C'est vrai pour certaines catégories de gens et c'est évidemment faux pour d'autres. Bien des gens se sont enrichis par l'argent du cinéma jusqu'à garantir des jours heureux pour les arrières petits fils. Le cinéma est un commerce et une industrie, en d'autres termes, c'est une marchandise que l'on peut manipuler à sa guise pour mieux l'agencer sur le marché en vue de tirer le maximum de profit. Cette marchandise est mise à la disposition d'un public susceptible de l'apprécier à son goût et payer pour cela le prix fort comme il peut la mépriser à la grande déception de son propriétaire. Ce sont généralement les producteurs qui sont les propriétaires de films, à titre individuel ou collectif, une personne morale ou un groupement, mais tous unis autour d'un projet financier qu'ils souhaitent rentable. Au cinéma, ce n'est pas toujours le cas. Bien des films se sont avérés de mauvaises affaires, provoquant même la faillite des studios et la marginalisation de leurs auteurs. Les cinéastes comme les comédiens en subissent les frais et deviennent des boucs émissaires. Ils doivent attendre longtemps, parfois plusieurs années avant qu'on leur oublie cette tare. L'histoire du cinéma est jalonné d'innombrables exemples de films très coûteux mais sans garantie publique et les artistes doivent traîner cet insuccès comme une casserole parfois tout au long de leur carrière. Pire, leur carrière peut connaître un malheureux revirement pour un simple rôle dans un film jugé désormais maudit. Le succès d'un film, personne ne peut le prédire. Il n'y a pas de recette pour garantir le succès d'un film. Tout projet cinématographique est une véritable aventure financière susceptible d'échouer malgré les garanties hasardeuses. L'engagement d'acteurs célèbres, la construction de l'intrigue, le rythme narratif, peuvent s'évérer des éléments prometteurs mais, hélas, non suffisants pour savourer le succès. Des films en tète d'affiche Sophie Marceau, Kris Kristofferson, John Travolta, Sean Connery, Marlon Brando, ont connu des échecs foudroyants aussi bien pour les producteurs, les réalisateurs que pour les pauvres comédiens, et pourtant ces derniers au sommet de leur gloire. Cette situation dramatique que peuvent subir les gens du cinéma ne date pas d'aujourd'hui. Bien avant le Cinématographe et à une période postérieure, il y eut des malheureux. Emile Reynaud qui, sans lui, le cinéma n'aurait jamais existé, a vécu un désastre à la fin de ses jours. Il n'arrivait pas à admettre son pauvre sort, lui qui a inventé le Praxinoscope, organisé les premières projections publiques dans le monde, amusé le tout Paris avec ses pantomimes lumineuses, qui sut adroitement tirer profit des inventions précédentes dans un but spectaculaire. Comment accepter de finir dans la misère quand on a rendu service à la France comme à l'humanité toute entière, sacrifié son temps et son argent pour le bien être des gens ? Emile Renaud, déçu de ses concitoyens, dans un geste de désespoir extrême, détruisit tout son patrimoine, sans aucun regret, manière de se venger de ces ingrats. Un geste suicidaire, dira-t on. Son concitoyen, Georges Melies, le père du cinéma de fiction, de la science- fiction et du trucage, n'a pas connu un meilleur sort. Avant de finir comme vendeur de jouets à la gare de Montparnasse à Paris, il avait vécu la même amertume. En tant qu'artiste, prestidigitateur, metteur en scène, acteur, dessinateur, créateur de génie, Melies était très en avance sur son temps. Il a mis toute son existence au service du développement du cinéma et son épanouissement technique et créatif que toutes les générations postérieures vont exploiter à outrance. Ne pouvant vivre de son travail qu'est le cinéma, et prenant exemple sur son prédécésseur Reynaud, dans un geste de folie délibérée, brûlât toute sa collection de films, détruisit tout son matériel et ses studios, puis quitta définitivement ce travail maudit qu'est celui du cinéma. Il va prématurément se rendre compte d'une réalité déconcertante : le cinéma ne paie pas !