L'Immeuble Cassou est presque un mythe à Agadir. Son histoire est bluffante et captivante à souhait. Ses actuels locataires et quelques anciens des lieux ont accepté de nous la conter. Frissons garantis. "L'Immeuble Cassou" tel qu'il est appelé par les Gadiris ou alors "l'Immeuble Assima", comme il est commun de l'appeler de nos jours, a tout d'un miracle. Pourtant, son histoire tragique à la fin heureuse laisse perplexes tous ceux qui ont eu la chance d'en avoir entendu parler. Lorsque vos pas vous mènent à l'avenue Hassan II d'Agadir et qu'une pancarte attire votre attention, vous ne pouvez vous empêcher de lire que cet immeuble est le seul de toute la ville à avoir résisté au séisme ayant détruit la ville en 1960. D'après des témoignages concordants, il y en a d'autres dont la structure a en quelque sorte survécu au tremblement de terre, mais qui ont tous présenté de vrais défauts de construction tels que des fissures murales, des craquelures au niveau du sol ou encore des cloisons décollées. «Nous sommes, en effet, les locataires de cette bâtisse rescapée du séisme d'Agadir. Cela fait bien des années que nous y avons localisé notre agence de voyage et nous sommes très rassurés quant à sa robustesse», témoigne Brahim Outaleb, directeur de Travel Concept Morocco, agence sise au numéro 2 de l'immeuble. «Nous avons des personnes qui viennent de très loin dans l'optique de chercher les anciens locataires de ce qu'ils appellent encore l'Immeuble Cassou. Tous se souviennent encore d'un dentiste français qui a grandement participé à la bonne réputation de ces lieux et qui n'est plus de ce monde». Le numéro 19 de l'Immeuble Assima est occupé par la Maison du Pain, une adresse qui a pignon sur rue dans les parages. «Il nous arrive de recevoir des clients qui n'ont pas mis les pieds à Agadir depuis les années 60 du siècle dernier. Ils se souviennent avec beaucoup d'émotion de l'ancien directeur du bistrot du coin qui se sert de tout un étage de cette adresse comme dépôt. Ils se souviennent tout autant de très aimables familles judéo-gadiries qui sont allées en Israël, au Canada ou en France lors de cette décennie», témoigne Hajja, avant de poursuivre: «Ces personnes continuent de venir nous visiter, prendre des photos, les larmes aux yeux. Pour eux, il s'agit d'un immeuble béni du Ciel. Leurs yeux imbibés de larmes nous mettent toujours en émoi».
Ce bâtiment est unique à bien des égards. Réputé pour son style architectural "Art déco", qui mêle avec tact l'accessibilité de l'ère moderne et le raffinement de l'ère classique, il en a séduit plus d'un par son cachet, qui a fait les honneurs des grandes rues de Paris et les beaux-jours de la quasi-totalité du centre-ville de Casablanca. Mais l'Art déco date de 1920 à 1939, diraient les connaisseurs. Ce qui n'est sans doute pas faux, puisque cette merveille a été construite en 1934 par Jean Cassou, un architecte français qui avait fait de la ville d'Agadir sa terre de prédilection il y a près d'un siècle.
Place aux souvenirs...
Parmi les nostalgiques, d'aucuns s'adonnent à la joie bon enfant de siroter quelques verres de thé dans le restaurant adjacent "Tout va bien", en se remémorant leur enfance passée à gambader et à batifoler dans la "vieille ville". Parmi eux, il y en a qui arpentent encore l'avenue Hassan II, ex-Lucien-Saint, à la recherche des moindres bribes d'une époque qu'ils se plaisent à qualifier d'épique, retraçant les anciens locaux de la BNCI Afrique (devenue BMCI).
Sur la Toile, d'anciens habitants s'offrent des moments forts en échangeant de vieilles photographies et des cartes postales jaunies par la fugacité du temps, datant pour la plupart des années 60 et 70 du siècle dernier.
"Il est bien révolu le temps où le studio de Monsieur Pascal qui se contentait d'utiliser des films Kodak donnant comme résultat des photos naturellement belles et spontanées", se souvient un internaute. "Une de mes vieilles connaissances aimait tellement le Maroc qu'elle a choisi de quitter sa France natale avec sa famille pour s'installer à Agadir. Ils sont tous morts dans le séisme, mais ils ont coulé leurs jours les plus heureux", se souvient un autre.
Houda BELABD Témoignage : Un Gadiri d'adoption en parle «Beaucoup de touristes ne se rendent malheureusement pas compte de l'aspect historique et emblématique de cet immeuble riche en mémoire. Ils devraient savoir qu'il vaut grandement le détour, ne serait-ce que pour la beauté de son architecture», témoigne Daniel A., un Français qui s'est «gadirisé» depuis de longues années, comme il se plaît lui-même à dire. «Un jour, alors que je me promenais aux alentours de l'avenue Hassan II, une pancarte à l'écriteau captivant a attiré mon attention. Lorsque j'ai lu que c'était le seul immeuble qui a résisté au séisme qui a littéralement ravagé la ville en 1960, j'en suis resté scotché». Toujours selon ses mots, la beauté de cet immeuble est telle que tous les visiteurs des lieux s'accordent à dire qu'il est unique, inimitable et inimité, en tout cas à Agadir. «Vous vous rendez compte qu'il a été construit en 1934, soit deux générations avant le tremblement de terre», s'exclame-t-il avant de poursuivre avec le même étonnement tinté d'admiration qu'il a assisté à la construction d'immeubles neufs, aux alentours d'Agadir, dont les cloisons ont été abimées par le simple passage du temps. Comme Daniel, beaucoup d'amoureux de la ville trouvent un grand plaisir à faire connaître l'histoire de l'immeuble bien au-delà d'Agadir, voire au-delà du pays, en témoignage d'admiration à une ancienne bâtisse, robuste comme un chêne, belle comme le jour et surprenante comme un prodige.
Rétrospective : L'Immeuble Cassou, un roman à cœur ouvert L'histoire de ces lieux est comme un beau roman qui se lit le cœur palpitant, au cours d'un long voyage à travers le temps. Ainsi, l'un des premiers bâtiments à avoir été construits dans le respect de l'architecture Art déco fut l'Immeuble Cassou, du nom de l'architecte et entrepreneur Jean Cassou, qui y avait installé le siège de sa société. Aujourd'hui, ce bâtiment a été renommé Immeuble Assima, en référence à la compagnie d'assurance "Agadir Souss Société Immobilière Marocaine". Le premier étage de cette construction à l'histoire peu banale hébergeait des magasins équipés de rideaux de fer et de stores. Des garages indépendants ont également été aménagés à l'arrière. Selon les témoignages récoltés auprès d'anciens résidents, à l'achèvement de l'immeuble, Messieurs Rondot et Huber, garagistes à Agadir, ont été autorisés par arrêté municipal du 3 mai 1935 à installer deux distributeurs fixes d'essence avec des citernes enterrées de 3000 litres dans l'emprise de la Route Impériale N°25, devant leur point de vente. A côté du magasin de M. Rondot, dans l'enceinte de l'immeuble Cassou, apparaît le premier Café-Brasserie au nom amusant de : "Tout va bien". Entre ces deux établissements, la lourde porte d'entrée de l'immeuble donnait sur les habitations, comme l'exigeait l'architecture française en vogue à l'époque. Tout au fond de l'immeuble, on pouvait apercevoir un bureau de tabac, qui est demeuré à cet endroit jusqu'en 1960.
Au cours de l'année 1936, la Droguerie René Chambert et Mercerie prenait la place du magasin d'accessoires automobiles situé à l'entrée de l'immeuble Cassou. Une année plus tard, le 17 août 1937, la Compagnie Industrielle des Pétroles au Maroc a obtenu l'autorisation d'installer un distributeur d'essence fixe avec un réservoir de 2.000 litres devant le magasin de M. Chambert. A son tour, la Banque Nationale pour le Commerce et l'Industrie est venue s'installer entre la Droguerie et le photographe. Ensuite, le magasin de nouveautés "Vogue" de G. Mayer, le salon de coiffure "de la Poste" et le célèbre Bureau de Tabacs de Monsieur Thomazeau, qui occupe l'extrémité de l'immeuble, viennent s'y loger. Parmi les anciens résidents de l'Immeuble Cassou, on peut citer le grand architecte Pierre Jabin et l'illustre famille judéo-marocaine des Corcos, dont la ville d'Agadir ne cesse de vanter les mérites.
Conjoncture : Vers la construction de villes antisismiques Le séisme d'Agadir de 1960 et celui d'Al-Haouz, survenu il y a moins d'un mois, ont en commun d'être fort tragiques. Mais il est important, désormais, de se tourner vers l'avenir. D'ailleurs, à l'écriture de ces lignes, le monde s'apprête à célébrer la Journée de la prévention des catastrophes naturelles, le 13 octobre. Au Maroc, dans la foulée du tremblement de terre d'Al-Haouz, sismologues, géologues et topographes, parmi tant d'autres experts en sciences de la terre, se sont attelés, au fil d'apparitions médiatiques et de conférences dédiées, à établir un nouveau bilan des mesures de conservation préventive visant à atténuer les conséquences des catastrophes naturelles, de la plus à la moins effroyable.
Ces synthèses s'appuient sur la Méthode de l'Indice de Vulnérabilité (MIV). Mise au point dans le cadre d'un projet maroco-européen, celle-ci a pour objectif de consolider les infrastructures terrestres et sous-marines des deux rives de la Méditerranée. Pour quelles raisons devons-nous agir de la sorte ? Car les désastres naturels ne tiennent pas compte des frontières géographiques et, en cas de catastrophe majeure, les pays voisins, voire ceux d'outre-mer, sont potentiellement affectés. Or, à tous égards, le Royaume reste un cas particulier, ayant subi de nombreux tremblements de terre ravageurs au cours des siècles précédents, causant de nombreuses victimes et d'énormes dégâts.
Faits marquants : L'expérience Cassou, copiée mais jamais égalée ! Au fil des récits des anciens et des nouveaux locataires, on retrouve de nombreuses facettes de cet immeuble et de son caractère attachant. D'aucuns se rappellent que cette merveille architecturale, bien avant la tragédie, jouxtait l'immeuble du Café du Marché à l'angle de l'avenue Lucien Saint et du boulevard Poincaré, entièrement démoli par le tremblement de terre. Cette avenue qui traversait la friche de la future Ville Nouvelle fut plantée de merveilleux ficus verdoyants. Peu à peu sont apparus la Poste, le Marché de la Ville Nouvelle, le Comptoir des Mines, les immeubles Miquel, l'entrepôt Jaubert et le Café du Marché. L'Histoire d'Agadir nous révèle que l'Immeuble Cassou concentrait à lui seul toute l'activité commerciale de la Ville Nouvelle. Dans les années 40, il a fallu patienter jusqu'à la fin de la guerre pour que l'activité de construction reprenne, et c'est à ce stade que le boom de la construction s'est amorcé. Précisément dans les années 50. L'expérience de Cassou a été copiée mais jamais égalée. En effet, elle a été la source d'inspiration des créateurs d'OMNICO, de La Paternelle, d'Esnault et de Sud-Building. Au lendemain de l'indépendance, l'avenue Lucien Saint est dénommée Moulay Hassan. En 1958, l'annuaire téléphonique de la ville donnait encore le nom d'avenue Lucien Saint, puis en 1960, quand cette imprécision a été signalée à la Mairie, l'avenue est redevenue le boulevard Moulay Hassan.