique gnaouie est réalisée par l'Association Yerma Gnaoua avec le soutien de la Fondation OCP, Sidi Ali et BMCE Bank. C'est un travail de recherche étalé sur 4 ans, réalisé avec le concours de l'éminent musicologue Ahmed Aydoun en compagnie du président de l'Association Yerma Gnaoua, le maallem Abdesslam Alikane. Ils ont sillonné le Maroc, ont fait la rencontre de maallems gnaouis à travers plusieurs villes. Il s'agit des maallems Abdelkader Ziraoui, dit Stitou, à Tétouan, Mahmoud al Filali à Assilah, Mahmoud Guinéa à Essaouira, Mustapha Baqbou à Marrakech, Feu Abdelkader Oughassal, dit Benthami, à Casablanca qui a été remplacé par son fils le mâalem Said Benthami, Ahmed Chouki Boujemaa, dit Abdi, de Rabat, Abdelkader Amlil de Rabat, Ahmed Benthami, dit Hamid Dekkaki de Fès et Abdenbi al Faqir al Meknassi. Résultat : un riche fond sonore avec 9 CD audio, 14 heures d'enregistrements de musique de l'essentiel du répertoire gnaoui avec les variantes régionales et un livre en trois parties. La première se rapporte à l'histoire des Gnaoua par Khalid Chegraoui qui note le peu d'études documentées et parle de l'origine historique des Gnaoua, une origine qui ne serait pas uniquement subsaharienne alors que les anciennes études insistaient surtout sur la plaie de l'esclavage et l'épisode marquant de l'armée noire des Abid al-Boukhari de Moulay Ismaïl. La deuxième étude est anthropologique réalisée par Abdelhai Diouri, l'un des plus anciens chercheurs marocains à avoir effectué des recherches poussées sur les Gnaoua. C'est une recherche sur la partie ésotérique appelée Mlouk. Abdelhai Diouri retient pour le patrimoine gnaoui un «rituel de nature thérapeutique» avec «un lieu de thérapie de nature spirituelle» et une part interpellée qui «relève de croyances enfouies dans les souches les plus profondes du sujet». Enfin, en troisième lieu, une étude musicologique de l'art musical gnaoui par Ahmed Aydoun. Ce qui est particulièrement nouveau dans l'anthologie, ce sont les textes chantés qui ont été transcrits en texte original et traduits en français pour la première fois. Cette entreprise pas de tout repos, est le fruit d'un long et patient travail d'écoute pour retrouver des mots qui portent le mystère d'une itinérance africaine. L'anthologie, selon les promoteurs de ce projet, outre qu'elle peut être un précieux outil de travail pour les chercheurs, constitue une base essentielle pour l'inscription de ce patrimoine sur la liste du patrimoine oral et immatériel de l'humanité de l'Unesco. Quarante maallems gnaouis, représentant différentes régions du Maroc, ont approuvé lors de la 17ème édition des Gnaoua et musiques du monde d'Essaouira la demande de l'inscription dont le dossier de candidature sera présenté à l'Unesco en 2015.