Ecrivain engagé, étoile intellectuelle montante de la communauté musulmane de France, Nabil Ennasri se lance dans un défi inédit : aller à La Mecque à vélo. Un voyage porteur d'un message spirituel et écologique dont le Franco-Marocain raconte - le premier à le faire - les détails dans cette interview. - Qu'est-ce qui vous motive pour faire un périple aussi audacieux vers La Mecque ? - A mes yeux, c'est une volonté de sonner l'alarme et contribuer à la prise de conscience du défi du réchauffement climatique. Un sujet qui me semble éclipsé au sein de la communauté musulmane, en général, et en France, en particulier. Je ne peux que regretter que des phénomènes aussi inquiétants que l'épuisement des ressources, la perte de la biodiversité et l'extinction des espèces soient mis de côté. Par conséquent, j'essaye, à travers ce voyage, de rappeler l'importance fondamentale de notre planète qui doit rester habitable pour les futures générations. Maintenant, cette planète est en péril. Le défi est donc radicalement nouveau puisque notre mode de production et de consommation pose problème du moment qu'il inflige des dégâts irréversibles aux écosystèmes. Face à un tel désastre, on fait malheureusement comme si de rien n'était. Il n'est pas normal que la communauté musulmane reste indifférente à ce qui se passe, surtout que plusieurs pays musulmans sont de grands pollueurs, au regard du nombre d'habitants. Cette prise de conscience est, à mon avis, d'autant plus urgente que nous avons des centaines de versets coraniques et hadits dans la tradition prophétique qui nous exhortent à la sobriété dans notre consommation, au refus du gaspillage et à la tempérance dans notre rapport avec la nature. Tous ces éléments sont constitutifs de l'éthique islamique qu'on célèbre pendant le Ramadan, mais qu'on oublie rapidement ensuite. Ce voyage est pour moi une façon de faire un retour aux sources et renverser les perspectives par rapport aux priorités. « Mon combat est d'éveiller la prise de conscience écologique»
-Un tel périple nécessite une force incroyable. D'où puisez-vous une telle énergie ? Au-delà d'éveiller les consciences sur la nécessité de sauver la planète, mon périple est un hommage aux anciens dont j'ai puisé mon inspiration. Il n'y a pas très longtemps, nous avions l'habitude d'aller à La Mecque à pied, à dos de cheval ou de chameau, et ce fut ainsi jusqu'à la révolution des moyens de transport. Je me souviens qu'à mon départ de Montparnasse, une personne m'a confié que son grand-père est allé à pied à La Mecque pour accomplir son pèlerinage et a dû vendre tous ses biens et sa récolte parce qu'il ne savait pas s'il reviendrait un jour. C'est dire à quel point les choses furent différentes il y a quelques décennies où ce périple représentait l'aboutissement d'une vie pour les pèlerins. N'oublions pas aussi que ce fut également un voyage jonché de périls, dont l'insécurité et les épidémies. Par ailleurs, il y a évidemment l'aspect sportif. Je suis un passionné de sport et de l'exercice physique qui participe, à mon avis, au bien-être. Je songe toujours au philosophe français Frédéric Klein, qui dit que le corps humain n'est pas fait pour s'asseoir huit heures devant un écran, mais plutôt pour pratiquer une activité physique. Comme c'est une source de bien-être, ça devient une habitude dans laquelle on se complet, et dès lors qu'on lui donne un sens, comme ce voyage vers La Mecque, vers le sacré et vers Dieu, je puis vous dire que l'on arrive à la plénitude. -Pensez-vous que ce genre d'initiatives puisse encourager les jeunes, surtout ceux de la communauté musulmane en Europe, et en France en particulier, à s'intéresser plus à la religion ?
- Je pense, en effet, que ce genre d'initiatives peut susciter de l'enthousiasme et de l'inspiration chez certaines catégories de jeunes qui se disent qu'une telle aventure est possible. Je reçois quotidiennement des centaines de commentaires et de messages sur les réseaux sociaux qui montrent à quel point les gens sont fascinés par un tel périple et tentés par cette expérience. - Quel message voulez-vous transmettre en faisant une aventure spirituelle pareille ? - L'essentiel c'est de croire en soi et fixer son objectif qui soit atteignable. Personnellement, j'ai pris le temps de réfléchir à cette aventure et à son sens. J'en profite pour m'adresser aux nouvelles générations. Je leur dis que c'est à nous de prendre en charge le défi climatique. En parallèle, il est important de faire comprendre à la jeunesse que ce genre de voyages est de nature à raviver la flamme des anciens. C'est un message qui trouve écho chez beaucoup de jeunes et j'ai pu m'en rendre compte moi-même à lire leurs commentaires. - Vous êtes l'une des figures intellectuelles les plus connues dans la communauté musulmane de France. On se rappelle de votre livre « Les sept défis capitaux » dans lequel vous portez un regard profond sur la destinée de la communauté musulmane de France. Quel regard portez-vous actuellement sur l'Islam en France au moment où l'islamophobie prend des proportions inquiétantes ? - Je sens que la communauté musulmane est actuellement résignée, abattue et en manque de projet. Il est nécessaire de donner un sens à notre présence à nous, les musulmans de France et d'Europe issus de l'immigration post-coloniale, dont la génération de premiers arrivants est en train de s'effacer. Le but est de susciter une relève à la fois intellectuelle et spirituelle pour que l'on puisse sortir de cet état de résignation qui fait que la communauté est un peu affligée, ballotée face à la montée de la discrimination et de l'islamophobie qui lui sapent le moral. Aussi, il faut trouver un projet captivant. Il y a dans l'écologie de quoi inspirer la communauté musulmane parce qu'il s'agit d'un principe de vie, qui peut être source d'harmonie avec les valeurs musulmanes qui sont les nôtres. Cela me paraît important pour redresser moralement un segment de la population française qui est, aujourd'hui dépitée et fragmentée. - Vous plaidez beaucoup pour que les musulmans de France se mobilisent politiquement en prenant davantage part aux différentes élections, est-ce le combat pour vous ou vous en avez d'autres ? - J'appelle les musulmans de France à s'engager mais pas qu'électoralement, mais de manière transversale dans la société civile. Il ne faut pas rester reclus dans l'identité primaire, l'identité musulmane et nationale liée aux origines. Il n'y a aucun mal à vivre fièrement et allégrement la double identité et la double appartenance en tant que Français et Marocain à la fois. Personnellement, je n'ai eu aucun scrupule à réciter les deux hymnes pendant la demi-finale de la Coupe du Monde et j'ai transmis ce double héritage à mes enfants. Pour répondre à votre question, je trouve qu'on a tort de réduire la participation des musulmans de France au vote. C'est bien plus large et c'est pour ça que l'écologie permet de dépasser les clivages et les appartenances puisque la terre est un bien commun. Du coup, il faut s'engager car la politique de l'autruche ne mène nulle part.