Les intermédiaires ont apparemment de beaux jours devant eux dans les marchés de gros du Maroc. La réforme en cours ne pourra visiblement pas venir à bout de cette catégorie d'intervenants accusés de favoriser la flambée des prix. Ce qui risque de maintenir encore pour un moment l'inflation à des niveaux élevés, surtout en cas de perturbation de l'offre. « Le premier marché de gros qui servira de pilote est celui de Rabat. Il est pratiquement prêt et nous donnera les premiers indicateurs afin de faire des corrections, pour ensuite installer les autres ». C'est Ryad Mezzour, ministre de l'Industrie et du Commerce, qui s'exprime ainsi, répondant, lors d'une émission sur Medi1 TV, à une question sur la réforme des marchés de gros au Maroc. Les 39 marchés de gros répertoriés au niveau national, répartis sur 32 provinces et préfectures, commencent à traîner une très mauvaise réputation. Ils sont aujourd'hui associés à la spéculation et à des lieux où les intermédiaires font régner leur loi, non sans conséquences sur la hausse des prix des produits de consommation. En témoigne la flambée actuelle.
Cartographie
Aussi bien chez les agriculteurs-producteurs que chez les clients finaux, des voix se lèvent de plus en plus pour enfin installer la réforme des marchés de gros au Maroc. « Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de réformes qui se mettent en place. La première, lancée en 2011, a été ralentie. Un deuxième coup de boost a été entamé en 2019, avec une cartographie des marchés de gros, une nouvelle génération de services, de cahiers de charges et de réformes », fait savoir Ryad Mezzour. Sur le plan des infrastructures, des efforts sont en cours, ou, du moins, les ambitions de moderniser ces structures sont là.
12 marchés de gros modernisés
A Casablanca par exemple, c'est un important projet de 1,5 MMDH qui est envisagé pour la construction d'une nouvelle plateforme intégrée localisée à Lakhiaita, près de la commune de Had Essoualem. Ce site est appelé à regrouper l'ensemble des marchés de gros de la capitale économique, à savoir ceux de Moulay Rachid pour les fruits et légumes, Lahraouyine pour les poissons, La Gironde pour la vente d'œufs et Hay Mohammadi pour les volailles. Des projets assez similaires sont envisagés dans la plupart des grandes villes marocaines, notamment dans la commune de Sidi Bouaâthmane dans la province de Rehamna, ainsi qu'à Meknès, Agadir et Berkane. La nouvelle stratégie agricole «Génération Green 2020-2030» prévoit la réalisation de 12 marchés de gros modernisés.
Intermédiaires-spéculateurs
Cela dit, au-delà de la modernisation des infrastructures, c'est le rôle des marchés de gros dans la stabilisation des prix qui pose débat. Sur ce point, la situation semble encore hors de contrôle. L'influence des intermédiaires-spéculateurs ne semble pas prête à s'estomper, mais surtout ne fait pas l'unanimité selon les acteurs. Pour le ministre de l'Industrie et du Commerce, le rôle des intermédiaires n'est pas toujours négatif, car ils contribuent à faciliter l'approvisionnement et la disponibilité des produits. Quant au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), il pointe du doigt « une intermédiation excessive et peu contrôlée, notamment au niveau de l'offre orientée vers les marchés de gros, et qui favorise la spéculation et la multiplication des intervenants ». Une réalité qui, poursuit le CESE, « pénalise le producteur, impacte la qualité des produits en rallongeant les circuits de distribution et, partant, renchérit le prix de vente final au consommateur ». Au Maroc, on estime que les parties prenantes fréquentant les marchés de gros sont composées de 3.700 producteurs, de 4.600 grossistes et 374 mandataires, ainsi que 20.000 employés (employés communaux, employés des mandataires, employés des grossistes, portefaix, etc.).
Malgré la loi...
Au regard des réalités sociales, tout porte à croire que la réforme des marchés ne pourra pas venir à bout des intermédiaires dans les marchés de gros. Tout au plus, l'Etat devra continuer d'être rigoureux sur le contrôle des prix. La loi n°37.21 sur la commercialisation directe des fruits et légumes dans le cadre de l'agrégation agricole ne règle elle-même pas le problème, car ne concernant que les grands agriculteurs. Elle était censée réduire l'action des intermédiaires dans les marchés de gros, mais, apparemment, c'est peine perdue.
Abdellah MOUTAWAKIL
3 questions à Rachid Benali, Président de la COMADER « Il faut que les agriculteurs vendent directement aux détaillants » Pour la Confédération Marocaine de l'Agriculture et du Développement Durable (COMADER), seule la possibilité pour les agriculteurs de vendre directement aux commerçants détaillants pourra aider à faire baisser les prix et limiter l'action des intermédiaires.
Au-delà de certains facteurs, vous imputez la hausse des prix des produits agricoles aux intermédiaires. Pourquoi ? L'agriculteur a moins de marge de manœuvre pour intervenir dans la chaîne complète et la structure des prix. Nous avons vu des agriculteurs obligés de vendre leur production avant même la récolte. C'est un phénomène nouveau qui n'existait pas auparavant et qui est dû à des difficultés financières auxquelles les agriculteurs font face. Les agriculteurs sont obligés de vendre à des intermédiaires et nous avons une chaîne d'intermédiaires tellement grande que c'est du jamais vu. C'est cela qui explique en partie la flambée des prix. Quelles solutions préconisez-vous pour faire face à ce problème des intermédiaires ? En ce qui concerne les intermédiaires, il y a la loi 04-12 puis la loi 31-21, qui gèrent les opérations d'agrégation. Si on arrive à gérer ces opérations d'agrégation, les agriculteurs pourront directement vendre aux détaillants sans passer par les marchés de gros. Cela permet d'éviter toute la chaîne des intermédiaires. Par exemple, l'oignon qui s'est retrouvé à 16 DH le kg sur les marchés de détails, sort de la ferme à environ 2 DH. Si l'agriculteur avait la possibilité de vendre directement aux détaillants, le prix allait tourner à 6 ou 7 DH. Je pense que c'est la meilleure manière d'éliminer les intermédiaires. En quoi l'exonération de la TVA sur les produits et matériels agricoles va aider à la baisse des prix ? Nous avions un petit problème par rapport à la TVA sur certains produits agricoles, et qui a été résolu. Certains revendeurs en profitaient pour augmenter leurs prix. Un décret ministériel a été pris dans ce sens et c'est derrière nous. Avec ces mesures et la vente directe chez le détaillant, il sera possible de revenir à des prix beaucoup plus bas, même si, pour l'heure, il est difficile de revenir aux prix d'avant crise.
L'info...Graphie Contrôles : Le gouvernement veille sur les prix... et la qualité Ce sont des opérations qui se faisaient de façon anodine, mais cette année, elles ont revêtu un caractère particulier. Le contrôle des prix a été une des réponses que le gouvernement a activées pour faire face à la spéculation, considérée comme l'un des facteurs de l'inflation record que connaît le Maroc depuis plusieurs mois. « Les interventions des commissions mixtes ont porté sur la surveillance de 64 340 magasins de production, de stockage, de vente en gros et en détail, et ont conduit au recensement de 3 325 infractions », indiquait, il y quelques semaines, Mustapha Baitas, porte-parole du gouvernement, à l'issue d'un Conseil de gouvernement. Ainsi, en plus du contrôle des prix, Baitas a indiqué que « l'équivalent de 400 tonnes de produits impropres à la consommation ou non conformes a été saisi et détruit ». Rien que l'année dernière, de début janvier à fin décembre 2022, le gouvernement indique que 308.543 magasins de production, de stockage, de vente en gros et en détail ont été contrôlés, ce qui a entraîné le recensement de 12.452 infractions, à la suite du quel 2.597 avertissements ont été émis tandis qu'un rapport prouvant les violations a été transmis au Procureur du Roi contre 9.855 personnes. S'agissant du sort de ses produits saisis, le ministre délégué auprès du chef du gouvernement a expliqué que les services concernés s'en débarrassaient. Quant aux matières impropres à la consommation, leur sort est la « destruction », tandis que « les saisies encore valides sont vendues » aux enchères publiques. Produits agricoles : Recommandations et diagnostic du CESE La situation des marchés de gros et la commercialisation des produits agricoles a fait l'objet, en 2021, d'un avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), qui a émis, après diagnostic, plusieurs recommandations. Parmi celles-ci, la nécessité d'adopter « une vision intégrée et participative dédiée à la commercialisation des produits agricoles qui implique tous les acteurs concernés, nationaux et territoriaux ». Dans ce sens, il est recommandé de mettre en œuvre un ensemble de mesures dont les plus importantes sont : renforcer les dispositifs de régulation des prix mis en place pour la filière céréalière et concevoir des dispositifs adaptés aux spécificités des autres filières agricoles. De même, le CESE recommande de consolider le rôle des coopératives agricoles marocaines (CAM) et revoir leur système de gouvernance et de contrôle, en encourageant les petits et moyens agriculteurs à se regrouper dans ce type de coopératives en vue d'assurer la collecte et la vente des produits céréaliers au prix de référence déterminé par les autorités compétentes.