Il fallait attendre le passage du protectorat pour que les arts plastiques soient reconnus comme un domaine important dans la culture marocaine. Donc, on peut suivre divers critères pour établir une périodisation dans le cas de la peinture au Maroc. L'un de ces critères est celui des peintres orientalistes, même avant le protectorat, comme Adolf Schreyer (1828/1899). Gabriel Rousseau, Ferdinand Willaert, Léon-Raoul, Louis André, un portraitiste suivi par Miloud Boukerch (1918/1979) et la liste est longue. Mais, depuis l'occupation, il y ‘eut une forte présence de la peinture figurative et impressionniste. Citons André Sureda, Paul Le Roy, Henrick Auguste, Ankarcona, Jacques Majorelle, Etienne Dinet, Azema, Jacques Mantel, André El Baz ou encore Albert Pilot. Après, ce fut la création de l'Ecole des Beaux Arts chargée de dépasser le dilettantisme dans la production artistique autour de professeurs titulaires de l'école des beaux arts et d'autres instituts où se réunissent des artistes qui commencent à être connus dans la société locale. Un groupe au sein duquel il convient de souligner un nom comme celui de Mohamed Tourni, peintre à l'œuvre sophistiquée. Il existait alors déjà un intense mouvement et une certaine agitation autour des expositions et des salons artistiques, ce qui donna naissance à beaucoup d'associations d'arts plastiques. C'était au cours des années 70 où on pouvait déjà soutenir l'existence d'un système de production, de circulation et de consommation d'arts plastiques qui atteint une certaine maturité. En raison d'une particularité nationale, on peut même parler d'un système des arts du Maroc. Le mouvement de création d'une peinture figurative au début de l'indépendance avec Belkahia, Karim Bennani, Ben Seffaj, Serghini, Zine, Tatal et d'autres tournées vers l'observation des scènes populaires et du monde de la compagne les plus humbles, eut des répercussions qui, loin de se limiter à l'espace local, s'étendirent à l'art marocain et à l'art contemporain. Aux côtés des artistes de la deuxième vague, chez Mohamed Toumi se révèle dans les années 70 une autre personne de première grandeur. Ses préoccupations esthétiques marquèrent tout autant le contexte de l'art marocain que celui de l'Europe, spécialement à partir de son retour à Rabat après ses études à Casablanca, à l'Ecole des Beaux Arts. Depuis lors, Toumi ne cesse de décliner toutes les formes de production de valeurs et de questionnement liées au développement de l'art au Maroc. Venu de loin, un enfant d'origine de Taroudant, Mohamed Toumi né à Casablanca et étudiant à l'Ecole des Beaux Arts s'était illustré comme une figure importante pour l'adoption du style pittoresque, il venait avec ses traditions, chevaux, Baïas et Moussems, pour participer avant tout à la vie culturelle et picturale de Rabat, capitale du royaume chérifien. Le développement urbain et social des premières décades du XXème siècle va provoquer un intérêt particulier pour la production et la réception des Arts Plastiques, principalement.à Casablanca, Rabat et depuis peu de temps à Marrakech. A cette époque dans la ville de Rabat, émerge et se détache la figure du peintre Mohammed Toumi, parmi peu de peintres qui ont gagné la reconnaissance et les félicitations des galeristes, des critiques d'art et d'amateurs d'art. Autour des professeurs titulaires d'Ecole des Beaux Arts à Paris comme. Cherkaoui, Gherbaoui, El Yaakoubi, Bellahia, TalaI et Zine, un groupe au sein duquel il convient de souligner des mêmes celui de Serghini, Mghara, Chebaâ, Ben Seffaj, Melihi, (je suis obligé de citer ce dernier pour la crédibilité des choses). Se réunissent bientôt des jeunes artistes de la deuxième génération. Ces derniers pionniers ont ouvert difficilement le chemin à cette génération qui commence à être connue dans la société locale, y compris Mohamed Toumi. Notre peintre en question, dont l'oeuvre sophistiquée combine les accents expressionnistes et abstraits, aux formes plus suaves du portrait social, qui commence à imposer sa marque du développement artistique local. S'impose non seulement par la maturité de sa peinture avec des tours d'impression tardifs mais aussi par la diversité de ses œuvres et sa gestualité incomparable. On peut dire que est un personnage qui s'imposera également dans le développement des arts et de la culture, qu'on le veuille ou non. Je peins volontairement, dit-il, des choses qui m'ont ouvert la voie vers un avenir promettant, juste après quelques années, après l'obtention de mon Diplôme de l'Ecole des Beaux Arts quand me proposa d'exposer. La presse nationale, quelques amis intellectuels, m'ont beaucoup aidé. Je devais me réfugier en moi, je peins chaque jour, à chaque fois que j'en ressentais le besoin, des nuits, des restes des jours, quand je n'allais pas en classe, c'était mon enfance, le début d'un long chemin. Toumi passa la frontière du professionnalisme et voyage à travers les recherches en traversant toutes les tendances de l'art pictural. - Que représente pour vous l'abstrait et le non figuratif? - Un critique d'art français dont j'ai oublié le nom (c'était au début du mouvement abstrait) disait: « Le midi à quatorze heures des abstraits et des non-figuratifs n'est pas encore parvenu à nous retenir ni même à nous toucher malgré notre attention... Il faut toujours être attentif à ce que l'homme tente pour se justifier et se surpasser. Nous leur tirons nos chapeaux et nous leur vouons admiration et gratitude dès l'instant où, ayant trouvé l'accès de notre cœur, il réchaufferont, irrigueront et rafraîchisseront, en un mot, l'on fait et ne' cessent de le faire. - Quels sont les grands peintres qui vous ont influencé, impressionné et poussé à suivre la tendance abstraite ? - C'est difficile de dire que je suis un peintre abstrait ou non-figuratif. Quand vous voyez une toile vous trouvez du figuratif mais aussi de l'abstrait. En ce qui concerne les grands peintres qui étaient vraiment les premiers à avoir tracé l'itinéraire de l'abstrait ou du non-figuratif: Bruguel, de la Tour, Le Nain avec leurs paysans, Ver meer, Ingres, Chardin avec leurs bourgeoises et servantes, Corot avec ses arbres, Utrillo avec ses façades, Renoir, Lautrec avec ses prostituées, Sassetta en passant par Van Gogh, Goya et Daumier... Depuis, l'abstraction a eu droit à l'appui moral et autre des officiels qui, par prudence, misent désormais sur toutes les œuvres, l'abstraction et dans la pluspart des vitrines, des salons et toutes les cimaises. C'est une mémoire de l'humanité qui a trouvé le symbolisme de la liberté d'expression dans le domaine des arts plastiques. Le non-figuratif et l'abstrait sont compris depuis fort longtemps parmi les arts majeurs, les horizons s'ouvraient sans connaître de frontières, devenus parmi les seuls à pouvoir- aller où ils veulent, dit, Toumi. Est-ce un bien ? ... Un désir ? .. Un choix ? .. C'est en tous cas un fait, son domaine à des voies tracées dont il ne peut s'écarter sans se prendre. Que les personnes qu'il présente, que les évènements qu'il relate, que les sujets qu'il propose frôlent les lisières du symbolisme et, tout aussi tôt, il ne court pas de risques. Les notations délectables des couleurs et des mouvements, les chevaux les personnages qui foisonnent dans toutes ses toiles ont des caractères exceptionnels. Celles de Toumi relèvent le plus souvent de l'esprit; mais aussi sont purement sensorielles, de temps à autre ses inventions doivent tout autant à l'esprit qu'au sens, mais il s'y ajoute presque toujours une valeur artistique hors du commun. La sensation s'y prolonge en état d'esprit fleurissant et vague. Si Toumi remet la création artistique à sa place, il proteste d'autre part contre la vulgarité, le modélisme et pédantisme de l'artiste, qui, fait étalage de son art et usurpe les titres de noblesses en exploitant des thèmes, illustre des mythes séculaires. « Ne fais donc jamais de citations classiques, disait le poète et l'écrivain Léon Paul Fargue. Tu exhume ta grand-mère devant ta maîtresse «), Et il ajoute: « Il faudrait bien, une fois pour toutes en finir avec ces machines-là, nous en sommes faits, c'est entendu, mais que çà ne se sente pas; c'est la politesse la plus élémentaire «. Toumi me répète qu'être Artiste ne consiste pas nécessairement à colorer la toile, mais dans des positions particulières et constantes de l'âme et des sens, avant toute chose, dans le seul fait d'être accessible aux merveilleux et au pathétique de la vie. On vit ou l'on ne vit pas en état d'Art, de la créativité, de la poésie même. Sinon, il vaut mieux de ne rien faire que de faire des bêtises.