Sidi Ali Ben Hamdouch, un lieu: petite localité relevant de la commune Mghassyine, cercle de Moulay Idriss Zerhoun, la ville sainte située sur le célèbre massif montagneux de Zerhoun. Mais aussi et surtout un mausolée ou un marabout, c'est selon, rendu célèbre par le Moussem qui porte son nom et qui commence traditionnellement seps jours après le Mouloud, naissance du prophète Sidna Mohammed. Deux particularités notoires cette année. D'abord, un imposant dispositif sécuritaire pour faire face à tout imprévu, le spectre de la perversion des années dernières plane sur les consciences. D'ailleurs une dizaine de présumés homosexuels sont arrêtés, cinq sont présentés au Parquet. Mais la sérénité est retrouvée, la prévention a payé et le Moussem renoue avec sa tradition spirituelle. Ensuite, une affluence réduite due, selon des observateurs, aux inondations qu'a connues le Gharb. En effet, nos concitoyens du Gharb et du Chrarda sont des habitués du Moussem. On estime leur afflux à quelque 70% des pèlerins du Moussem. Notons que l'année dernière une nouvelle «hérésie» risquait de porter un coup dur à l'héritage spirituel du fondateur des Hmadcha: les homosexuels commencèrent à s'approprier le Moussem pour en faire leur rendez-vous annuel. Des rituels de mariages homosexuels auraient été organisés dans la foulée des transes et des veillées de chant. Le sacré cédait le pas au charnel et l'opinion publique locale, alertée, avait commencé à s'inquiéter. On évoquait sans ménagement l'histoire de la révélation coranique de Loth dans le pays de Sodome et la punition divine de ces «déviances» pour demander aux responsables de prendre au sérieux ce phénomène devenu trop visible, menaçant une tradition ancestrale du Moussem, les associations locales mettent en avant le caractère illégale de l'homosexualité au Maroc stipulé par l'article 489 du code pénal. Le problème, devenu très sérieux, explique la mobilisation tous azimuts des pouvoirs publics. Force est de constater que ce phénomène a été éradiqué, du moins visiblement. Sur la place du village, loin de cette hérésie, les sacrifices continuent. Des cris de femmes viennent parfois déchirer le silence cédé par les «Tbals et Lghita» des Hmadcha qui sont déjà à une phase avancée de leur transe. Les rituels de tout genre s'affichent, les confréries se succèdent et certaines scènes choquent par leur violence «Lafrissa», «eaux chaudes» et flagellations. Notons que de tous les rituels d'une certaine perception de la religion dans les couches populaires, le Mouloud représente le moment propice pour les moussems autour des zaouïas, des confréries et des tombeaux des marabouts. Une grande partie des moussems dans la région de Meknès a donc lieu pendant ou autour de la fête du Mouloud: le moussem de Cheikh el Kamel, Hadi Ben Aïssa, le fondateur de la fraternité des Aïssaoua, a toujours lieu à Meknès pendant ces jours. Les moussems de Sidi Ali Ben Hamdouch et Ahmed Dghoughi -également connus comme fondateurs de fraternités populaires- se déroulent sept jours après le Mouloud dans la montagne du Zerhoun. Ces fêtes sont encore aujourd`hui fréquentées par une immense foule de pèlerins provenant de toutes les régions du Maroc. L'affluence est telle qu'on craint à chaque Moussem des événements imprévus ou des problèmes de santé. Pendant quelques jours, Sidi Ali Ben Hamdouch se métamorphose en un lieu peuplé de milliers de personnes, plus de 1200 tentes dressées, un monde spirituel et mystérieux où le sacré côtoie le profane et parfois même le tabou. Les superstitions de tout genre sont mêlées à des nuits de lectures de Coran et de «Madih». On attribue d'ailleurs aux saints soufis Sidi Ali Ben Hamdouch et Sidi Ahmed Dghoughi de nombreux pouvoirs. Certains malades passent même la nuit dans l'enceinte des mausolées afin d'obtenir la guérison d'une maladie chronique ou incurable, d'éloigner le mauvais œil ou de dépasser une situation de stérilité ou de célibat subi faute de prétendants. Les adeptes de Sidi Ali Ben Hamdouch se démarquent de ces pratiques qu'ils jugent hérétiques et loin des enseignements légués par le Cheikh. «Ces saints sont innocents des coutumes superstitieuses auxquelles on assiste pendant les nuits de fêtes: sacrifices d'animaux, nuits de transes au son des rythmes de hmadcha», affirme l'un des descendants du cheikh, exprimant ces jugements avec beaucoup de timidité. Cependant, ce sont justement ces pratiques qui assurent le succès du Moussem et surtout certains avantages financiers. Et pour cause, Aicha (Soudania) dont la demeure, à en croire l'imaginaire des pèlerins, se trouve à Sidi Ali, est en train de détrôner le fondateur de la confrérie de Hmadcha en termes d'affluence. Cette créature légendaire semble posséder des pouvoirs magiques encore plus «efficients» et plus «efficaces» pour certaines maladies psychiques. Résultat, ces pratiques ont été toujours tolérées par les autorités qui assistent à ces Moussem sans porter de jugement sur ces pratiques superstitieuses et sans aucune intervention. Laissant derrière moi les poussières du Moussem et empruntant les sentiers sinueux de l'oliveraie du Zerhoun, je continue à réfléchir à ce mélange incompréhensible de spiritualité dégagée par les lieux, de superstitions qui sont venues se greffer sur le soufisme originel de la confrérie des Hmadcha, fondée au XVIIe siècle par Sidi Ali Ben Hamdouch et dont certains perpétuent la tradition de l'ascèse individuelle et du rituel collectif des invocations d'Allah et du prophète Sidna Mohammed. On ne peut terminer sans condamner et regretter l'incident survenu, pendant notre présence à Sidi Ali, à nos confrères d'Assabah qui ont vu leur appareil photographique voler en éclats par un énergumène.