Un clairon de la fanfare municipale gît dans un lavabo. Il n'y a plus une vitre aux fenêtres, des papiers administratifs jonchent le sol de la cour. La mairie de Bossangoa, à 250km au nord-ouest de Bangui, résume cruellement la situation de la ville. «8 septembre 2011, c'est la journée de l'alphabétisation», proclame une affiche encore collée sur un mur. Une enveloppe libellée à l'adresse de «Monsieur le directeur général de l'administration» traîne sur un bureau. Autant de reliques d'une époque «normale», avant que tout s'évanouisse dans un tourbillon de violences et de peurs. A Bossangoa, où les violences intercommunautaires à grande échelle ont commencé en septembre, il n'y a plus rien. «Plus d'Etat, plus d'administration, plus de juge, personne», résume l'évêque de la ville, Mgr Nestor Désiré Nongo Aziagbia. Le préfet, le sous-préfet, le maire, sont partis. Il reste bien une dizaine de gendarmes et de policiers, mais ils ont peur, et ne peuvent rien contre les pillards et bandits qui terrorisent la ville. «De toute façon, il n'y a plus de geôles», dit l'évêque. Bossangoa est une ville de déplacés. Les habitants vivent dans deux camps: les chrétiens d'un côté, rassemblés près de l'église, les musulmans de l'autre, près de l'école Liberté. Au total, près de 35.000 personnes, soit la quasi-totalité de la population de Bossangoa. Entre eux, la méfiance, et le cercle vicieux des «rumeurs qui nourrissent la peur et entraînent le conflit», déplore le général Francisco Soriano, chef de l'opération militaire française Sangaris en Centrafrique, en visite jeudi à Bossangoa. Depuis début décembre, une centaine de soldats français sont basés dans l'ancienne usine de coton de Bossangoa, et tout le monde s'accorde à dire que leur présence, ainsi que celle d'un contingent congolais de la Misca, la force africaine, ont largement contribué à apaiser la situation. «On est passé du rouge à l'orange», résume un officier français. «Dans ma vie, je fais rien, rien, rien» Les Séléka (les rebelles musulmans qui ont renversé en mars le président François Bozizé et régné en maîtres sur le pays pendant 10 mois) ont été cantonnés. Les anti-balakas (milices chrétiennes) se sont faits plus discrets depuis quelques semaines. Aucune attaque meurtrière n'a été signalée depuis une quinzaine de jours. Mais cela ne suffit pas à éteindre la peur, et les déplacés ne retournent pas chez eux. «Je suis mal à l'aise, je n'ose pas rentrer. Les Séléka, les musulmans, ils savent se faufiler chez nous», explique Justin Andet, un homme de 48 ans dans le camp des déplacés chrétiens. «Dans ma vie, maintenant, je fais rien, rien, rien», soupire ce cultivateur dont la plantation de manioc a été totalement détruite. Depuis le début de la crise, l'évêque Aziagbia et l'imam Ismail Nafi tentent d'éteindre le feu et de réconcilier les deux communautés. A grand peine. «On a fait des réunions, entre nous, avec tout le monde. Mais à chaque fois les attaques ont continué», déplore l'imam. Pourtant, Bossangoa «est plutôt bien lotie», comparé à la situation en brousse, constate Salima Mokrani, responsable d'Ocha, le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU. «Dans la région, les populations ont fui leurs villages et vivent en brousse depuis quatre mois. Ils ont épuisé jusqu'à la dernière miette de subsistance. c'est un désastre», explique-t-elle. Et alors que la Centrafrique devrait lundi avoir un nouveau président de transition, le général Soriano demande à ses troupes de rester «très vigilantes» pendant ces jours d'incertitude politique. Les ex-militaires restés fidèles à François Bozizé --originaire de la région de Bossangoa--, sont toujours en embuscade, à une soixantaine de km au nord. «Ils ont des armes de guerre. Et on risque d'avoir des problèmes avec eux», confie une source militaire.