L'élection du bâtonnier de l'Ordre des avocats de Casablanca vient de se terminer. A la grande surprise du corps de métier, aucune femme n'a brisé la règle qui persiste depuis soixante ans pour briguer ce poste. Détails. Les élections du nouveau bâtonnier du Barreau de Casablanca, le plus grand au Maroc et le deuxième en Afrique, se sont déroulées à la fin de la semaine dernière. Ces consultations du 2023, ayant fini par l'élection de l'avocat Ahmed Hissy en tête du Barreau avec une écrasante majorité de voix, ont suscité une vive polémique. Et pour cause : l'absence de la femme parmi les candidats à ce poste de responsabilité. A l'instar des élections de 2020, aucune avocate parmi les 13.000 robes noires du Barreau de Casablanca ne s'est proposée au poste de patronnier qui lui est pourtant garanti par la Constitution. Cette réalité désolante a incité la Fédération des Ligues des Droits des Femmes à réagir, appelant à la mise en œuvre du texte constitutionnel qui instaure la parité entre l'Homme et la Femme en garantissant à cette dernière l'accès aux postes de responsabilité. Un droit constitutionnel bien défini dans l'Article 19 de la Constitution selon lequel : «L'Homme et la Femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental... L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination». D'ailleurs, ce constat n'est pas un fait d'aujourd'hui mais plutôt une réalité persistante. Durant plus de 60 ans, aucune avocate ne s'est portée candidate pour concurrencer ses confrères masculins en vue de briguer le poste de bâtonnier. Cette « règle » a été brisée cette année à Tanger où un total de cinq femmes ont candidaté au poste de bâtonnière au sein de l'Ordre des avocats de la femme. Une robe noire parmi ces candidates a réussi à franchir le deuxième tour des élections sans qu'elle ne soit élue. Au cours des quatre derniers mandats du Conseil de l'Ordre des avocats, deux robes noires ont siégé dans chaque Conseil, à l'exception du mandat précédent où une seule femme seulement y a siégé. A la différence de Casablanca, l'Ordre de Rabat a atteint quatre femmes siégeant à son Conseil sur un total de 16 sièges. Un simple retour en arrière permettra de mieux appréhender l'ampleur de ce phénomène. Depuis l'indépendance jusqu'à nos jours, seules 8 femmes avocates ont pu siéger aux Conseils d'administration successifs de l'Ordre des avocats de Casablanca, contre un grand nombre d'avocats hommes.
Volonté vs conditions contraignantes Selon Maître Mohamed Amghar, l'absence de la femme dans les élections pour le poste de bâtonnier met en question la volonté de celle-ci à occuper de grands postes de responsabilité en tant qu'avocate, soulignant que l'intérêt de la femme pour ce métier est presque récent malgré qu'il lui est ouvert depuis 1963. Outre cela, l'avocat pointe du doigt les dispositions juridiques qui font frein à la candidature de la femme avocate au poste de bâtonnier. « Le nombre d'avocats éligible à candidater au poste de bâtonnière au sein du Barreau est limité à 8 seulement, à condition que le candidat soit membre par exemple au sein du Conseil de l'Ordre des avocats de Casablanca », explique-t-il. Pour sa part, le sociologue Mouhssine Benzakour fait observer que même si la femme est, aujourd'hui omniprésente dans le système pénal, surtout dans le métier d'avocat, elle reste omni-absente dans les postes de gestion des affaires de métier. « Au-delà du nombre de femmes qui exercent ce métier où la question de la compétence revient toujours, les postes de responsabilité dans ce métier restent un club fermé au point que la femme en robe noire en est durablement exclue », commente-t-il. De son côté, Maître Aïcha Loukhmass, avocate du Barreau de Casablanca, relève qu'outre les contraintes l'empêchant à accéder au poste de bâtonnière, le corps des femmes avocates peine toujours à jouir de son droit de représentativité au sein du Conseil de l'Ordre des avocats. « Aujourd'hui, même notre présence dans les Conseils de l'Ordre est menacée, l'exemple est celui de l'Ordre d'Oujda et de Marrakech où aucune avocate n'a pu siéger, ou encore à Casablanca où sur 40% des avocates de l'Ordre, seules deux arrivent à obtenir des sièges», déplore-t-elle, soulignant l'urgence d'établir des mécanismes d'autonomisation des femmes basées sur l'égalité et la parité dans l'accès au métier de responsabilité.