Si la société des gens heureux, celle de la majorité silencieuse, n'ont pas d'histoires, il est toujours, dans les histoires de films, quelque responsable du malheurs des uns, sinon du bonheur des autres: le mauvais, le marginal, bref le traître au système. A une époque, où par la vertu de la crise de 1929, tout le monde doit se serrer les coudes, la culpabilité va son bonhomme de chemin. A cette époque, les gangsters, les anges aux figures sales, comme on aime à les appeler, sont les vrais et seuls responsables de tous les maux. Avec l'abolition de la prohibition, le cinéma et une sous-littérature qui font des truands des héros à part entière, il faut trouver ailleurs un bouc émissaire d'un genre nouveau, susceptible de toucher, de percer dans l'inconscient du plus grand nombre. C'est la raison pour laquelle la société américaine cherche à l'extérieur ses suspects: les nazis. La guerre terminée et la quête d'identité achevée, l'Amérique cherche et pourchasse ses ennemis intérieurs: les communistes, les intellectuels progressistes et sa jeunesse, du moins celle qui ne veut plus croire au rêve américain, une jeunesse issue du tissu urbain. A cette recherche de la pureté originelle, correspond un nouvel éclairage du héros de cinéma. Dans les grands films noirs des années 30 et 40, le détective, le privé, ne diffère des bandits que dans la mesure où il est du bon coté, ce qui le rend capable de sentiments. Mais, de plus en plus, sa conduite brutale, son expérience du monde, sa sexualité, sont celles d'un marginal fier de l'être, d'un délinquant en puissance. Du privé aux moeurs et attitudes de déviant au délinquant, il ne reste plus qu'un intermédiaire, une barrière fragile du reste. L'année 1951 marque la sortie de "Une place au soleil", de Georges Stevens et de "Un tramway nommé désir", la reconnaissance, dans les studios hollywoodiens du statut à part entière d'adolescent révolté, les débuts de la carrière de Marlon Brando et les premiers balbutiements de l'âge d'or des délinquants juvéniles. Une génération plus tard, que reste-il de ces rebelles avec ou sans cause? Sont-ils devenus de sages propriétaires terriens ou continuent-ils à être la mauvaise graine de nos sociétés? Toutes les sociétés sont en mesure de tolérer un niveau substantiel de déviance. Quelques défections n'atteignent pas le système sauf si elles s'attaquent aux points névralgiques, ceux où la déviance se révèle destructive du fondement même de ce système. C'est à quoi tendent à des titres divers les protagonistes de "Graine de violence"(1955), "L'équipée sauvage"(1953), "Bonnie and Clyde"(1967) et "Easy Rider"(1969). Leurs réactions envers l'argent ou le travail, les deux mamelles de la société, minent en fait le système en détruisant la volonté des individus de jouer leur rôle et de participer aux activités, en détruisant le rapport entre l'effort produit et la récompense. Les personnages des films cités plus haut se détournent d'un système social et culturel qu'ils estiment injuste et cherchent à reconstituer la société sur de nouvelles bases, avec un ensemble nouveau de buts et de règles, voire à construire une société parallèle. Le système prend peur: la société se rend compte du danger et va favoriser un certain nombre de films qui vont canaliser la révolte d'une jeunesse de plus en plus grandissante, désigner ce qui ne va pas et y remédier. La société se rehausse d'un cran et se met à portée de la réalité. Elle cherche et trouve des cinéastes pour parler des autres, alors que finalement les cinéastes de la révolte: les Arthur Penn, Richard Brooks et Denis Hopper, parlaient des autres seulement dans la mesure où ils pouvaient les ramener à leurs cas.