Le traumatisme de la catastrophe marque encore la mémoire des rescapés. Après les secours, la mobilisation s'est particulièrement concentrée sur les pertes matérielles, oubliant l'accompagnement psychologique. Témoignages. Indélébile ! Soixante ans après le tremblement de terre qui un soir de Ramadan a quasiment rasé la ville d'Agadir en 1960 et coûté la vie à plus de 16 000 morts, soit près d'un tiers de la population de la cité à l'époque, le souvenir de la tragédie est encore présent avec précision dans l'esprit des rescapés. Le traumatisme est à jamais gravé dans la mémoire des survivants car il n'y a pas eu d'accompagnement psychologique des victimes. La mobilisation s'est concentrée sur le sauvetage des vies et a porté par la suite sur les pertes matérielles, souligne le professeur universitaire Mohamed Bajalat. L'enseignant, Gadiri de souche, était encore un gamin de près de cinq ans le jour du séisme. La terrible nuit de la catastrophe d'Agadir l'a marqué à jamais et plus les années passent et plus le tragique vécu est remémoré avec détails, raconte-t-il. «Nous habitions près de la pointe d'Aghezdis, un site où est aménagé aujourd'hui l'entrée du port de commerce. Ce soir du 29 février 1960, je dormais déjà quand la terre a tremblé et c'est la secousse qui m'a réveillé dans mon lit. Je voyais des objets chuter parterre. Mon père accourt, porte ma sœur dans ses bras et me prend la main pour nous sortir dehors. Je me souviens que mon père nous a dirigés vers la plage. Il faisait nuit noire et on entendait des cris de partout. Les élèves de l'Ecole de la Marine, qui se trouvait à proximité, sautaient des fenêtres du bâtiment de l'établissement avec l'aide de draps. Il y a eu un moment de panique générale, tout le monde s'affolait. Mais le gardien de l'usine thermique diesel a eu le bon réflexe, fort heureusement, de couper l'alimentation électrique produite par cette centrale qui alimentait la ville, ce qui a évité l'électrocution des rescapés», se rappelle M. Bajalat. Il se souvient aussi comment dans l'obscurité totale, les hommes rescapés de son quartier se sont mobilisés très vite. ''Petits et grands pleuraient et j'ai fini par m'endormir je ne sais plus comment pour me réveiller dans la matinée dans un camion benne'', relate-t-il. Son oncle qui habitait à Oulad Teima était venu à la rescousse de toute la famille pour les transporter chez lui. «Je me souviens que sur la route, alors que nous traversions le boulevard Mohammed V, des images marquantes des draps qui pendaient de l'immeuble sept étages, d'où beaucoup d'occupants avaient choisi de sauter par les fenêtres pour sauver leur vie. Jusqu'à présent, à chaque fois que je traverse ce boulevard, ces images me hantent et le souvenir des pertes humaines causées par le séisme remonte à la surface. Je n'oublierai jamais les membres de ma famille qui ont péri lors de la tragédie et l'accouchement prématuré d'un bébé mort-né de sept mois qu'a vécu ma mère dans les jours qui ont suivi », déplore-t-il. Fadma, une autre rescapée du séisme, est devenue pour sa part claustrophobe. Elle ne supporte pas de s'enfermer dans une chambre et préfère jusqu'à présent dormir la porte de sa chambre toujours entrouverte. Comme son époux Aomar, elle n'a rien oublié de la nuit de la tragédie. L'immeuble dans lequel ils occupaient un appartement a résisté au séisme mais avec l'affaissement des piliers soutenant le bâtiment, ils ont dû passer par la fenêtre car la porte était coincée. «Pour sauter dehors, j'ai dû défoncer la porte-fenêtre mais je me suis coupée, les veines du poignet. Heureusement que notre appartement était au premier étage. Un voisin nous a aidés dans notre manœuvre et m'a mis un garrot pour arrêter le sang qui coulait. La rue était plongée dans l'obscurité, nous n'entendions que des ''Au secours''», raconte Fadma, la voix nouée. «La nuit a été longue et au petit matin nous nous sommes retrouvés dans un décor terrifiant. Tout n'était que désolation. Cela ressemblait à un lendemain de guerre. Nous étions couverts de poussière et envahis par un sentiment d'impuissance», se souvient pour sa part Aomar. C'est de la base aéronavale française qui a résisté au séisme que sont venus les premiers secours, indique pour sa part Abdallah, un autre survivant. Près de 8 000 hommes, soldats marocains, marins français et hollandais et aviateurs américains se sont alors mobilisés. Marteaux- piqueurs et bulldozers sont entrés en action pour sortir les victimes des décombres. Plus de 15 heures après le tremblement de terre, les survivants ensevelis sous les ruines, continuaient à crier. Mais avec la chaleur, les cadavres que l'on sortait des décombres se liquéfiaient et dégageaient des bouffées de gaz méphitique et toutes sortes de maladies commençaient à menacer la ville et sa région. Les sauveteurs ne pouvaient plus travailler sans masque antiseptique. «C'est dans ce contexte que le 5 mars au soir, feu Hassan II, qui était alors Prince héritier, décida d'arrêter les travaux de déblaiement et de bloquer toutes les issues de la ville par un cordon sanitaire. Et ce, pour préserver les survivants de l'épidémie», narre Abdallah. Afin d'éviter les atermoiements, la reconstruction de la ville fut aussi immédiatement décidée, par feu Mohammed V. «...Si le destin a décidé la destruction d'Agadir, sa reconstruction dépend de notre détermination et de notre volonté...». Aujourd'hui, tout rescapé est fier du pari relevé que représente la reconstruction de cette cité qui constitue un modèle architectural à travers les premières étapes de sa réédification. Personne n'en oublie la tragédie et tous les messages qu'elle porte. Mais tous les rescapés restent attachés à cette ville qui n'a pas son pareil. Agadir 2020
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